Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'État, madame la rapporteure, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, qu'elles soient physiques ou psychologiques, qu'elles se produisent dans des lieux publics ou au sein même de la sphère familiale, les violences sexuelles et sexistes sont multiples, variées et omniprésentes au sein de notre société. Pour ne parler que des viols, ce sont 250 000 personnes, dont 60 % de mineurs, qui en sont victimes chaque année. Les combattre est bien plus compliqué que de lutter contre toute autre forme de violence, car le sentiment de culpabilité, le poids des mentalités et l'influence de l'entourage et de la société se mêlent bien souvent à la souffrance des victimes et les entravent dans la manifestation de la vérité.
Si, aujourd'hui encore, 9 % seulement des victimes portent plainte et si 10 % seulement de ces plaintes aboutissent à une condamnation, c'est bien que le chemin demeure long et semé d'embûches. Trop de femmes, d'hommes et d'enfants dans notre pays parlent la même langue : le silence.
Devant l'ampleur de la tâche qui nous attend, l'initiative de ce projet de loi, qui s'inscrit dans un formidable contexte de libération de la parole des femmes, est à saluer.
Ce texte dans lequel beaucoup ont placé leurs espoirs, peut décevoir, voire inquiéter certains d'entre nous.
On peut certes lui reprocher de ne contenir que peu de dispositions, ou d'aborder la lutte contre les violences sexuelles et sexistes sous le seul angle répressif. On peut également s'interroger sur l'opportunité de ne pas instaurer de présomption de non-consentement, comme le Gouvernement s'y était engagé au départ, ou sur l'effectivité concrète du nouvel outrage sexiste créé par le projet de loi. Il n'en demeure pas moins qu'il contient des mesures fortes et lourdes de sens, qui peuvent et doivent accompagner l'évolution des mentalités en cours.
Ce texte dit clairement qu'un adulte ayant été victime de viol ou d'agression sexuelle dans son enfance vit un profond traumatisme et doit pouvoir demander réparation des années plus tard. Ce texte affirme aussi qu'une remarque ou des comportements à caractère sexiste ou sexuel, humiliants ou dégradants, résumés dans le terme de « harcèlement de rue », ou le harcèlement en ligne, ne sont pas des actes anodins et doivent être réprimés. Ce texte réaffirme surtout que les victimes n'ont aucune part de responsabilité dans les violences qu'elles ont subies, que ces violences sont inacceptables et que les auteurs doivent être punis en conséquence.
Grâce à son article 1er, l'allongement du délai de prescription, longtemps défendu en vain par les parlementaires sous la précédente législature, en particulier par le groupe UDI, verra enfin le jour ; l'on ne peut que s'en réjouir. Cependant, nous avons tous entendu les témoignages poignants de victimes qui, souffrant d'amnésie traumatique, ne prenaient conscience que des années plus tard de l'agression ou du crime qu'elles avaient subi, parfois trop tard aux yeux de la justice pour obtenir réparation. Si l'article 1er permet de mettre un terme à cette situation intolérable pour un certain nombre de victimes souffrant d'amnésie traumatique, le risque d'absence de réponse pénale ne disparaît pas totalement pour autant. Sur ce sujet, je souhaite que nous ayons l'occasion de débattre du report du point de départ du délai : c'est le sens d'un amendement que j'ai déposé.
Concernant les infractions sexuelles sur mineurs, visées à l'article 2, le Gouvernement propose un dispositif qui se veut plus protecteur afin de déduire de l'abus de vulnérabilité de la victime un élément constitutif de l'agression. Cet article sera probablement celui qui fera le plus débat au cours de la séance à venir. Je crois pour ma part que la rédaction finalement retenue permet de surmonter les obstacles constitutionnels, tout en répondant à l'objectif de renforcer la pénalisation des agressions sexuelles et des viols commis à l'encontre des mineurs. Outre le renforcement des peines, auquel contribuent l'assouplissement de la définition du harcèlement moral ou sexuel et la création de la contravention pour outrage sexiste, c'est d'une politique ambitieuse de sensibilisation de toute la société dont nous avons besoin, selon les termes utilisés, en février 2018, par le groupe de travail du Sénat sur les infractions commises à l'encontre des mineurs.
Lutter contre ce type de violence nécessite une meilleure prévention, un meilleur accompagnement et une vraie protection des victimes. Éduquer les générations futures, c'est combattre ces violences à la racine. Nos collègues Sophie Auconie et Marie-Pierre Rixain, auteures d'un rapport d'information sur le viol dont je tiens à saluer l'excellence, ont fait référence à cette prévention par l'éducation. Si notre législation prévoit déjà une information et un enseignement obligatoire à la sexualité, elle n'est que trop peu appliquée. Il est urgent de nous assurer que cet enseignement soit effectivement dispensé à chaque élève et que chaque enseignant bénéficie réellement des actions de sensibilisation aux violences intrafamiliales, aux violences faites aux femmes et aux mécanismes d'emprise psychologique dans son cursus de formation. Nous devons aussi être attentifs à l'amélioration des dispositifs de protection des victimes, trop nombreuses encore à dénoncer la façon dont sont reçues leurs plaintes. L'expression et la prise en compte de leur parole doivent être favorisées, facilitées et encouragées.
Enfin, je ne peux terminer mon propos sans évoquer brièvement le cas des outre-mer. En mars 2017, un rapport du Conseil économique, social et environnemental a révélé que les violences faites aux femmes sont plus nombreuses dans les outre-mer, et en particulier dans les collectivités du Pacifique. La Nouvelle-Calédonie bat de bien tristes records, puisque les violences y sont sept fois plus élevées qu'en métropole. Si la majeure partie des réponses apportées relève de la compétence de ces territoires, je tiens à alerter le Gouvernement sur la nécessité de garantir la généralisation des enquêtes et dispositifs de protection dont ils ne bénéficient pas encore, par exemple l'enquête Virage, le Téléphone Grave Danger ou des dispositifs d'accompagnement d'urgence des victimes.
En conclusion, même si j'attends de nos débats qu'ils enrichissent ce projet de loi, à l'instar des travaux en commission des lois, je gage que ce texte fera l'objet in fine d'un large consensus pour ce qu'il représente, à savoir une réelle avancée dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans notre pays.