Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, madame la rapporteure, mes chers collègues, le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes est à l'image de plusieurs autres textes du Gouvernement : il y a eu beaucoup d'auditions, beaucoup de consultations et beaucoup de communication, mais le résultat est plus que décevant.
Le présent projet de loi comporte quatre articles. L'article 1ervise à étendre à trente ans la prescription pour les viols commis sur les mineurs. L'article 2 tend à modifier les éléments constitutifs du viol commis sur une victime de moins de quinze ans par une personne majeure. L'article 3, relatif au harcèlement en ligne, complète les définitions des délits de harcèlement moral et de harcèlement sexuel. L'article 4 vise à réprimer le harcèlement de rue en créant une contravention d'outrage sexiste. On ne voit d'ailleurs pas très bien, concrètement, comment ces deux derniers articles pourront être appliqués.
Nous considérons que les réponses proposées dans ce projet de loi sont bien en deçà de celles qui devraient être mises en oeuvre. Selon nous, ce texte manque clairement d'ambition.
Madame la garde des sceaux, vous dites avoir appuyé votre travail sur différents rapports. Or nous ne retrouvons malheureusement pas, dans le texte, les propositions issues du rapport du 22 février 2018 sur le viol, présenté par Mmes Sophie Auconie et Marie-Pierre Rixain. Nos collègues y ont souligné que la situation était extrêmement grave. Elles se sont inquiétées de l'augmentation du nombre de viols en France. Elles ont noté que ces crimes s'inscrivaient dans un contexte plus large de violences faites aux femmes, mais aussi aux enfants. Les chiffres qu'elles ont cités sont plus qu'inquiétants : en 2017, environ 250 000 personnes – 93 000 femmes, 15 000 hommes et 150 000 mineurs – ont été victimes de viol ou de tentative de viol. Or seulement 9 % de l'ensemble de ces victimes portent plainte et, en définitive, seule une plainte sur dix aboutit à une condamnation de l'agresseur.
En outre, elles ont noté : « Les violences faites aux femmes revêtent des formes multiples, avec des degrés de gravité différents : violences conjugales, qui peuvent être physiques, sexuelles, psychologiques ou encore économiques ; harcèlement de rue ; agressions sexuelles ; viols ; prostitution ; mutilations génitales ; discriminations diverses en raison du sexe, etc. Les femmes peuvent subir ces différentes formes de violence dans toutes les sphères de la vie, sous toutes leurs formes et à tous les âges ; c'est ce que l'on appelle le continuum des violences. » À la lecture de ce rapport et au regard des différents problèmes soulevés, nous constatons que le présent projet de loi n'est pas à la hauteur : il n'est pas à la hauteur en matière de prise en charge des victimes ; il n'est pas à la hauteur des efforts des professionnels de la justice ; il n'est pas à la hauteur du travail des associations.
Au lieu de nous offrir un large cadre de discussion, ce texte nous a enfermés dans des questions juridiques et techniques. Le rôle du pouvoir politique aurait dû consister à prendre à bras-le-corps la question des violences faites aux femmes. Comme l'a dit Clémentine Autain, il aurait été nécessaire de proposer une véritable loi-cadre, avec des objectifs datés et chiffrés, avec des moyens et des mesures ambitieuses touchant à des domaines aussi variés que l'éducation, la justice, le travail et la santé, sans oublier la police et la gendarmerie.
Replaçons ce projet de loi dans la politique générale développée depuis un an par votre gouvernement. Si l'on considère, par exemple, les ordonnances réformant le code du travail, on s'aperçoit que vous avez supprimé les CHSCT en les fusionnant avec d'autres instances. Or le CHSCT était une instance de contrôle des conditions de vie au travail et représentait un recours possible pour les victimes de harcèlement et de violences. Il s'agit donc bien d'un recul des droits des salariés.
Votre texte ne s'attache qu'aux sanctions envers les agresseurs et les violeurs, et pèche par de nombreux oublis. Vous avez d'ailleurs indiqué qu'il s'agissait d'un choix de votre part.
