Madame Colboc, madame Calvez, je veux immédiatement vous rassurer : la création d'un droit voisin s'accompagnera de celle d'un organisme de gestion collective pour mener une négociation, puis effectuer la répartition des revenus des ressources ainsi obtenues. Un tel système de gestion collective – il en existe plusieurs en France, comme le Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC) que notre commission connaît bien – est constitué d'éditeurs connus qui, statutairement, s'acceptent les uns les autres. L'idée même qu'un éditeur diffusant des fausses informations, venant, par exemple, au hasard, de Russie, puisse participer à un organisme de gestion collective européen ou français est donc inenvisageable. Si je me souviens bien, l'objectif 5 du programme pour la culture du candidat à la présidence de la République, M. Emmanuel Macron, prévoyait à la fois de proposer une loi contre les fake news et de soutenir la création d'un droit voisin. Les deux sont donc compatibles.
Vous avez raison, madame Duby-Muller, c'est une chance exceptionnelle que notre pays connaisse une augmentation du lectorat de sa presse. Il s'agit d'un véritable atout démocratique qui nous rappelle notre responsabilité : nous devons faire en sorte que les éditeurs de presse subsistent, mais aussi les journalistes, car ils sont également menacés. Dans un premier temps, il faut assurer un nouvel équilibre de la presse, pour qu'elle continue à payer les salaires d'aujourd'hui, mais, demain, il faudra aussi que les éditeurs de presse soient en mesure de penser à la « co-rémunération » des journalistes si les revenus générés pouvaient excéder les recettes publicitaires attendues.
Monsieur Larive, j'entends ce que vous dites sur la question fiscale et la nécessité de redéfinir l'ensemble de la législation, mais la relation aux GAFAM comporte selon nous trois piliers, l'un est fiscal, l'autre concerne les fakes news, le troisième est relatif aux droits de la presse. Ces trois éléments ne sont pas fongibles, et il faut prendre garde à ne pas apporter une mauvaise réponse. Vous parlez de la liberté d'accès à internet, mais la création d'un droit voisin concerne les plateformes et les « infomédiaires », pas le consommateur final. Ce n'est pas lui qui aura à payer demain, mais bien les diffuseurs, les « tuyaux » de l'information.
Nous ne portons pas atteinte à la liberté de citer, de travailler, voire de parodier, dans la mesure où, comme pour le droit d'auteur, les liens hypertextes sont exclus de la notion de droits voisins.
Il s'agit d'ailleurs du problème vers lequel les GAFAM veulent nous emmener. Maintenant qu'ils ont à peu près compris que le principe du droit voisin serait reconnu puisqu'il fait quasiment l'unanimité en France et que, chemin faisant, une majorité se dégage au niveau européen, ils veulent réduire à néant, en passant par la fenêtre, ce qu'ils ne sont pas parvenus à empêcher en passant par la porte. Ils veulent assimiler le lien hypertexte qui, dans le cadre d'un droit de citation, sera très logiquement préservé et exclu du droit voisin, aux snippets qui pourraient, demain, être constituées de parties entières d'articles – ce qui viderait de sa substance même l'information élaborée par un journaliste.
Aujourd'hui, le droit voisin, loin de restreindre la liberté, permet qu'elle s'exerce. Si l'on reste dans l'état actuel des choses, la seule liberté qui existe est celle des GAFAM de s'enrichir sur le dos des éditeurs de presse, des agences de presse et des journalistes.
M. Pierre-Yves Bournazel a eu raison de bien rappeler le fondement du droit voisin, et ce qui le distingue du droit d'auteur. Ce fondement est la conséquence de l'organisation des éditeurs de presse et de leurs investissements pour la transition numérique.
Mme Pau-Langevin nous a fait part de son expérience de la relation à l'Europe. Faites, et vous ferez mal : c'est un peu comme l'éducation des enfants. S'agissant des expériences menées à l'étranger, je veux revenir sur le cas espagnol qui a conduit à une baisse de la fréquentation en ligne. Du jour au lendemain, lorsque les Espagnols ont créé une sorte de droit de péage, Google a réagi en fermant Google News. La création de ce droit de péage n'avait pas été négociée préalablement – Google a pris sa décision alors que les décrets d'application n'étaient pas signés. Nous avons désormais cinq ans de recul par rapport à des expériences qui ont été des échecs en matière de mise en place du droit voisin : nous savons que la méthode à utiliser ne peut être que collective et préalable. Ce droit voisin doit nécessairement être mis en oeuvre dans le cadre d'organisme tel que le CFC, sur le modèle de la société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM). Le cheminement des éditeurs de musique a été très long, mais nous savons bien aujourd'hui que l'industrie musicale se porte largement mieux que celle de la presse.
Je remercie M. Laurent Garcia pour le soutien qu'il apporte à cette proposition de loi que nous avons cosignée au sein du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés. Il est important que la France ait une attitude cohérente. Il serait regrettable que nous donnions l'image d'un pays qui ne s'intéresse qu'à la fiscalité, ou aux fake news en période électorale, mais qui procrastine quand il s'agit de faire avancer les droits de la presse.
Je remercie Mme Constance Le Grip dont l'expérience et le témoignage permettent de tempérer l'optimisme de notre collègue Fannette Charvier qui pense que l'aboutissement européen est certain, inéluctable et proche. Je le répète, à ce stade, nous n'avons que des votes reportés et un texte tronqué. Si d'aventure ce projet, dont on nous dit qu'il pourrait être adopté avant la fin de l'année – je n'y crois pas une seconde, mais admettons – arrivait sur la table, la période de validité des droits voisins serait ramenée de vingt ans à un an et ses dispositions se perdraient dans les méandres des confusions entre les hyperliens et les snippets. Ce ne serait même pas la peine de le voter !
Cela dit, admettons, chiche ! La directive aboutit : la réunion a lieu au mois de mai, le vote se déroule au mois de juin, et en septembre, le Parlement européen vote pour – on serait allé au bout du « trilogue », et on aurait battu le record de vitesse de la directive européenne au cours de l'été 2018… Cela ne nous empêche en rien de voter cette proposition de loi le 17 mai prochain. En effet, si la directive était publiée dès le mois d'octobre ou de novembre prochain, nous pourrions la transposer en commission des affaires culturelles lors de la deuxième lecture, au cours de la prochaine « niche parlementaire » du groupe MODEM au mois de novembre – je suis sûr que M. Marc Fesneau, le président de notre groupe, serait susceptible d'accepter que nous l'inscrivions à ce moment-là.
Nous pourrions donc faire oeuvre utile puisque, si la directive était votée, comme on nous l'annonce au ministère de la culture, nous n'aurions plus qu'à la transposer, et nous battrions aussi un record de vitesse. À défaut, nous pourrons doter notre pays d'une législation nationale qui fonctionne parce qu'elle a tiré les conséquences des échecs passés d'autres législations.