Intervention de Jean François Mbaye

Réunion du mardi 13 février 2018 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean François Mbaye :

Quelques mots sur le processus de rapatriement qui nous apparaît très incertain et laisse envisager une situation qui pourrait s'installer dans la durée. Un arrangement sur le retour des personnes déplacées de l'Etat de Rakhine a été conclu le 23 novembre 2017 entre la Birmanie et le Bangladesh. Selon le HCR, 807 972 personnes seraient éligibles au rapatriement en vertu de cet accord. Le 16 janvier les deux pays se sont mis d'accord sur les modalités pratiques du rapatriement. L'objectif est que le processus se fasse sur deux ans et devait commencer le 23 janvier.

Le HCR effectue un recensement des familles et le ministère bangladais de l'intérieur effectue lui aussi un enregistrement biométrique des réfugiés. Sur cette base, une première liste de 100 000 personnes serait en cours d'élaboration. Le rôle du HCR dans ce processus de rapatriement reste incertain. Il n'a d'ailleurs pas été invité à participer à la première réunion du groupe de travail.

Les conditions d'un retour digne, sûr et volontaire ne sont selon nous pas réunies. Plusieurs obstacles s'opposent au rapatriement en toute sécurité des Rohingyas : destruction de leurs villages et de leurs habitations, absence de papiers d'identité et d'état civil, hostilité des populations birmanes locales, incertitudes sur l'accès de l'aide humanitaire (l'accès au nord de l'Arakan n'a que très peu progressé).

Les incendies de village ont continué jusqu'en décembre 2017 et de nombreux incidents sécuritaires sont rapportés, mettant en cause l'armée et des groupes insurgés.

Le contexte intercommunautaire reste extrêmement tendu. Le 9 janvier, l'ARSA a revendiqué la responsabilité d'une embuscade visant un véhicule transportant des militaires dans le nord de l'Etat de Rakhine. Le 16 janvier, une manifestation organisée par des nationalistes bouddhistes arakanais a tourné à l'émeute et a été violemment réprimée par la police birmane, causant la mort de 7 personnes. Je souligne que les nationalistes bouddhistes détestent presque autant les Rohingyas que les Bamars qui détiennent le pouvoir central.

Aucun signal d'une réelle volonté de lutte contre l'impunité n'a été donné. Si l'armée a reconnu officiellement la responsabilité de ses soldats dans l'exécution extrajudiciaire de 10 Rohingyas (qualifiés de terroristes) dont les corps ont été retrouvés dans une fosse commune, le Gouvernement birman reste malgré tout dans le déni le plus total.

Il continue de refuser l'accès à la mission d'établissement des faits des Nations Unies et a annoncé le 20 décembre refuser toute coopération avec la rapporteure spéciale pour les droits de l'homme des Nations Unies, laquelle s'est vu refuser l'entrée dans le pays.

Les médias indépendants n'ont pas accès au nord de l'Etat de Rakhine. 2 journalistes birmans de l'agence Reuters qui préparaient un repartage sur les événements ont été arrêtés. Ils risquent 14 ans de prison.

Les recommandations de la commission Annan, qui portent sur tous les sujets, sont très loin d'être mises en oeuvre malgré les engagements du gouvernement civil. Un membre américain du comité de suivi de ces recommandations, tout juste nommé, vient de démissionner avec fracas en dénonçant le manque d'engagement des autorités birmanes, notamment de la conseillère pour l'Etat, Aung San Suu Kyi, dont il souligne « l'absence de leadership moral ».

Dans ce contexte, le calendrier envisagé pour le retour des réfugiés, qui prévoyait de premiers retours dès le 23 janvier, a été revu. Les ONG et les Nations Unies estiment que les conditions d'un retour sûr ne sont pas réunies.

Le Bangladesh s'est engagé à ce que le rapatriement des réfugiés soit sûr, digne et volontaire. Nous pensons que l'on peut être confiant dans la sincérité des autorités bangladaises.

La situation risque de s'inscrire dans la durée. Un retour, même sur le long terme, apparaît très incertain. Le HCR estime que tous les réfugiés ne rentreront sans doute pas. Le gouvernement bangladais n'aura dès lors que peu d'options : l'intégration à la société bangladaise (le HCR tente d'ailleurs de convaincre les Bangladais d'ouvrir le camp pour favoriser les échanges avec les populations locales) ou l'installation de grandes masses de réfugiés dans des camps ad hoc. Cette seconde option créerait une dépendance du Bangladesh vis-à-vis de l'aide internationale.

Le Gouvernement bangladais évoque quant à lui une relocalisation des Rohingyas sur le char de Bhashan dans la baie du Bengale (île apparue en 2006 par accumulation de limons), inhabitée car submersible pendant la mousson. Human Rights Watch a qualifié le projet de désastre humanitaire annoncé. Il s'agit néanmoins d'une solution qui évoque une intégration à plus long terme.

Il faut, en tout état de cause, s'inscrire dans une perspective de moyenlong termes et dans cette optique continuer à soutenir, y compris financièrement, les organisations qui viennent en aide aux réfugiés au Bangladesh et aux déplacés en Birmanie. La France est à cet égard un contributeur modeste. En 2017, elle a octroyé 4,1 millions d'euros. Pour le premier trimestre 2018, une aide alimentaire de 1 million a été décidée.

Le Bangladesh attend de la communauté internationale qu'elle continue à mettre la pression sur les autorités birmanes en vue d'une mise en oeuvre de l'accord de rapatriement.

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