Intervention de Raphaël Gérard

Réunion du mardi 15 mai 2018 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRaphaël Gérard, rapporteur pour avis :

Monsieur le président, mes chers collègues, le projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dit projet de loi « ELAN », déposé le 4 avril 2018 et renvoyé pour examen au fond à la commission des Affaires économiques, contient quelques dispositions – certes peu nombreuses mais ô combien importantes – intéressant tout particulièrement notre commission des Affaires culturelles et de l'Éducation, qui s'en est donc saisie pour avis.

Le projet s'articule autour de quatre grandes priorités, chacune portée par un titre du texte. Il vise en premier lieu à construire « plus, mieux et moins cher », en cherchant à donner aux professionnels les moyens d'être plus efficaces. Dans cette perspective, il crée, à côté des opérations d'intérêt national (OIN), deux nouveaux outils : le contrat de projet partenarial d'aménagement (PPA) qui pourra lui-même déboucher sur la définition de « grandes opérations d'urbanisme » (GOU) devant permettre de mieux associer le niveau intercommunal.

En second lieu, le projet de loi propose une réforme structurelle du secteur du logement social, afin de le consolider et de lui permettre de mieux assurer ses missions. Il entend par ailleurs favoriser la mobilité et la mixité sociale dans le but de mieux répondre aux besoins des occupants, et notamment de s'adapter aux exigences d'une plus grande mobilité professionnelle. Il vise, enfin, à améliorer le cadre de vie et propose notamment la création d'un contrat pour la revitalisation des centres-villes.

Sur les soixante-cinq articles que comporte le projet de loi, notre commission s'est saisie pour avis de sept articles ou parties d'articles :

– Les articles 1er et 2, pour ce qui est de leurs dispositions étendant le champ d'application du « permis d'innover », institué par la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, dite loi « LCAP », au périmètre des nouvelles GOU et confirmant son application dans le périmètre des OIN (nouveaux articles L. 312-5 et L. 102-13 du code de l'urbanisme) ;

– Les articles 3 et 5, pour ce qui est de leurs dispositions excluant l'application de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée, dite loi « MOP », pour les ouvrages d'infrastructure situés dans le périmètre d'une OIN ou d'une GOU – paragraphe V de l'article 3 – et les ouvrages de bâtiment dont la maîtrise d'ouvrage est assurée par le concessionnaire d'une opération d'aménagement – paragraphe III de l'article 5 ;

– L'article 15 relatif aux avis des architectes des Bâtiments de France en secteur protégé : un avis simple, et non plus conforme, serait désormais exigé pour l'installation des antennes de téléphonie mobile, et pour les autorisations de démolir portant sur des bâtiments insalubres ou frappés d'un arrêté de péril ;

L'article 20, pour ce qui est de sa disposition prorogeant de trois ans supplémentaires l'application de l'expérimentation de conception-réalisation sans justification particulière octroyée aux organismes de logement social – paragraphe I de l'article 20 ;

– Enfin, les paragraphes V et VI de l'article 28 sur le logement social, qui, respectivement, exonèrent les organismes du secteur des obligations prévues par la loi MOP de 1985, et reviennent sur une des dispositions de la récente loi LCAP qui avait rendu obligatoire pour tous les maîtres d'ouvrage assujettis à la loi MOP le recours à un concours d'architectes, afin d'en exclure la réalisation de logements sociaux.

Au-delà de ces dispositions, j'ai exercé une vigilance particulière sur toutes les dispositions du texte qui peuvent avoir un impact sur la qualité architecturale des constructions nouvelles et des aménagements, notamment l'article 19, qui habilite le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance des mesures pour adapter le régime applicable au contrat de construction d'une maison individuelle en préfabriqué, et l'article 54, qui porte création des contrats pour la revitalisation des centres-villes.

Pour la préparation de cet avis, j'ai procédé à plus de vingt-cinq auditions, entendant aussi bien des architectes et des organisations représentatives de la profession que des représentants des bailleurs sociaux, ou des représentants des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) et des agences d'urbanisme. J'ai également reçu des représentants d'associations de défense du patrimoine et l'Association nationale des architectes des Bâtiments de France. Je me suis enfin entretenu, par visioconférences, avec différents acteurs ultramarins – élus, représentants associatifs, architectes – afin de mieux cerner les enjeux propres à l'application outre-mer des dispositions du projet de loi.

