La séance est ouverte à dix-huit heures cinq.
Mes chers collègues, l'Assemblée nationale a constitué une commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire Lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques.
Il ne s'agit pas de faire le procès de qui que ce soit – nous ne jugeons pas, nous ne punissons pas –, mais de tirer tous les enseignements afin que cela ne se reproduise plus.
Nous avons trouvé légitime de commencer notre cycle d'auditions avec l'Association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles – AFVLCS –, avant d'entendre les organismes de contrôle de l'État. La Fédération nationale des industries laitières – FNIL – vient d'être auditionnée et nous achèverons cette après-midi d'auditions en écoutant les organisations professionnelles agricoles. Nous recevrons ensuite les représentants de la grande distribution, du e-commerce, l'Ordre des pharmaciens et les responsables des crèches. Ce cycle s'achèvera avec l'audition du président de Lactalis et celles des trois ministres concernés.
Nous recevons aujourd'hui le président, M. Thierry Roquefeuil, et le directeur, M. Gilles Psalmon, de la Fédération nationale des producteurs de lait. La FNPL, créée en 1946, est le premier syndicat laitier français. Elle regroupe 62 000 exploitations laitières et s'appuie sur un réseau de fédérations laitières départementales et régionales.
La FNPL constitue une association spécialisée de la FNSEA. Dans le cadre national aussi bien qu'européen, ses propositions portent notamment sur la défense d'un prix du lait rémunérateur, d'une politique laitière européenne et d'un savoir-faire « origine France », fondé sur la qualité du lait.
Messieurs, cette audition est ouverte à la presse et retransmise sur le portail vidéo de l'Assemblée nationale. Comme il s'agit d'une commission d'enquête, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je demanderai à chacun d'entre vous de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
MM. Thierry Roquefeuil et Gilles Psalmon prêtent successivement serment.
Messieurs, nous voudrions savoir si les producteurs ont pu souffrir d'un déficit de confiance des consommateurs et si votre organisation a ressenti les répercussions de cette affaire à l'étranger.
Nous souhaiterions connaître les termes de l'accord conclu en janvier entre les producteurs de lait et Lactalis sur la collecte et les prix. Quels sont vos rapports actuels avec l'entreprise ? Ont-ils évolué ces derniers temps ?
Quelles sont vos marges de négociation avec les entreprises transformant le lait ? Pouvez-vous changer facilement de client et fournir d'autres entreprises ?
Monsieur le président, monsieur le directeur, je vous remercie d'être venus répondre aux questions de la commission d'enquête. J'aimerais savoir quels sont les types de contrôles effectués sur les lieux de production du lait. À quelle fréquence sont-ils réalisés ? Que se passe-t-il lorsque les résultats ne sont pas conformes à ce qu'ils devraient être ?
Je voudrais savoir comment le lait est transporté de la ferme à l'entreprise : quels sont les règles, les contrôles ? Les modalités pratiques varient-elles selon les industries laitières ? Pouvez-vous décrire précisément les rapports que vous entretenez avec Lactalis et nous dire s'ils sont semblables à ceux que vous avez avec d'autres grands groupes laitiers ? Enfin, que faut-il faire selon vous pour que ce type de contamination ne se reproduise plus ?
Lorsque l'affaire Lactalis a éclaté, j'ai clairement dit qu'il s'agissait d'un accident industriel. En tant que président de la FNPL, je n'ai pas saisi cette occasion pour mettre en avant les questions syndicales et les revendications de notre organisation. Je considérais qu'il fallait tirer tous les enseignements de cet accident, faire confiance à l'enquête pour que lumière soit faite sur les problèmes rencontrés par l'entreprise, et avancer, tant la filière est soucieuse de la bonne tenue des produits laitiers proposés aux consommateurs.
Je tiens à préciser cette position car certaines des questions que vous nous avez posées sont d'ordre syndical, et m'amèneront à formuler des réponses qui sortiront peut-être du cadre de la commission d'enquête. Même si nous avons des griefs envers l'entreprise sur un plan syndical, nous pensons que n'importe quelle entreprise de transformation peut, un jour ou l'autre, être confrontée à un accident industriel de ce type. Mais il est important pour les producteurs et pour l'ensemble de la filière de savoir comment l'environnement de l'entreprise a pu entraîner une contamination du produit final.
