Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, cette proposition de loi concerne un pilier essentiel de notre démocratie, cher à notre pays des droits de l'homme : la presse, dont le pluralisme et la diversité sont aujourd'hui menacés par internet.
L'ère numérique a complètement bouleversé le modèle économique du monde de l'information. Aujourd'hui, ce sont les grandes plateformes comme Facebook ou Google qui aspirent l'essentiel des richesses créées, alors qu'elles ne produisent aucun contenu intellectuel, ne rémunèrent aucun journaliste et ne consentent aucun investissement pour faire tourner une salle de rédaction.
Les véritables acteurs du travail journalistique, éditeurs et agences de presse, eux, voient fondre leur chiffre d'affaires à cause de la dispersion gratuite du fruit de leur travail.
On ne peut pas reprocher à la presse française de n'avoir pas pris le virage du numérique. Très vite, des quotidiens nationaux ou régionaux ont créé des sites internet, prolongements naturels des éditions papier. Ces sites gratuits, ou presque, devaient trouver un équilibre financier avec la publicité, mais le monde d'internet est complexe. Il était difficile de prévoir que ces espoirs seraient peu à peu déçus, que les ressources publicitaires seraient vite absorbées par Google ou d'autres sites d'annonces gratuites.
Malheureusement, cette tendance progresse, les géants du Web renforcent chaque jour leur rôle de porte d'entrée vers l'information et la communication. La presse s'en trouve très fragilisée, en particulier en région, comme dans le Jura, où certains journaux auxquels nous sommes très attachés, parce qu'ils constituent un lien de communication majeur entre les territoires, doivent envisager des restructurations et des suppressions de postes de journaliste. Sans régulation politique, nous nous dirigeons dangereusement vers l'asphyxie de la presse, donc vers un appauvrissement culturel et surtout vers l'affaissement du quatrième pouvoir, indispensable dans une démocratie.
Il est donc urgent d'assurer un partage équitable entre les GAFAM et les médias. C'était tout le sens de l'appel lancé en décembre dernier par neuf agences de presse européenne, dont l'AFP, qui demande une obligation, pour les grands acteurs du numérique, de verser une rémunération aux médias pour les millions de contenus consultés sur leurs plateformes.
C'est ce que prévoit, au niveau national, la présente proposition de loi de notre collègue du MODEM Patrick Mignola. Ce texte de grande qualité souligne bien l'engagement et la détermination de notre pays à préserver la pérennité financière des éditeurs et des agences de presse, et à consacrer la propriété intellectuelle de leur travail.
Cependant, les enjeux du numérique et la puissance des GAFA appellent non pas une action isolée de la France, mais une réponse à l'échelle communautaire. C'est l'objectif de la proposition de directive européenne de septembre 2016, qui vise à conférer un droit voisin aux éditeurs de presse.
Comme l'a dit Mme la ministre, la France soutient de toute sa force cette directive dans le cadre des négociations européennes en cours, qui ont de bonnes chances d'aboutir : une majorité en faveur des droits voisins se dessine au Conseil européen et au Parlement de l'Union européenne. Mais adopter isolément aujourd'hui une loi au niveau national n'aurait que peu de poids sur les géants du Web établis hors de nos frontières. En outre, nous avons intérêt à ce que tous les pays européens parlent d'une seule et même voix pour imposer à l'univers du numérique les valeurs éthiques et culturelles d'une Europe humaniste. C'est pourquoi nous voterons la motion de renvoi en commission.