Ces auditions ont été riches d'enseignements. Sur la forme tout d'abord, il apparaît assez clairement que certaines dispositions du projet de loi, qui reviennent sur des articles de la très récente loi LCAP, marquent une forme de « revanche » de certains acteurs de la construction que ce texte n'avait pas satisfaits, et qui avaient estimé que sa préparation avait manqué de concertation. Il semble que le présent projet de loi ELAN soit, lui aussi, malgré l'organisation d'une conférence de consensus, marqué par un certain manque de dialogue en amont entre les différents ministères concernés, et par une trop faible association des professionnels du secteur aux dispositions finalement contenues dans le projet de loi adopté en conseil des ministres le 4 avril 2018. Les prises de position des uns et des autres s'en trouvent sans doute plus outrées que nécessaire. J'ai le sentiment qu'une convergence des points de vue est à portée de discussion, dans la mesure où l'on saura trouver un cadre à cette discussion. Reste que ni la loi MOP ni le concours d'architectes ne sont tenus par leurs défenseurs comme des modèles idéaux ; tous s'entendent sur la nécessité de moderniser la première et de simplifier le second, là où le projet de loi adopte une démarche plus radicale de suppression.

J'appelle donc de mes voeux une grande concertation, en parallèle de l'examen parlementaire du projet de loi, afin d'élaborer un nouveau modèle d'intervention de l'architecte, qui pourrait trouver sa traduction juridique dans un décret d'application de l'article 3 de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture, dont je propose d'introduire le principe par amendement. Ce nouveau régime trouvera à s'appliquer, notamment, à ceux des maîtres d'ouvrage publics que le projet de loi fait sortir du champ de la loi MOP.

Plus largement, je juge assez désastreuse la méthode qui a prévalu jusque-là, quels qu'aient été les gouvernements, sur les questions architecturales, ballottées au gré des textes et de la prééminence d'un ministère sur l'autre. Il me paraît nécessaire qu'elles soient désormais traitées dans le cadre d'une entité interministérielle, sous forme d'une mission interministérielle de la qualité des constructions, publiques ou privées – forme rénovée et renforcée de l'actuelle mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (MIQCP) qui a montré ses faiblesses. En tout état de cause, il apparaît que la tutelle de la profession réglementée d'architecte exercée par le seul ministère de la culture est plus souvent problématique que valorisante pour la profession.

La concertation que j'appelle de mes voeux serait de nature à apaiser les craintes, parfois vives, exprimées sur certaines dispositions du projet de loi par les défenseurs du patrimoine et de la création architecturale. N'oublions pas que la création d'aujourd'hui est le patrimoine de demain : les lois de 1977 sur l'architecture et de 1985 sur la maîtrise d'ouvrage publique ont été élaborées en réaction aux errements de la construction après-guerre, où l'absence de règles, justifiée par l'urgence de reconstruire le pays et le manque de prise de conscience des enjeux qualitatifs, a laissé produire des bâtiments de piètre qualité dont nous ne cessons aujourd'hui de payer le prix – à tous points de vue.

Nous ne pourrons pas dire que nous n'étions pas conscients de ces enjeux au moment de l'examen du présent projet de loi. C'est la raison pour laquelle je juge nécessaire qu'un nouveau cadre soit substitué à celui que le projet de loi supprime. On objecte souvent que les conditions de la construction aujourd'hui ne sont pas celles d'hier, et que les bonnes pratiques ont irrigué toutes les procédures. Dont acte ; il est néanmoins plus que douteux que ces bonnes pratiques, héritées d'un cadre juridique adapté, survivent pendant plusieurs générations chez des acteurs du bâtiment qui n'auront justement pas connu un tel cadre juridique.