Peut-on parler d'un déficit de confiance des producteurs ? Dans la mesure où Lactalis est le numéro un français et mondial, nous attendons de l'entreprise qu'elle se comporte explicitement en chef de file de la filière française. Ce n'est pas ce que nous percevons, notamment au travers du prix payé aux producteurs. C'est sans doute ce qui explique que les revendications à son encontre soient plus fortes et que de grandes manifestations se soient tenues à Laval lors de la crise laitière de 2015-2016. Je dirais que le manque de confiance est davantage lié au positionnement économique de l'entreprise. Celle-ci est devenue numéro un mondial en partant du territoire national ; les producteurs français sont à l'origine de cette dynamique. Nous ne remettons pas en cause celle-ci, pas plus que les qualités de gestionnaire du président et de son père, à qui il a succédé.
C'est ce que j'ai réaffirmé lors de la rencontre organisée en janvier entre Lactalis, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), le syndicat Jeunes agriculteurs (JA) et la FNPL. Emmanuel Besnier a déclaré qu'il n'y aurait pas de conséquences sur la collecte du lait et le prix payé aux producteurs, et que ceux-ci ne subiraient donc pas d'impact financier. Je lui ai dit que je le croyais, mais que mon rôle de président de la FNPL était de vérifier au mois le mois la volonté de Lactalis de maintenir une dynamique économique et un juste prix payé aux producteurs.
Les questions qui remontent du terrain, et notamment des producteurs de Mayenne, portent bien sûr sur les tours de séchage, l'éventuelle reconstruction de l'une d'entre elles, et le redémarrage des sites industriels. La Mayenne est un département laitier important, dont la dynamique s'appuie sur l'activité de transformation laitière. À ce jour, nous ne pouvons donner de réponse aux interrogations des producteurs, puisque la reprise de l'activité n'a fait l'objet d'aucune décision.
S'agissant des relations entre les producteurs et Lactalis, on peut dire que les choses allaient plutôt dans le bon sens lorsque nous avons commencé en octobre à travailler sur le plan de filière. Le représentant de Lactalis, qui fait partie de la FNIL, était pleinement impliqué dans la construction du plan. Après la crise d'août 2016 et les révélations de la presse sur les relations très difficiles qu'elle entretenait avec les producteurs, l'entreprise a compris qu'il fallait avancer. De son côté, la filière française a besoin de Lactalis et c'est ce que nous avons essayé de mettre en avant dans le plan de filière. Aussi, lorsque l'accident est survenu, personne n'a instrumentalisé l'affaire : cela ne paraissait opportun ni pour les uns ni pour les autres.
La conjoncture demeure difficile pour le secteur laitier ; elle est liée à une politique européenne qui n'est pas stabilisée et à l'existence des stocks de poudre issus de la crise de 2015, 2016. Il s'avère que Lactalis représente les industriels alimentaires à Bruxelles et que je siège au groupe COPA-COGECA, comité général de la coopération agricole de l'Union européenne : nous défendons des positions communes et partageons le souhait d'améliorer la gestion au plan européen, pour une meilleure politique en France.
Pour ce qui est des marges de négociation avec Lactalis, des organisations de producteurs et, depuis quelque temps, une association d'organisations de producteurs mènent des discussions avec l'entreprise. Celles-ci ne sont pas simples. La conjoncture pèse et l'entreprise reste dans sa dynamique de « business avant tout ». C'aurait été une erreur de penser que l'entreprise, du fait de la crise, ferait des cadeaux aux producteurs ; elle est là pour faire état d'un marché. La loi en préparation doit nous amener à remettre sur la table ce qui est notre réalité – des revenus qui ne sont pas à la hauteur du travail fourni et des coûts de production importants. Nous devons aussi travailler pour que les marchés soient les meilleurs possible, en France et en Europe. Nous devons convaincre la grande distribution de l'intérêt d'une production laitière dynamique qui réponde à l'attente des consommateurs – c'est l'intérêt du plan de filière – et oeuvrer à une meilleure adéquation entre l'offre et la demande au niveau européen afin d'éviter les excédents en période de crise.
Il n'est pas impossible, mais difficile pour un producteur laitier de changer d'entreprise. Depuis mon installation en 1986, j'ai été producteur pour une entreprise privée – Lactalis – avant de livrer un groupement d'intérêts économiques (GIE), puis de travailler en coopération. Cela ne se fait pas sans mal. La majorité des producteurs ne souhaitent pas changer pour changer. Ils ont surtout besoin que l'entreprise soit à leur écoute, notamment lorsque l'activité de l'exploitation ne leur permet pas de dégager un revenu. Dans ce domaine, ce sont les PME qui font le plus d'efforts, sans soute parce que, dépendantes de leur territoire, elles risquent une rupture d'approvisionnement si les producteurs cessent de les livrer, contrairement aux grands groupes comme Lactalis qui peuvent s'approvisionner nationalement, voire à l'étranger. C'est un sujet sur lequel nous travaillons, même si la spécificité française, qui veut que 50 % du lait soit collecté par les industriels et 50 % par la coopération, fait que le changement d'entreprise n'est pas toujours possible.
