Intervention de Thierry Roquefeuil

Réunion du lundi 14 mai 2018 à 17h45
Commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques

Thierry Roquefeuil, président de la FNPL :

Lorsque l'affaire Lactalis a éclaté, j'ai clairement dit qu'il s'agissait d'un accident industriel. En tant que président de la FNPL, je n'ai pas saisi cette occasion pour mettre en avant les questions syndicales et les revendications de notre organisation. Je considérais qu'il fallait tirer tous les enseignements de cet accident, faire confiance à l'enquête pour que lumière soit faite sur les problèmes rencontrés par l'entreprise, et avancer, tant la filière est soucieuse de la bonne tenue des produits laitiers proposés aux consommateurs.

Je tiens à préciser cette position car certaines des questions que vous nous avez posées sont d'ordre syndical, et m'amèneront à formuler des réponses qui sortiront peut-être du cadre de la commission d'enquête. Même si nous avons des griefs envers l'entreprise sur un plan syndical, nous pensons que n'importe quelle entreprise de transformation peut, un jour ou l'autre, être confrontée à un accident industriel de ce type. Mais il est important pour les producteurs et pour l'ensemble de la filière de savoir comment l'environnement de l'entreprise a pu entraîner une contamination du produit final.

Peut-on parler d'un déficit de confiance des producteurs ? Dans la mesure où Lactalis est le numéro un français et mondial, nous attendons de l'entreprise qu'elle se comporte explicitement en chef de file de la filière française. Ce n'est pas ce que nous percevons, notamment au travers du prix payé aux producteurs. C'est sans doute ce qui explique que les revendications à son encontre soient plus fortes et que de grandes manifestations se soient tenues à Laval lors de la crise laitière de 2015-2016. Je dirais que le manque de confiance est davantage lié au positionnement économique de l'entreprise. Celle-ci est devenue numéro un mondial en partant du territoire national ; les producteurs français sont à l'origine de cette dynamique. Nous ne remettons pas en cause celle-ci, pas plus que les qualités de gestionnaire du président et de son père, à qui il a succédé.

C'est ce que j'ai réaffirmé lors de la rencontre organisée en janvier entre Lactalis, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), le syndicat Jeunes agriculteurs (JA) et la FNPL. Emmanuel Besnier a déclaré qu'il n'y aurait pas de conséquences sur la collecte du lait et le prix payé aux producteurs, et que ceux-ci ne subiraient donc pas d'impact financier. Je lui ai dit que je le croyais, mais que mon rôle de président de la FNPL était de vérifier au mois le mois la volonté de Lactalis de maintenir une dynamique économique et un juste prix payé aux producteurs.

Les questions qui remontent du terrain, et notamment des producteurs de Mayenne, portent bien sûr sur les tours de séchage, l'éventuelle reconstruction de l'une d'entre elles, et le redémarrage des sites industriels. La Mayenne est un département laitier important, dont la dynamique s'appuie sur l'activité de transformation laitière. À ce jour, nous ne pouvons donner de réponse aux interrogations des producteurs, puisque la reprise de l'activité n'a fait l'objet d'aucune décision.

S'agissant des relations entre les producteurs et Lactalis, on peut dire que les choses allaient plutôt dans le bon sens lorsque nous avons commencé en octobre à travailler sur le plan de filière. Le représentant de Lactalis, qui fait partie de la FNIL, était pleinement impliqué dans la construction du plan. Après la crise d'août 2016 et les révélations de la presse sur les relations très difficiles qu'elle entretenait avec les producteurs, l'entreprise a compris qu'il fallait avancer. De son côté, la filière française a besoin de Lactalis et c'est ce que nous avons essayé de mettre en avant dans le plan de filière. Aussi, lorsque l'accident est survenu, personne n'a instrumentalisé l'affaire : cela ne paraissait opportun ni pour les uns ni pour les autres.