Certes, la loi MOP n'est peut-être plus totalement adaptée aux enjeux de la construction d'aujourd'hui, notamment parce que le séquençage qu'elle impose, des études préparatoires à l'exécution du chantier, se trouve en décalage avec les méthodes de construction numérique faisant appel aux techniques du BIM (Building Information Modeling) qui permettent l'intervention collaborative des différents acteurs tout au long des projets. Mais les principes protecteurs qu'elle pose doivent être maintenus dans notre droit, qu'il s'agisse de la transparence dans l'attribution des marchés ou de la qualité des constructions ; de nouvelles procédures doivent être définies afin de garantir leur bonne application.

Cette loi repose sur un triumvirat : le maître d'ouvrage public, responsable principal de l'ouvrage chargé d'en définir le programme, d'en assurer le financement et de conclure les contrats d'étude et d'exécution des travaux ; le maître d'oeuvre, chargé des études et du contrôle de l'exécution du chantier ; l'entrepreneur enfin, chargé de l'exécution des travaux.

La maîtrise d'oeuvre est confiée à une équipe pluridisciplinaire, associant, sous la responsabilité de l'architecte, un bureau d'études, mais également, si le projet le justifie, un urbaniste, un paysagiste, un acousticien, etc. L'existence d'une maîtrise d'oeuvre distincte, tant du maître d'ouvrage que de l'entreprise chargée des travaux, est un gage d'indépendance et de qualité des conseils donnés au maître d'ouvrage. La mission complète donnée à l'architecte, de la conception du projet à la levée des réserves un an après achèvement du chantier, constitue en outre un atout pour la cohérence des projets.

La qualité architecturale des constructions est un enjeu de long terme pour notre pays, qui doit rompre avec cette « France moche » souvent décriée. N'oublions pas les enjeux touristiques attachés à la qualité patrimoniale de nos centres anciens. Le programme « Action coeur de ville » lancé par le Gouvernement s'inscrit d'ailleurs pleinement dans cet objectif. La construction de logements neufs ne constitue pas l'unique réponse aux besoins de nouveaux logements : la réhabilitation des centres anciens représente une bonne réponse à l'étalement urbain et à la multiplication des constructions nouvelles au détriment des terres agricoles, à la revitalisation des commerces comme aux enjeux de pollution atmosphérique. Elle fait cependant appel à des compétences plus délicates à manier que la construction bétonnée ex nihilo.

Cet enjeu de la protection du patrimoine est soulevé avec une particulière acuité par l'article 15 du projet de loi qui remet en cause, dans deux champs très restreints – l'installation des antennes relais de téléphonie mobile et la démolition de bâtiments insalubres ou en état de péril –, le principe de l'avis conforme de l'architecte des Bâtiments de France, qui représente l'État, pour des autorisations d'urbanisme délivrées par les maires ou les intercommunalités en secteur protégé au titre du code du patrimoine.

Si l'exercice de leur fonction par les ABF n'est pas toujours optimal, souvent par manque de dialogue en amont avec les porteurs de projet et les élus, le principe de leur intervention ne saurait être remis en cause, sous peine de mettre à mal toute notre législation de protection du patrimoine. La rédaction actuelle de l'article 15, en ce qu'elle n'emporte que deux entorses limitées au principe, ne remet pas en cause notre législation ; il en irait différemment d'initiatives remettant plus largement en cause l'avis conforme des ABF, et contre lesquelles je me battrai avec conviction.

L'acte de construire, quant à lui, s'inscrit dans un temps beaucoup plus court – quelques années tout au plus – et répond à des enjeux de rentabilité économique qui peuvent entrer en contradiction avec la qualité du bâti et la qualité de vie de ses occupants. Ainsi, il a pu être observé ces dernières années que, si la qualité des équipements techniques des logements avait pu progresser, leur qualité spatiale et d'usage s'était fortement dégradée : des surfaces réduites, des cuisines ouvertes sur de petits séjours ne bénéficiant plus d'éclairage direct ni de ventilation naturelle, des parties communes dépourvues de fenêtres et inhospitalières, une réduction globale de la qualité des matériaux employés.

