Chers collègues, nous avons écouté, tout au long de la journée, de nombreux débats sur des sujets très variés. Globalement, depuis quatre jours, avec Guillaume Garot et l'ensemble des collègues du groupe de la Nouvelle Gauche, nous avons une ligne politique très claire : nous faisons des propositions constructives, issues des États généraux de l'alimentation. Nous n'en avons pas rajouté, nous ne nous sommes pas dispersés.
Je peux vous dire que l'on est stupéfait. Au bout de six mois de dialogue, la société civile, Célia de Lavergne peut en témoigner, était arrivée à des niveaux de consensus, d'innovation et d'audace incroyables. Nous devons assumer collectivement, et je veux bien en prendre ma part, le fait que le Parlement n'est pas au rendez-vous de ce que la société civile a formulé il y a moins de trois mois. Ce décalage mériterait un travail d'analyse politique pour le comprendre.
Des gens qui se livraient une guerre de tranchées, ici sur une molécule chimique, là sur une pratique agricole ou sur le bien-être animal, ont été capables de dépasser leurs clivages pour envisager des solutions nouvelles et innovantes. Et là, nous retrouvons beaucoup des mêmes travers, des mêmes conflits et des mêmes guerres picrocholines, qui ne font pas avancer notre société. Je leur dis, voulant emporter l'adhésion du rapporteur et du Gouvernement, que nos propositions, tous les témoins peuvent l'attester, sont issues des EGA. Elles visent à les consolider et à en retrouver l'esprit.
Tel est le cas de la haute valeur environnementale, la HVE. De quoi s'agit-il ? Au Grenelle de l'environnement, cette notion valorisante a été lancée avec trois niveaux : un premier certificat, qui correspond aux bonnes pratiques agricoles, un deuxième, qui consacre un effort d'amélioration de ces bonnes pratiques, et un troisième, celui de la HVE, qui peut devenir une mention valorisante pour des produits. Le Grenelle a également créé la taxe générale sur les activités polluantes – TGAP – et la redevance incitative, qui ont révolutionné les déchets.
Dix ans après, on constate que la haute valeur environnementale n'a pas été utilisée. En revanche, une véritable révolution s'est produite dans le monde agricole. En 2012, je peux en témoigner, lorsque Stéphane Le Foll, prenant acte des travaux pionniers de mouvements associatifs, de l'agriculture biologique et d'innovations multiples, a lancé le concept d'agroécologie, il a suscité une polémique. Cinq ans plus tard, personne, aux États généraux de l'alimentation, n'a contesté l'agroécologie, et tout le monde la considère désormais comme un acquis. Les seuls débats portent sur les scénarios de transition vers l'agroécologie. Nous avons vécu en cinq ans, dans notre pays, une révolution en matière d'adoption de ce « en même temps » de l'économie, du social et de l'environnemental. Une loi l'a écrit, et la pratique l'a mis en oeuvre grâce à la mise en mouvement de la société. Les EGA ont constaté ce processus et ont organisé un débat fructueux sur ce sujet.
L'une des propositions, que l'on a retrouvée dans quatre ou cinq ateliers sur les quatorze, porte sur le nom à donner à cette agroécologie. La précédente majorité – à laquelle appartenait le député Stéphane Travert, à l'époque à nos côtés – défendait une version inclusive de l'agroécologie. Le ministre disait que le moment de distinguer les bons des mauvais n'était pas venu et que l'agriculture de conservation, la biodynamie et de nombreuses autres pratiques allaient dans le sens de l'agroécologie. Cette étape était nécessaire pour inclure, associer et éviter des guerres de chapelle.
Aujourd'hui, nous sommes dans un monde nouveau dans lequel l'agroécologie a pris sa place. Elle est devenue un argument de marché, convainc de plus en plus d'agriculteurs et séduit de plus en plus de nos concitoyens. Mais le paysage s'est brouillé, parce que des certifications privées sont venues combler l'absence d'un label public clair rassemblant toute l'agroécologie.
Tous ceux qui ont fréquenté le Salon de l'agriculture de cette année ont été frappés – c'est votre cas, monsieur le ministre, nous en avons parlé, et j'ai également cheminé avec M. le rapporteur et M. le président Lescure au cours des trois jours que j'y ai passés – par une certaine ébullition ; j'ai ainsi vu la naissance d'une vingtaine de marques : un grand distributeur, le premier collecteur laitier coopératif la semaine dernière, un transformateur, tout le monde invente sa marque relative à la nature, au bien-être ou au bonheur, ou garantie sans OGM ou autres. Cela n'est bon ni pour les consommateurs, qui sont victimes des modes, des légendes et des rumeurs plus que de la science et de la raison, ni pour les producteurs, qui sont soumis à des injonctions contradictoires.
Dans l'atelier que j'ai eu l'honneur d'animer, la nécessité de nommer l'agroécologie s'est imposée. Nous sommes arrivés à un moment où un label public qui la définisse est indispensable, comme cela avait été le cas pour l'agriculture biologique. Or, plutôt que de créer ce label, nous avons pensé à recycler la HVE, cette certification environnementale ayant été lancée à titre expérimental au moment du Grenelle de l'environnement.
Cette certification environnementale nous apparaît comme un levier puissant ; il ne s'agit pas d'obliger, mais de donner à la société un outil dont elle va se saisir. Qui pourra s'en saisir ? Je parie que si nous adoptons cette démarche aujourd'hui et que nous en faisons une politique publique, dans toutes les déclinaisons que je vais vous proposer, elle sera demain l'un des principaux résultats des États généraux de l'alimentation. Je parie que des métropoles encourageront, avec les régions, des arrière-pays et que des agences de bassin choisiront ce mode de production labellisé pour contractualiser avec l'agriculture dans des territoires sensibles pour l'eau ou la biodiversité. Je parie que des chaînes de distribution, ciblant les classes moyennes cultivées, diront qu'elles sont entièrement HVE3 dans dix ans. Je parie que les contrats tripartites que nous avons votés il y a deux jours s'appuieront sur cette HVE de niveau 3. Nous aurons donné un outil à la société – acteurs économiques et sociaux, collectivités – pour transformer le pays. Pour cela, la puissance publique doit s'investir pour donner un nom à l'agroécologie. Tout se fait par décret, si bien que l'on n'impose aucune obligation au ministre, mais il faut relier l'intuition du Grenelle de l'environnement à celle de 2014 portée par la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.
L'amendement que je porte est fondateur des autres demandes que je vais décliner dans les minutes qui viennent. Il dit que la certification liée au texte de loi référent n'est pas l'une des mentions valorisantes de l'agroécologie, comme nous l'avions voté avec votre sous-amendement, monsieur le ministre, lors du débat en commission des affaires économiques, mais la mention valorisante de l'agroécologie.
La perspective est très importante. Avec l'Institut national de la recherche agronomique – INRA – et l'ensemble des experts, nous pouvons estimer que la France présentera un paysage divisé en trois en 2030 : un tiers d'agriculture biologique, un tiers de haute valeur environnementale et un tiers d'agriculture conventionnelle pour les produits de mélange de l'agro-industrie et pour nos exportations. Nous pourrons assurer tous les marchés et devenir le leader de l'agroécologie par les technologies et les savoirs en Europe. Je fais le pari que cela nous permettra de régler 75 à 90 % des questions d'environnement liées aux pratiques agricoles dans notre pays.
Nous avons besoin de ce dessein et de ce souffle aujourd'hui. Cette déclaration de principe ne doit pas faiblir ; elle doit être claire. La mention HVE doit devenir la marque territoriale de l'agroécologie.