Contrairement à ce qui se passe en Allemagne, les entreprises françaises sont attachées aux territoires. Nous nous efforçons de tirer vers le haut l'ensemble de la filière, à travers le plan de filière, en créant le socle commun « France terre de lait » pour amener l'ensemble des producteurs et des entreprises à revaloriser 80 % du lait collecté aujourd'hui en conventionnel. Il est important que l'ensemble des producteurs puissent répondre à cette attente, qui est aussi celle des consommateurs. Notre spécificité est d'être présents sur l'ensemble du territoire : c'est grâce à cet ancrage que l'on peut encore parler d'une « France des mille fromages ».
Le lait est collecté tous les deux ou trois jours. Il est stocké dans des tanks qui refroidissent à une température située entre 3 et 4 degrés, pour pouvoir ensuite être transformé. La traite est réalisée dans des conditions optimales, puisque le lait est analysé à chaque fois. Il faut savoir que le producteur est payé en fonction de la qualité hygiénique et sanitaire du lait. Des laboratoires interprofessionnels, gérés à la fois par les producteurs et les transformateurs, et accrédités par les pouvoirs publics, analysent ces échantillons. Le système fonctionne bien. J'en veux pour preuve que lorsque les Chinois viennent voir comment fonctionne la filière laitière française, la première chose qu'ils veulent observer est le système d'analyse et de traçabilité.
Le lait est ensuite chargé dans des citernes, puis acheminé par les industriels à l'entreprise. Ceux-ci doivent prélever de nouveaux échantillons dans les citernes avant la transformation.
Le lait est donc analysé une première fois chez le producteur, puis une deuxième fois lorsqu'il est mélangé aux autres laits en citerne ?
L'analyse est obligatoire une fois par semaine. Nous devrions passer à des analyses à chaque enlèvement et, pour ce faire, optimiser l'échantillonnage. Du fait que les litrages sont importants à chaque enlèvement, connaître le résultat de l'analyse le plus rapidement possible représente un enjeu économique pour le producteur, payé en fonction de la qualité du lait.
Les autres contrôles sont effectués sous la responsabilité de l'entreprise. Les problèmes sont ainsi rapidement détectés, ce qui est un enseignement positif de l'affaire. Ce qu'il convient de faire une fois le problème connu, c'est à votre commission d'enquête de le dire. Le risque zéro, avec le lait, n'existe pas, mais nous nous devons d'être le plus performants possible dans ce domaine. Il faut savoir aussi qu'il existe deux transformations, la transformation du lait conventionnel, avec des pasteurisations, et la transformation en produits au lait cru, qui représente davantage de risques.
J'exerce mes fonctions de président de la FNPL depuis 2012 mais je n'avais encore jamais rencontré Emmanuel Besnier, un personnage un peu dans son monde et qui délègue beaucoup – ce sont des responsables de son groupe qui siègent au niveau interprofessionnel. Nous nous sommes donc vus une première fois en octobre, puis à nouveau en novembre. On ne peut pas dire que ce soit quelqu'un qui cherche le contact de façon permanente. Je ne suis pas certain que tous les messages que nous avons essayé de faire passer aient été entendus.
Parvenir à comprendre comment l'entreprise souhaite évoluer dans les années à venir mériterait des relations beaucoup plus étroites. Nous pensons utile que le groupe réaffirme sa volonté de rester le numéro un mondial grâce à une production laitière dynamique. Ce n'est pas forcément le message que reçoivent les producteurs. L'entreprise a quand même expliqué qu'il y avait beaucoup trop de lait en France, que son objectif n'était pas de fabriquer de la poudre mais de mieux valoriser ses produits de grande consommation.
C'est un message gênant pour les représentants des producteurs que nous sommes. Avant la mise en place des quotas en 1983, la France produisait 25 milliards de litres de lait ; elle en produit aujourd'hui 24 milliards. Parallèlement, les volumes ont fortement augmenté dans des pays comme l'Irlande, les Pays-Bas ou le Danemark, qui mènent une politique fort dynamique. Nous avons parfois l'impression de mal prendre des virages. Pourtant, les producteurs français travaillent de façon exemplaire et les exploitations ont une taille correcte, avec 60 vaches laitières en moyenne. Certains industriels nous en font le reproche et souhaiteraient que les exploitations soient beaucoup plus grandes, pour être soi-disant plus compétitives.
