Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, chers collègues, deux verdicts de cour d'assises ont provoqué un choc et ont jeté une lumière crue sur un phénomène massif et une réalité d'autant plus douloureuse qu'elle est trop souvent silencieuse.
Les engagements au plus haut niveau de l'État, les multiples expertises et missions, un Tour de France citoyen inédit ont suscité une immense attente et ont mis en évidence l'urgence d'une réponse globale pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes. L'idée s'est ainsi généralisée que 2018 serait une année marquante pour renforcer la protection des mineurs, qui représentent près de 60 % des victimes de viol.
Certes, nous ne partons pas de rien, ni sur le plan pénal – des infractions nombreuses existent déjà – , ni sur celui des mesures d'accompagnement et de prévention – sans compter, bien sûr, l'action et le dévouement inlassables des associations ! Mais la réalité est là, et elle est redoutable. Les violences sexuelles restent très peu jugées : 10 % des victimes portent plainte, 1 % des viols aboutit à une condamnation. Points aveugles du droit, traumatismes psychologiques, accueil inadapté des victimes, la peur, la honte : les causes en sont de plus en plus finement répertoriées. De même, il est admis que pour être décisives, les réponses doivent aller bien au-delà du seul cadre pénal et concerner de manière préventive et éducative des champs aussi différents que le monde du travail, les contenus audiovisuels, la publicité ou encore, désormais, les réseaux sociaux. Ces réponses devront, de surcroît, intégrer la nécessaire prise en charge des agresseurs.
Soyez certaines, mesdames les ministres, que nous resterons à cet égard très attentifs au déploiement des actions pour l'égalité réelle entre les hommes et les femmes et des mesures pour l'accompagnement des victimes. Mais, pour l'heure, l'enjeu est surtout de renforcer, du point de vue pénal, la protection des mineurs face aux violences sexuelles, dans le respect des garanties constitutionnelles. C'est le sens de l'article 2 et, à en juger par les rédactions successives auxquelles il a déjà donné lieu, la recherche de l'équilibre est un exercice délicat qui doit inciter à une certaine humilité.
Les violences sur mineurs constituent une violation absolue des droits de l'enfant. Cette conviction doit conduire à rechercher leur protection absolue ou, du moins, maximale. D'où ma première question : la dernière formulation de l'article 2, qui vise à renforcer la protection des mineurs de quinze ans en se fondant sur la question centrale de leur capacité de discernement, est-elle suffisante pour atteindre ce degré de protection maximale pour tous les mineurs de moins de quinze ans ?
Ma deuxième interrogation porte sur la création d'un nouveau seuil d'âge à treize ans. Pour l'ensemble des associations de protection de l'enfance comme pour les experts médicaux, mais aussi pour une instance comme le Haut Conseil à l'égalité, un mineur de moins de treize ans est un enfant, dont la protection passe par un interdit clairement énoncé.
Contrairement à ce que vous avez laissé entendre à plusieurs reprises, madame la secrétaire d'État, il ne s'agit ni d'un recul, ni d'un niveau de protection moins élevé. Loin de supprimer le seuil de quinze ans, il s'agit au contraire de le compléter avec deux nouvelles infractions, afin de renforcer la protection quand il s'agit d'un enfant de moins de treize ans. Cette hypothèse a-t-elle été soumise à l'avis du Conseil d'État ? Est-elle constitutionnellement envisageable, ou bien la seule perspective d'une question prioritaire de constitutionnalité a-t-elle conduit à l'écarter ?
La correctionnalisation des viols – seuls 3 % sont jugés en cour d'assises – , dont les conséquences sur les victimes sont loin d'être négligeables, est très souvent dénoncée. C'est pourquoi l'inscription dans la loi de la question subsidiaire de la qualification d'atteinte sexuelle, qui vient légaliser une pratique déjà en cours dans les juridictions, mais aussi la création d'une nouvelle infraction d'atteinte sexuelle avec des peines plus lourdes, font craindre qu'il n'y ait aucune remise en cause véritable dans ce domaine.
Notre responsabilité, ici, est de lever toutes les ambiguïtés de la législation actuelle, sans en créer de nouvelles. Elle est d'autant plus forte qu'à la nécessité de poursuivre des comportements anciens, mais désormais intolérables, s'ajoutent de nouveaux défis : l'apparition, via internet, de nouvelles formes de violences sexuelles et sexistes oblige à adapter, mais aussi à anticiper les réponses pénales. Le harcèlement en ligne, les raids numériques sont devenus les exemples types de ces nouvelles agressions liées au numérique et dont les jeunes filles sont les principales victimes.
L'article 3 a le mérite d'ouvrir la voie en prévoyant des sanctions pénales. Mais la lutte contre la cyber-violence exige, là encore, une action globale et urgente à la mesure même de la rapidité fulgurante à laquelle ces phénomènes massifs se répandent. Il n'est pas anodin que l'enquête Virage de 2016 n'ait pas intégré cette dimension.
Je terminerai en vous demandant de prendre en compte les outre-mer au-delà de l'article 5, en sorte que nous n'ayons pas à mener, en plus, le combat des moyens budgétaires.