Monsieur le président, j'espère surtout qu'elle sera entendue. Bien évidemment, nous nous sommes engagés, dans les États généraux de l'alimentation, à retravailler sur le statut de la coopération.
Le constat suivant fera, je le crois, l'unanimité sur ces bancs : nous connaissons tous, sur nos territoires, des coopératives, auxquelles nous sommes attachés. Elles sont porteuses tout à la fois d'un modèle d'entreprise, de valeurs, d'emplois, d'aménagement du territoire et de structuration de filières. Elles regroupent de grandes organisations de producteurs, ce qui permet d'aller chercher des débouchés commerciaux peut-être inaccessibles si les agriculteurs restaient seuls. Elles apportent la preuve que le regroupement peut présenter un certain nombre d'avantages.
Le monde coopératif est un secteur très important dans notre pays, ces chiffres en témoignent : les 2 600 coopératives agricoles réalisent un chiffre d'affaires de près de 86 milliards d'euros. Bien évidemment, notre réflexion ne vise pas à remettre en cause le modèle coopératif mais à lui redonner pleinement l'exemplarité qui est la sienne et qui fait son honneur. Nous avons donc choisi de légiférer par ordonnances, dans un délai de six mois.
Le premier des travaux que nous souhaitons lancer porte sur l'amélioration des relations entre les associés coopérateurs et leurs coopératives, c'est-à-dire sur les questions de rémunération, de transparence et de conditions de départ.
Chaque membre d'une société coopérative agricole et de leurs unions dispose d'un double statut : celui d'associé, titulaire d'une fraction du capital social de la société ; celui de coopérateur, souscripteur d'un engagement d'activité vis-à-vis de la société à laquelle il adhère. L'associé coopérateur est intéressé au premier chef par la gestion de la coopérative et par les orientations stratégiques prises par l'organe d'administration – conseil d'administration, conseil de surveillance ou directoire de la société qu'il a contribué à élire.
Nous avons traité trois problématiques. Premièrement, il est constaté un manque d'information des associés coopérateurs quant aux relations économiques qu'ils ont nouées avec la société dont ils sont membres. Deuxièmement, la disposition de la LAAAF – la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt – n'a été que partiellement mise en oeuvre, du fait d'une période transitoire. Troisièmement, le système coopératif repose sur une détermination du prix en fin de campagne et tient compte de la restriction, pour une coopérative, à aller s'approvisionner au-delà de ses membres. On note donc une connaissance insuffisante par les associés coopérateurs du règlement intérieur de leur coopérative et des explications données concernant sa politique et ses choix.
Plusieurs difficultés subsistent quant aux possibilités de départ de l'associé coopérateur. Les échéances des différents engagements – bulletins d'adhésion et contrats d'apport – ne sont pas synchronisées, ce qui peut rendre tout départ impossible. Les indemnités financières sont disproportionnées – nous connaissons tous, sur nos territoires, des exemples dans lesquels des sommes absolument énormes sont demandées à des coopérateurs qui souhaitent quitter une coopérative. L'action du médiateur de la coopération agricole est réduite à la portion congrue ; nous avons cherché à y remédier dans les articles précédents consacrés à la coopération agricole.
L'article 8 du projet de loi a été modifié par la commission des affaires économiques pour renforcer le rôle des associés coopérateurs dans la détention des éléments constituant leur rémunération. Un amendement a été déposé, à la suite de l'examen en commission, pour tenir compte du modèle économique particulier des sociétés coopératives.
Nous avons d'autres pistes de travail.
Une synthèse sera établie par l'organe chargé de l'administration de la coopérative, avec une clé de répartition. La première répartition serait destinée aux associés coopérateurs en fonction de la part restant de la coopérative ; la deuxième porterait sur la part des dividendes remontés des filiales en fonction de leurs résultats.
Le départ des associés coopérateurs sera simplifié, par un meilleur encadrement du remboursement des parts sociales.
Le contrôle sera renforcé, avec une attestation du commissaire aux comptes adressée au Haut Conseil de la coopération agricole, si des manquements répétés de la coopérative sont démontrés.
Nous souhaitons en outre renforcer l'action du médiateur de la coopération agricole, institué par la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, qui est nommé par le HCCA, le Haut Conseil de la coopération agricole. Les coopératives et leurs membres, vous le savez, n'y ont recours que de façon très anecdotique : on a dénombré six cas durant la période 2015-2017. La faiblesse du nombre de recours est liée à plusieurs facteurs : la mise en place récente du médiateur, en janvier 2015, et son absence de visibilité auprès des coopérateurs ; un manque d'informations et une absence de promotion de ses travaux par les acteurs publics du HCCA et les acteurs privés de Coop de France ; son manque d'indépendance et d'impartialité ; l'insuffisance des moyens dont il dispose, ce travail étant effectué par des bénévoles ; le besoin d'une évolution réelle des pratiques, jusqu'à présent caractérisées par l'intériorisation de ses difficultés par le monde coopératif.
L'articulation entre le médiateur de la coopération agricole et le médiateur des relations commerciales agricoles n'est pas clairement explicitée. Le premier tient compte des avis et des recommandations formulées par le second. Quant au MRCA, rendu compétent par l'article L. 631-27 du code rural et de la pêche maritime sur toute question relative aux relations contractuelles, il est également compétent, de fait, sur tout litige opposant un associé coopérateur et sa coopérative.
Voici donc quelques pistes de travail : la nomination par le ministère de l'agriculture d'un médiateur de la coopération agricole ; une meilleure articulation de celui-ci avec le médiateur des relations commerciales agricoles, s'agissant des litiges relatifs aux éléments des contrats d'apport portant sur les prix ou les modalités de détermination et de révision des prix et des volumes.
Enfin, nous souhaitons recentrer les missions du Haut Conseil de la coopération agricole et en rénover la gouvernance. Il est aujourd'hui présidé par l'un de mes prédécesseurs, Henri Nallet. Il s'agit d'un établissement d'utilité publique, doté de la personnalité morale et dont le périmètre d'action est très vaste. Sa composition ne traduit pas la diversité du monde agricole, puisqu'il rassemble sept représentants des coopératives agricoles plus cinq personnalités qualifiées. Son action reste assez limitée s'agissant de l'expertise à apporter sur les grandes questions économiques que se pose le secteur coopératif. Son indépendance est amoindrie par la faiblesse de ses moyens : il ne dispose pas de moyens en propre, hormis un délégué général et un responsable administratif. Nous souhaitons donc renforcer les missions du HCCA en matière de suivi du respect du droit coopératif et installer une instance de concertation avec les syndicats agricoles.
Pour faire tout cela, nous avons besoin de temps, et c'est pourquoi nous agirons par ordonnances, sur une période de six mois. J'ai vu qu'un certain nombre d'amendements visaient à réduire cette durée de six à trois mois, mais nous avons besoin de temps pour travailler, avec Coop de France et l'ensemble du secteur coopératif. Je m'engage également à travailler aussi avec les parlementaires, dans un souci de transparence, sur le contenu des ordonnances. Tel est l'engagement que je prends devant vous ce soir.
J'ai été un peu long, mais je souhaitais vous indiquer l'état d'esprit du Gouvernement avant d'engager la discussion sur l'article 8. Je voulais aussi souligner notre attachement au monde de la coopération, ainsi qu'aux valeurs des coopératives. À travers ces ordonnances, nous souhaitons bel et bien redonner du sens aux coopératives, leur redonner de la force sur les territoires et faire en sorte que les associés coopérateurs puissent retrouver des marges de manoeuvre, des marges de progrès et surtout de la compétitivité dans leurs exploitations.