Notre objectif est de rester ancrés dans les territoires. Pour ma part, je crois plus aux hommes et aux femmes attachés à leur exploitation, qui ont envie d'investir et de participer à la dynamique de la filière plutôt qu'à un modèle économique constitué d'exploitations capables de produire chacune plusieurs millions de litres. Le consommateur lui-même se reconnaît mieux dans des structures moyennes. Il faudrait que les industriels soient davantage encore à nos côtés pour accompagner cette dynamique : il reste malgré tout des jeunes qui veulent encore s'investir dans la filière.
Les députés l'ont bien compris, votre audition dépasse le cadre de la commission d'enquête, puisqu'il ne s'agit pas de mettre en cause une quelconque responsabilité des producteurs de lait dans l'affaire Lactalis. Il nous a semblé légitime de vous entendre pour connaître votre sentiment sur cette entreprise, et parce qu'il n'est jamais inutile que la représentation nationale soit informée des problèmes rencontrés par votre profession.
Dans le cadre précis de cette commission, nous souhaiterions en savoir davantage sur les contrôles. Vous l'avez dit très clairement, vous demandez à ce que des contrôles soient exercés à chaque enlèvement, compte tenu des quantités collectées ; vous estimez préférable qu'ils soient effectués à ce stade et non dans les citernes, où différents laits sont mélangés.
Vous avez suggéré, vous n'êtes pas le seul, qu'il existe chez Lactalis une culture du secret, ou de la discrétion. Nous voudrions connaître vos sentiments vis-à-vis d'une entreprise qui, de fait, a une responsabilité quant à la vie de l'ensemble des exploitations.
Des prélèvements sont effectués à chaque enlèvement, mais le coût des analyses est assumé conjointement par l'entreprise et le producteur.
Il s'agit d'un laboratoire interprofessionnel, attaché à une zone territoriale.
Je pense que M. Le Gac souhaite savoir si les laboratoires utilisés par l'entreprise Lactalis sont des laboratoires d'État.
Ce sont des laboratoires de l'interprofession, dont les contrôles sont accrédités par le Cofrac. Les accords interprofessionnels sur le paiement du lait à la qualité sont validés par les pouvoirs publics ; en effet, le paiement à la qualité est structuré et obéit à des normes depuis la loi Godefroy de 1969.
La France est le seul pays où les relations interprofessionnelles soient aussi abouties. L'interprofession est financée par les producteurs et les transformateurs ; depuis sa création, elle gère les accords sur la qualité du lait et sur le paiement à la qualité, accords validés par les pouvoirs publics. Elle s'appuie sur des laboratoires régionaux, également interprofessionnels, c'est-à-dire dirigés conjointement par les producteurs et les transformateurs. Cela permet d'entretenir un équilibre extrêmement important dans la relation, même si la perfection n'est pas totale.
En dehors des analyses liées au paiement à la qualité, les entreprises ont toute liberté de s'adresser à des laboratoires indépendants.
Je suis effectivement ouvert à une augmentation du nombre de contrôles, c'est le sens de l'histoire. Les analyses garantissent à l'ensemble de la filière une certaine sérénité, mais elles constituent aussi, pour les producteurs, un outil d'aide à la décision. Lorsque le producteur s'aperçoit qu'il y a un problème sur les 4 000 ou 5 000 litres qu'il livre tous les deux ou trois jours, il peut intervenir afin que l'impact financier ne porte pas sur les 40 000 ou les 50 000 litres mensuels de son exploitation. Les analyses sont un outil de gestion.
Nous en parlons à l'interprofession, au sein des collèges de producteurs, de coopératives et d'industries privées. Mais les décisions étant prises à l'unanimité, cela prend du temps. Imaginez que ce soit le cas à l'Assemblée nationale !
Lactalis a pour elle d'avoir su devenir numéro 1 mondial : nombre d'entreprises pourraient s'inspirer de la gestion rigoureuse qui lui a permis d'atteindre ce niveau. Mais ce qui crispe les producteurs, c'est que l'entreprise n'est pas assez à l'écoute du mal-être et du mal-vivre des producteurs dans les moments difficiles. On pourrait reprocher ce manque d'empathie à d'autres entreprises. Mais il s'agit en l'espèce d'un groupe qui crée de la valeur ; et pour ce qui est de la répartition de la valeur, nous disons que le compte n'y est pas !
Monsieur le président, vous avez évoqué la Mayenne, mais Lactalis collecte bien au-delà, en Ille-et-Vilaine, dans les Côtes-d'Armor ou encore dans le Morbihan. C'est une affaire qui a touché, voire traumatisé l'ensemble des producteurs.
