Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, madame la rapporteure, depuis fort longtemps, certains pensent avoir le droit de commettre des violences et de porter atteinte à la dignité des femmes, mais aussi des hommes, voire à celle d'enfants, à raison de leur genre, et de leur âge, et ce, avec un fort sentiment d'impunité.
L'enjeu est à la fois juridique et sociétal. Il nous faut montrer la volonté collective d'agir pour que cessent les violences sexuelles ou sexistes. Ce projet de loi annoncé était attendu. Il est normal qu'il soit analysé de manière approfondie parce que les atteintes à l'intégrité physique et psychologique des personnes ainsi que les violences sexuelles sont des sujets importants dans une société qui veut protéger, prévenir et réprimer efficacement et durablement ces faits parmi les plus graves. En outre, les attentes des citoyens et de la société sont fortes dans ce domaine. Il y a lieu de considérer que ce texte vise à contribuer au progrès de la société.
Des comportements acceptables pour ceux qui les adoptent, ceux qui dominent, ceux qui exploitent, deviennent progressivement inacceptables. La position de ceux qui avaient l'habitude d'être violents sans susciter de réactions publiques et politiques, sans craindre de sanctions par le corps social, est fragilisée car leur attitude est désormais jugée par l'immense majorité du corps social honteuse, répréhensible, devant être bannie et poursuivie par la loi.
Nous le savons, le respect de la règle comporte une dimension intérieure : la règle est considérée comme un modèle à suivre par ceux qui la respectent. Progressivement, en renforçant la pénalisation, nous passons de contraintes qui restaient parfois personnelles et extérieures à des impératifs globaux et intériorisés. C'est un paradoxe qu'il faut avoir à l'esprit !
Ces considérations ne sont pas seulement générales, elles ne sont pas, si j'ose dire, entre ciel et terre. S'il faut un volet pénal, il faut aussi des politiques publiques qui prennent en compte les diverses dimensions de tels comportements – j'y reviendrai.
Le projet de loi prolonge un mouvement, continu et cohérent, de pénalisation de certains comportements. Il apporte des réponses qui, pour certaines, sont adaptées et nécessaires, et qui, pour d'autres, suscitent des interrogations quant à leur portée et à leur efficacité. Il s'inscrit, je l'ai dit en commission, dans une histoire récente de textes convergents et nombreux ces dernières années. Pour ne prendre qu'un exemple, la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel a ainsi donné une définition plus précise de la notion de harcèlement sexuel et a renforcé la protection des victimes, notamment dans le cadre professionnel.
Je souhaite saluer les apports de ce texte, vous faire part d'interrogations et vous faire partager la volonté du groupe Nouvelle Gauche d'améliorer le projet. Il s'agit d'aller plus loin, en s'inscrivant dans la durée, en étant déterminé à accélérer les changements des comportements par une politique globale, ambitieuse, d'éducation et de prévention qui s'attaque aux modèles de notre société dans lesquels les femmes sont trop souvent réifiées, quel que soit leur âge, et réduites à des objets de désirs et de possession.
Parmi les avancées, le projet de loi prévoit un allongement des délais de prescription à trente ans pour les crimes sexuels à l'encontre des mineurs. Cette extension se justifie pour des raisons sociologique et scientifique même si la question des preuves continuera probablement de se poser. On peut regretter que certaines voies d'accompagnement et de réparation des victimes n'aient pas été envisagées lorsque la prescription n'autorise plus les poursuites.
Le projet de loi renforce également la répression des abus sexuels commis sur les mineurs de moins de quinze ans. Le texte a connu une évolution, avant même sa discussion par le Parlement, puisque la création d'une présomption de contrainte en cas d'atteinte sexuelle commise par un majeur a été écartée, celle-ci apparaissant en effet non conforme à nos standards constitutionnels et conventionnels.
Le texte prévoit aussi une nouvelle incrimination – l'outrage sexiste – qui consiste à imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui, soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Ces faits constitueront une contravention de quatrième classe, ou de cinquième classe en cas de circonstances aggravantes.
Le projet élargit la définition du harcèlement en vue de réprimer les « raids numériques ». Les délits de harcèlement sexuel ou moral seront constitués lorsque les propos ou comportements seront imposés à une même victime de manière concertée par plusieurs personnes, alors même que chacune de ces personnes n'a pas agi de façon répétée.
Je souhaite insister maintenant sur les questions posées par le texte. S'agissant de la répression des abus sexuels commis sur les mineurs de moins de quinze ans, si les notions de contrainte morale et de surprise sont redéfinies, la justice aura chaque fois à se poser la question du discernement de la victime.
De surcroît, avec l'aggravation de peines en cas d'atteinte sexuelle, on peut craindre que le dispositif aboutisse à une moindre répression en cas de viol, du fait d'une correctionnalisation plus importante de l'infraction. Toute modification des peines encourues mériterait de s'inscrire dans une réflexion plus globale sur la caractérisation des infractions et sur les sanctions infligées. Là encore l'absence de toute évaluation des pratiques pénales et des effets des peines prononcées manque à la réflexion préalable à notre délibération.
C'est d'ailleurs la raison qui a conduit notre groupe à déposer plusieurs amendements visant à établir une nouvelle définition du viol et à fixer à treize ans l'âge en deçà duquel toute relation ou atteinte sexuelle serait qualifiée de viol. Nos amendements s'inspirent de ce qui existe dans la législation d'autres pays confrontés aux mêmes évolutions et défis en matière de pénalisation – je pense à la Belgique et au Royaume-Uni. Ainsi notre groupe appelle-t-il l'Assemblée à modifier l'article 2 du projet de loi.
Concernant le harcèlement de rue, une nouvelle incrimination ne paraît utile que si l'on est en mesure de concilier l'insécurité des personnes commettant de tels actes et une application réaliste du dispositif. Le sentiment de harcèlement provient souvent ou, en tout cas, pour partie, si j'ose dire, de l'absence d'application des dispositions existantes. Violences verbales, violences légères, violences physiques, exhibition en public sont autant de faits dont la répression est prévue par le code pénal.
Si nous sommes favorables à la création de la nouvelle infraction envisagée, nous nous interrogeons sur les aspects opérationnels de sa mise en oeuvre. Nous craignons que les faits d'outrage sexiste soient in fine peu ou mal verbalisés, en raison d'une présence policière insuffisante et du fait qu'il sera délicat d'apporter la preuve des propos réellement tenus. Il est dit que la nouvelle police de sécurité du quotidien pourrait assurer en grande partie la constatation et la répression de ces comportements. Néanmoins, n'oublions pas non plus que ces outrages sexistes existent ou se nichent dans des endroits moins exposés au regard des tiers. De façon complémentaire, notre groupe note que la création d'une contravention d'outrage sexiste relève a priori du domaine réglementaire plutôt que de la loi.
Pour finir, notre groupe note que la politique globale de prévention, notamment d'éducation, est insuffisante sur la question générale des violences faites aux femmes – j'insiste tout particulièrement sur ce point. Rappelons le contexte : de nombreux faits de violence sont peu poursuivis ou ne le sont pas. Nous souhaitons améliorer et compléter le dispositif, comme vous l'avez d'ailleurs évoqué tout à l'heure dans votre réponse, madame la ministre. Il est notamment nécessaire d'évaluer ce qui est réellement fait tout au long de la scolarité, du primaire au lycée, pour soutenir une démarche globale, qui nous semble indispensable. Parallèlement, nous souhaitons que soient évalués le processus et la réalité concrète de l'accompagnement des victimes en matière de prise en charge intégrale des frais médicaux et paramédicaux par l'assurance maladie.