Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du lundi 28 mai 2018 à 16h00
Équilibre dans le secteur agricole et alimentaire — Article 14

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

Nous avons réussi, non seulement à faire la paix, mais aussi à sortir de la guerre de tranchées, nous mettant en mouvement pour nous inscrire dans une trajectoire mondiale, historique, celle de la génération de la transition. Or, ces guerres de tranchées, nous sommes en train de les rallumer dans nos débats parlementaires.

La ligne du groupe Nouvelle Gauche, dans ces conditions, sera simple : les solutions, récemment validées encore, reprennent pour l'essentiel, monsieur le ministre, celles que défendaient vos prédécesseurs. Elles suggèrent qu'il est temps d'agir et d'obtenir des résultats. Pour ce faire, il nous faut éviter de stresser en permanence nos concitoyens, les consommateurs et les producteurs avec une série d'injonctions et de polémiques qui ne profitent ni aux uns, ni aux autres. Nous devons nous fixer une trajectoire de transition claire, et obtenir des résultats pour redonner le moral à chacun.

La société est plus en avance que nous. Parmi les conférences et les réunions auxquelles j'ai pu participer au cours des dernières années, il n'en est pas une qui se soit déroulée sans que, dans la salle, un producteur ne prenne la parole pour dire que l'objectif dont je parlais, il l'avait déjà « pulvérisé », allant bien plus loin en innovant. Nous devons donc seulement accompagner l'ensemble des agriculteurs ; et pour ce faire, deux outils majeurs sont déjà à notre disposition, qui ont été renforcés par le projet de loi : sur ce point, je salue l'action du Gouvernement.

Le premier instrument, c'est le certificat d'économie de produits phytosanitaires, sur le modèle du certificat d'économie d'énergie. Il traduit une confiance dans la dynamique privée : il incombe à ceux qui commercialisent la phytopharmacie d'inventer, avec leurs clients et leurs fournisseurs – qu'ils soient coopératifs ou privés – , avec les chambres consulaires et les agriculteurs, les solutions du futur. Si nous avions le temps – et peut-être le prendrai-je ultérieurement – , je pourrais évoquer une dizaine d'exemples de réussite extraordinaire, où se conjuguent recherche agronomique, intérêt économique et performance des produits. Chacun, avec de telles innovations, gagne de l'argent et gagne en image de lui-même. Le certificat d'économie de produits phytosanitaires est donc la solution que nous devons généraliser et démultiplier : je me réjouis que le projet de loi y tende.

J'allumerai seulement un petit clignotant : dans le même temps, pour des raisons qui lui appartiennent et que les élections ont tranchées, le Président de la République a proposé de séparer le conseil et la vente. Or tous ceux qui connaissent un peu le sujet – et je pense être l'un de ceux-là – savent qu'il y a une injonction contradictoire à confier à ceux qui commercialisent les produits phytopharmaceutiques le soin d'inventer les solutions permettant de s'en affranchir tout en les écartant des activités de conseil immédiat. Une telle équation est difficile à trouver ; aussi notre chemin de crête réside-t-il dans le respect de l'engagement présidentiel, que nul n'osera remettre en cause ici, et la réussite des certificats d'économie de produits phytosanitaires. Voilà, sur le plan des travaux pratiques, le défi que nous avons à relever.

Je mettrai bien sûr en évidence le biocontrôle, qui représente aujourd'hui 5 % des solutions : il y a là un potentiel, via la recherche privée et publique, de l'ordre de 15 à 20 %. Nous devons donc lever tous les obstacles qui empêcheraient le développement de ces alternatives, à côté de celles que représentent les biotechnologies végétales, la mécanique et l'agriculture de précision, auxquelles les exploitants ont déjà recours. Nous défendrons donc ces solutions aussi.

À travers plusieurs amendements, nous serons conduits à débattre des délais – trois ans, trois ans et demi ou deux ans et demi. Sur ce point, je répète ce que j'ai déjà dit dans cet hémicycle, et qui résulte des États généraux de l'alimentation : dans une démocratie moderne, toutes les parties prenantes doivent prendre part au vote. Imaginez le tour de table que cela représente : trente personnes, accoutumées à se faire la guerre sur des sujets précis, ont admis que, dans cette démocratie-là, c'est à la puissance publique qu'il revient, en s'appuyant sur la science et sur des institutions démocratiques, de décider ce qui est bien et ce qui est mal, et non au marché ou à l'opinion publique ; faute de quoi nous fabriquerions un enfer culturel, pour les producteurs, les consommateurs et la société tout entière.

Nous militons donc pour une « réinstitution » de l'ANSES – Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail – et de l'AFSSA – Agence française de sécurité sanitaire des aliments – , solution préférable à la faculté donnée au Parlement de se prononcer sur chaque décision environnementale et sur chaque molécule. Nous n'en sortirions pas, et nous embourberions dans de tels débats. Il faut donc redonner des objectifs à ces institutions, dans la confiance et de façon claire. Je le dis sans malice : lorsqu'une décision est prise, l'ensemble du Gouvernement doit la soutenir. À cette fin, nous proposerons que Matignon, donc le Premier ministre, soit le seul habilité à se prononcer sur les décisions de l'AFSSA ou de l'ANSES. Cela permettra d'éviter toute cacophonie et d'envoyer des messages clairs à la société.

Enfin, la transition vers l'agro-écologie nous permet de nous affranchir des seules solutions phytopharmaceutiques. Certains, d'ailleurs – y compris parmi ceux qui étaient productivistes il y a trente ans – , affirment que la chimie n'aura peut-être été qu'une période de l'histoire de l'agriculture. Au-delà de ces pionniers, engagés dans la transition, nous ne devrons pas oublier ceux qui en ont été victimes au cours des dernières décennies.

Avec le groupe Nouvelle Gauche et tous ceux que nous avons réunis, tous bords politiques confondus, il y a quelques semaines, je plaide avec force pour que nous reprenions l'initiative du Sénat, s'agissant de la création d'un fonds d'indemnisation pour les victimes de la phytopharmacie. Nous devons en effet rendre justice à ces victimes. Sans opposer les sujets, mes chers collègues, nous avons passé tellement d'heures sur le bien-être animal ! Je voudrais aussi que nous rendions hommage à ces producteurs, à ces éleveurs, à ces céréaliers qui, à un moment donné de leur vie, par manque d'information ou à cause des défaillances partagées du privé et du public, ont subi les évolutions dont je parlais. Nous devons, disais-je, leur rendre justice et leur permettre de continuer à vivre avec le maximum de dignité et de reconnaissance. Ce sera là, pour nous, un combat majeur dans le débat que nous entamons.

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