Le paiement à la qualité est très important pour les producteurs de lait. Certains peuvent même se voir interdits de collecte, ce qui est très délicat sur le plan social puisque cela signe l'arrêt de l'exploitation. Afin que les membres de la commission comprennent ce que le paiement à la qualité représente, pouvez-vous nous indiquer sa part dans le prix global du lait ?
Vous avez parlé de l'immense montagne de poudre de lait, gérée par l'Europe et stockée depuis de longs mois, voire depuis des années. Conserver ces masses de poudre de lait ne finira-t-il pas par poser également des problèmes sanitaires ?
S'agissant des critères de qualité, les grilles interprofessionnelles sont régionales : ce qui est valable pour l'Ouest ne l'est pas toujours pour l'Est. En moyenne, sur un prix de 320 euros les 1 000 litres, le paiement à la qualité permet de gagner entre 20 et 25 euros. Ce sont les grammes différentiels de matière grasse et de matière protéique qui sont valorisés. Par contre, si des cellules ou des germes sont détectés, avec abandon de collecte, les pénalités peuvent aller jusqu'à 4 ou 5 centimes d'euros le litre, ce qui peut faire rapidement passer les 1 000 litres de lait à 280 euros.
D'où l'intérêt pour le producteur, si on détecte un dérapage sur sa production, de pouvoir prendre les mesures adéquates. Nous devons mener ce travail avec l'ensemble des organisations professionnelles agricoles qui accompagnent les entreprises. Les éleveurs doivent être aidés, car il est des moments où ils baissent les bras. Avec des crises telles que nous en avons vécu, il est difficile de se réinvestir dans ce métier.
La Commission demeure inflexible sur la question de la poudre de lait. Le 12 avril, les représentants de la filière ont rencontré le commissaire M. Phil Hogan. Celui-ci nous a expliqué qu'il n'y avait aucun problème de conservation, que l'ensemble de la poudre pourrait être remis sur le marché. En lien avec les pouvoirs publics français, nous avons proposé que la poudre soit utilisée pour l'alimentation animale ou qu'elle fasse l'objet d'une aide humanitaire. Mais la Commission est complètement fermée et a toujours répondu par la négative aux propositions qu'ont pu faire les producteurs et les industriels français.
Remettre la poudre sur le marché est une erreur. Les producteurs français vont payer une deuxième fois la crise de 2015, 2016. Il aurait fallu que l'Europe accorde 40 millions d'euros pour déstocker 30 % des 360 000 tonnes de poudre ; au lieu de quoi la baisse des prix va entraîner un manque à gagner de 20 euros les 1 000 litres pour l'ensemble des producteurs, soit 3 milliards d'euros. Mais ces chiffres n'ont aucun effet sur la Commission, qui estime que le déstockage n'est pas la solution. Nous devons poursuivre la réflexion, afin de ne pas répéter ces erreurs.
Comme vous le savez, chaque producteur est sous contrat et le volume de sa production encadré, ce qui n'est pas le cas dans les autres pays européens. Les producteurs français subissent donc une double peine : un prix européen plutôt bas et des volumes encadrés. Nos voisins européens, eux, sont poussés par les entreprises à produire davantage, notamment de la matière grasse pour la fabrication du beurre, qui plaît de plus en plus aux consommateurs. Mais pour faire du beurre, on produit aussi de la poudre de lait, qui s'ajoute aux stocks existants. C'est un cycle sans fin. Nous aspirons à une responsabilisation au niveau européen : il faut obliger les opérateurs à calmer la production de leurs éleveurs afin de ne pas reconstituer les stocks de poudre.
L'enseignement de cette audition est que les producteurs de lait souhaitent être au plus près des contrôles. On pourrait encore améliorer la sécurité sanitaire et ce, dès l'origine.
Mais il faut que cela se fasse dans un esprit interprofessionnel. Encore une fois, les efforts du producteur doivent être reconnus et payés à leur juste valeur.
Les entreprises sont-elles prêtes à payer un peu plus ? Cela semblerait logique. Nous demanderons son avis à la FNIL, qui vient d'être auditionnée. La réponse qu'elle fera, dans le cadre d'une commission d'enquête, aura d'autant plus de valeur. Monsieur le président, monsieur le directeur, je vous remercie.
La séance s'achève à dix-huit heures cinquante.
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Membres présents ou excusés
Réunion du lundi 14 mai 2018 à 17 h 45
Présents. - M. Grégory Besson-Moreau, M. Christian Hutin, M. Marc Le Fur, M. Didier Le Gac
Excusé. - M. Arnaud Viala