C'est dans la conciliation de ces différentes échelles de temps que s'inscrit le rôle fondamental de l'architecte, qui prend en compte les projets dans toutes leurs dimensions. Concepteur, mais aussi gestionnaire d'un projet de construction, l'architecte dispose de compétences mêlant une dimension artistique et des compétences techniques lui permettant d'adapter le geste architectural aux contraintes du projet et de l'espace dans lequel il se déploie, aux contraintes économiques et au respect des normes. Pour ce faire, il bénéficie d'une formation initiale exigeante et d'une formation continue obligatoire. Ce rôle avait été tout particulièrement mis en lumière par le rapport d'information sur la création architecturale, remis par l'ancien président de notre commission, M. Patrick Bloche, le 2 juillet 2014, et dont certaines préconisations avaient été intégrées à la loi LCAP. La mission d'information qu'il présidait s'était « donné pour tâche d'ouvrir la voie à une évolution essentielle : remettre l'architecte au centre du projet architectural et urbain pour assurer la qualité du cadre de vie de chacun ».

Le logement social, secteur en pointe dans la création architecturale depuis des décennies – situation singulière que bon nombre de pays étrangers nous envient – constitue une bonne illustration du rôle des architectes. La prise en compte du facteur temps par les bailleurs sociaux n'est pas étrangère à cette situation. Ayant à assurer la gestion des bâtiments qu'ils font construire, ceux-ci sont particulièrement attentifs à deux notions qui guident aussi les architectes : le « coût global », qui inclue non seulement le coût de la construction mais aussi les coûts d'entretien et de maintenance, et la valeur d'usage, qui prend en compte l'impact de la construction sur les occupants. Selon moi, la réduction des coûts de construction est une fausse bonne idée si elle conduit à l'augmentation des coûts d'entretien et de maintenance, les économies de court terme étant largement dépassées par l'accroissement du coût global à terme. De la même manière, il serait vain de construire un bâtiment de logements sans s'interroger sur les modes de vie et les attentes de leurs futurs occupants. Les architectes sont rompus à trouver des solutions innovantes, par exemple pour adapter les aménagements intérieurs à une cellule familiale à géométrie variable, du fait de la multiplication des familles recomposées par exemple. C'est la réflexion globale sur les usages qui permet qu'un cercle vertueux s'engage, fondé sur la fierté des habitants d'occuper un beau bâtiment, dans lequel ils se reconnaissent, dans lequel il leur est agréable de vivre, parce que son insertion dans l'environnement a été pensée et que les modes de vie actuels ont été intégrés dès la conception du projet.

En matière de logement social toutefois, l'explosion de la part de logements construits en VEFA – vente en état futur d'achèvement – par des promoteurs privés pour le compte des bailleurs sociaux est un sujet de grande préoccupation : ce mode de construction ne permet pas de s'entourer des garanties prévues par la loi MOP. D'après l'Union sociale de l'habitat, la proportion des logements sociaux acquis en VEFA avoisinait 50 % en 2016, contre 28 % en 2010 et 5 % en 2005, marquant ainsi un changement structurel. Cette situation mérite d'être rapidement analysée dans la mesure où la construction en VEFA est globalement plus coûteuse que la maîtrise d'ouvrage classique, alors même qu'en matière de logements sociaux, les fonds mobilisés sont des fonds publics.

L'acte de construire n'est donc pas qu'un acte technique répondant à des contraintes économiques ; c'est aussi un acte éminemment culturel. Et cet acte culturel ne doit pas être vu comme « la cerise sur le gâteau » de la construction avec laquelle il forme un tout.

En fixant les conditions de la construction des logements, le présent projet de loi aura un impact important sur la qualité architecturale des nouvelles constructions et la qualité de vie de nos concitoyens au cours de prochaines décennies, d'autant plus que, directement accessible, l'architecture des bâtiments s'impose à tous. Contrairement à un musée ou à un spectacle où le public choisit de se rendre, ce premier accès à la culture qu'est l'observation de l'environnement architectural dans lequel on se trouve est libre et gratuit ; il est aussi incontournable. D'où le devoir qui s'impose aux constructeurs de nouveaux bâtiments de préserver la qualité architecturale. L'architecture est une composante importante de l'identité culturelle d'une société et d'un territoire. Elle est l'expression d'un héritage et le reflet des modes de vie et de leur évolution. Ayons pleinement conscience des enjeux que soulève ce projet de loi.

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