La conjoncture demeure difficile pour le secteur laitier ; elle est liée à une politique européenne qui n'est pas stabilisée et à l'existence des stocks de poudre issus de la crise de 2015, 2016. Il s'avère que Lactalis représente les industriels alimentaires à Bruxelles et que je siège au groupe COPA-COGECA, comité général de la coopération agricole de l'Union européenne : nous défendons des positions communes et partageons le souhait d'améliorer la gestion au plan européen, pour une meilleure politique en France.

Pour ce qui est des marges de négociation avec Lactalis, des organisations de producteurs et, depuis quelque temps, une association d'organisations de producteurs mènent des discussions avec l'entreprise. Celles-ci ne sont pas simples. La conjoncture pèse et l'entreprise reste dans sa dynamique de « business avant tout ». C'aurait été une erreur de penser que l'entreprise, du fait de la crise, ferait des cadeaux aux producteurs ; elle est là pour faire état d'un marché. La loi en préparation doit nous amener à remettre sur la table ce qui est notre réalité – des revenus qui ne sont pas à la hauteur du travail fourni et des coûts de production importants. Nous devons aussi travailler pour que les marchés soient les meilleurs possible, en France et en Europe. Nous devons convaincre la grande distribution de l'intérêt d'une production laitière dynamique qui réponde à l'attente des consommateurs – c'est l'intérêt du plan de filière – et oeuvrer à une meilleure adéquation entre l'offre et la demande au niveau européen afin d'éviter les excédents en période de crise.

Il n'est pas impossible, mais difficile pour un producteur laitier de changer d'entreprise. Depuis mon installation en 1986, j'ai été producteur pour une entreprise privée – Lactalis – avant de livrer un groupement d'intérêts économiques (GIE), puis de travailler en coopération. Cela ne se fait pas sans mal. La majorité des producteurs ne souhaitent pas changer pour changer. Ils ont surtout besoin que l'entreprise soit à leur écoute, notamment lorsque l'activité de l'exploitation ne leur permet pas de dégager un revenu. Dans ce domaine, ce sont les PME qui font le plus d'efforts, sans soute parce que, dépendantes de leur territoire, elles risquent une rupture d'approvisionnement si les producteurs cessent de les livrer, contrairement aux grands groupes comme Lactalis qui peuvent s'approvisionner nationalement, voire à l'étranger. C'est un sujet sur lequel nous travaillons, même si la spécificité française, qui veut que 50 % du lait soit collecté par les industriels et 50 % par la coopération, fait que le changement d'entreprise n'est pas toujours possible.

Contrairement à ce qui se passe en Allemagne, les entreprises françaises sont attachées aux territoires. Nous nous efforçons de tirer vers le haut l'ensemble de la filière, à travers le plan de filière, en créant le socle commun « France terre de lait » pour amener l'ensemble des producteurs et des entreprises à revaloriser 80 % du lait collecté aujourd'hui en conventionnel. Il est important que l'ensemble des producteurs puissent répondre à cette attente, qui est aussi celle des consommateurs. Notre spécificité est d'être présents sur l'ensemble du territoire : c'est grâce à cet ancrage que l'on peut encore parler d'une « France des mille fromages ».

Le lait est collecté tous les deux ou trois jours. Il est stocké dans des tanks qui refroidissent à une température située entre 3 et 4 degrés, pour pouvoir ensuite être transformé. La traite est réalisée dans des conditions optimales, puisque le lait est analysé à chaque fois. Il faut savoir que le producteur est payé en fonction de la qualité hygiénique et sanitaire du lait. Des laboratoires interprofessionnels, gérés à la fois par les producteurs et les transformateurs, et accrédités par les pouvoirs publics, analysent ces échantillons. Le système fonctionne bien. J'en veux pour preuve que lorsque les Chinois viennent voir comment fonctionne la filière laitière française, la première chose qu'ils veulent observer est le système d'analyse et de traçabilité.

Le lait est ensuite chargé dans des citernes, puis acheminé par les industriels à l'entreprise. Ceux-ci doivent prélever de nouveaux échantillons dans les citernes avant la transformation.

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