Intervention de Fannette Charvier

Séance en hémicycle du jeudi 17 mai 2018 à 15h00
Droit voisin au profit des éditeurs de services de presse en ligne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFannette Charvier :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, avec l'essor du numérique et l'épanouissement des pratiques digitales, la presse papier a dû s'adapter à de nouveaux usages pour survivre. En s'investissant assez tôt sur internet, les éditeurs de presse ont compris que le numérique pouvait être une solution dans un secteur souffrant cruellement de la baisse de ses recettes.

D'une consultation totalement gratuite des contenus numériques il y a quelques années, financée en partie par les revenus publicitaires, le modèle a évolué vers un accès payant ou semi-payant aujourd'hui. La gratuité comportait un défaut majeur : elle ne prenait pas en compte le fait qu'internet ne fixait aucune limite à l'espace offert aux annonceurs. Or, la valeur de la publicité s'est depuis effondrée et même si le marché publicitaire existe toujours, il a été capté par les grandes plateformes du numérique, les fameux GAFAM, qui se différencient par une connaissance intime de chacun de leurs consommateurs.

Parallèlement, la filière de l'information en ligne a vu l'apparition de ce que l'on appelle les infomédiaires, ces acteurs de l'internet qui fournissent un accès organisé aux informations en faisant l'intermédiaire entre les producteurs d'information et l'usager, qu'il soit particulier ou professionnel. Ces infomédiaires, au premier rang desquels on retrouve bien sûr plusieurs des GAFAM, nous les côtoyons tous, tous les jours : en consultant par exemple des services d'informations en ligne présentant de façon automatisée des articles en provenance de différents éditeurs de presse ; ou encore en publiant et partageant sur les réseaux sociaux les dernières actualités ou l'enquête journalistique du moment. Et nous le faisons gratuitement. Mais, comme le rappelait justement une tribune dans Le Monde, cosignée par des agences de presse, « en matière d'information, la gratuité est un mythe ». Cette information a un coût, elle doit aussi avoir un prix.

La question est donc de savoir dans quelle mesure les infomédiaires contribuent à rémunérer la production de l'information vers laquelle ils renvoient. Si Google et Facebook ont mis en place des systèmes de rétribution qui sont sans nul doute une goutte d'eau par rapport à ce que leur rapporte la valorisation des contenus auprès des annonceurs, d'autres agrégateurs de contenus ne déboursent pas un centime.

Le compte n'y est pas et cette spoliation est à l'origine de la fragilisation, voire de la disparition d'une certaine pluralité de l'information. Sans régulation, cette hyperconcentration représente pour l'avenir un véritable danger, danger pour le pluralisme et pour l'économie de tout un secteur.

L'instauration d'un droit voisin du droit d'auteur au profit des éditeurs et des agences de presse permettrait de pallier la perte de valeur induite par les moteurs de recherche et les agrégateurs de contenus. Ce nouveau droit permettrait, en outre, de confirmer le rôle important que jouent les éditeurs et les agences de presse en termes d'investissement et de contribution à la création de contenus journalistiques de qualité. Le droit voisin doit devenir une composante à part entière du modèle économique de la presse en ligne.

Pour ce faire, deux options s'offrent à nous aujourd'hui. La première consiste à soutenir la proposition de directive de la Commission européenne sur le droit d'auteur qui est en discussion et dans laquelle la création d'un droit voisin au profit des éditeurs de presse est acquise. Reste à parvenir à un compromis sur certaines des modalités, mais les choses avancent – j'y reviendrai dans quelques instants.

La seconde option est de légiférer au niveau national : tel est l'objet de cette proposition de loi. Alors oui, on peut regretter la lenteur au niveau européen et penser qu'un petit coup de pouce du Parlement français pourrait à la fois faire bouger les choses en Europe et contraindre les infomédiaires dans notre pays.

Mais, en vérité, l'adoption de cette proposition de loi, en l'état et à ce moment précis, ne donnera pas plus de force aux positions défendues par la France, bien au contraire ; elle ne fera pas plier les grosses plateformes numériques à qui il est difficile d'appliquer une législation nationale ; enfin, une fois que cette directive sera adoptée – et elle le sera – , elle devra être transposée, ce qui rendra de fait complètement caduques les dispositions que cette proposition de loi entend inscrire dans notre droit.

Vous l'aurez compris, si notre destination est la même, nous sommes en désaccord à la fois sur la route qu'il faut emprunter pour y parvenir, et sur l'heure à laquelle il faut partir. C'est pourquoi je défendrai tout à l'heure une motion pour que cette proposition de loi puisse être renvoyée en commission.

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