Qu'en est-il de la prévention des violences ? Un véritable travail d'éducation est à mener, aussi bien dans les écoles que dans les formations professionnelles. Or nous ne voyons pas de propositions en ce sens dans le projet de loi.
Qu'en est-il de l'accueil des victimes ? Seulement 10 % des victimes de viol déposent plainte. Les gendarmeries et les commissariats sont surchargés et ne sont pas suffisamment adaptés à la spécificité de la prise en charge des violences sexuelles. Les personnels ne sont pas forcément formés correctement. Là non plus, nous ne voyons pas de propositions de nature à améliorer la situation.
Qu'en est-il de l'application concrète des mesures et des textes existants ? Intéressons-nous, par exemple, à l'ordonnance de protection, dispositif temporaire qui permet de placer sous protection une victime de violence conjugale. Comme l'explique Caroline De Haas dans un article publié récemment par Mediapart, l'ordonnance de protection est l'un des meilleurs outils dont dispose la justice pour protéger les femmes victimes de violences conjugales. Pour la déclencher, il suffit de faire une demande à un juge aux affaires familiales. Or cette mesure n'est pas mise en avant dans votre projet de loi.
Qu'en est-il actuellement de l'application de la loi ? Comme cela a été dit, le viol est un crime ; il relève donc de la cour d'assises. Or, selon plusieurs juristes, 60 à 80 % des affaires de viol seraient correctionnalisées, la justice n'ayant pas les moyens de les traiter correctement. Le phénomène de correctionnalisation illustre le manque de moyens financiers, humains et matériels dont souffre la justice. Celle-ci n'a pas la possibilité d'appliquer les textes de loi en vigueur, ce qui joue malheureusement au détriment des victimes. Comme l'indique le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes dans une de ses analyses, la pratique de la correctionnalisation « minimise la gravité du viol et remet en cause le principe d'égalité devant la justice ».
Qu'en est-il, enfin, des moyens alloués aux associations spécialisées dans les violences sexuelles et sexistes, que vous avez évoquées tout à l'heure, madame la secrétaire d'État ? Le 31 janvier 2018, l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail a été contrainte de fermer son accueil téléphonique. Submergée par un flot ininterrompu de saisines de femmes victimes de violences sexuelles au travail, mais aussi de professionnels à la recherche d'informations, elle n'était plus en mesure de répondre à toutes les demandes. À l'instar de nombreuses autres associations actives sur l'ensemble du territoire, l'AVFT réalise un travail que les institutions et structures de l'État ne réalisent pas ou plus. Ces associations développent une véritable expertise de terrain, s'adaptent à la spécificité de chaque cas et traitent des centaines de milliers de situations par an. Les associations sont un des piliers de la prévention des violences et de l'accompagnement des victimes. Or rien n'est fait pour pérenniser leur action, ni a fortiori pour la développer.
Nous l'avons indiqué à plusieurs reprises : le manque de moyens est flagrant. Vous nous avez répété que le budget n'avait pas baissé en 2018, mais, comme vous l'avez dit également, la parole se libère et les besoins augmentent ; le budget actuel est donc largement en deçà des besoins.
Vous avez fait le choix d'un projet de loi médiatique, avec votre Tour de France de l'égalité, vos passages dans les médias, vos petites formules. Cette façon de procéder renvoie davantage à une volonté d'affichage et de communication qu'à une réelle prise en charge du problème des violences sexuelles et sexistes.
Je le répète : votre texte manque d'ambition et se résume globalement à une augmentation des sanctions. La prévention est insuffisante, voire inexistante. Tel est aussi le cas de la politique d'amélioration de l'accueil et de l'accompagnement des victimes. Les moyens alloués ne permettent ni aux associations ni à la justice de fonctionner correctement. L'égalité territoriale n'existe pas en matière d'accès aux structures d'aide aux victimes.
Le nombre de violences sexuelles et sexistes est très élevé en France. Il faut effectivement, comme vous l'avez dit, que les pouvoirs publics agissent. Or vous ne proposez aux victimes, à travers ce texte, que des effets d'annonce. La question des violences sexistes et sexuelles méritait mieux.