Intervention de Loïc Prud'homme

Séance en hémicycle du lundi 28 mai 2018 à 16h00
Équilibre dans le secteur agricole et alimentaire — Article 14

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLoïc Prud'homme :

Dans l'article 14, nous allons parler de pesticides. Je dis bien « pesticides », parce que j'ai entendu plusieurs collègues parler de « phytopharmacie ». Mais ce n'est pas de la phytopharmacie. Ou si c'en est, je propose que les méthodes d'évaluation de ces molécules s'alignent sur celles de la pharmacie, qui sont bien plus exigeantes.

Ce sont donc bien 60 000 tonnes de pesticides qui sont épandues chaque année dans notre pays. Pour quel impact ? Des problèmes avérés sur la biodiversité, que plus personne ne peut nier, tant les exemples s'accumulent et sont confirmés chaque jour par les scientifiques. Mais aussi, cela n'a pas encore été dit, la stérilisation des sols agricoles, par l'accumulation pendant plus d'un demi-siècle de pesticides et de métaux lourds, l'érosion causée par l'agriculture chimique et au final les pertes de rendement que nous commençons à mesurer d'une manière tangible et assez significative.

L'utilisation massive de pesticides est également un scandale sanitaire majeur. Glyphosate et autres pesticides se retrouvent aujourd'hui dans les aliments que nous consommons quotidiennement. Une étude a récemment montré que les céréales que nos enfants consomment sont contaminées à plus de 50 % par le glyphosate… Aujourd'hui, les fongicides SDHI – inhibiteurs de la succinate déshydrogénase – dont Delphine Batho parlait tout à l'heure sont aussi très massivement présents dans tous nos aliments, puisqu'ils sont utilisés contre les moisissures non seulement pour traiter les céréales dans les champs, mais aussi directement sur les fruits et les légumes.

Rappelons également que la grande majorité des molécules de ces pesticides sont classées cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques ou perturbateurs endocriniens. Ce ne sont pas des informations anodines que l'on peut barrer d'un trait de plume en regardant ailleurs.

Rappelons également que ce sont bel et bien les agriculteurs et les agricultrices qui sont les premières victimes de ces 60 000 tonnes de pesticides.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Ce système est le fruit d'un modèle de plus de soixante ans qu'il faut complètement remettre en question aujourd'hui. À l'époque où ce modèle d'agriculture mécanisée et chimique a été conçu, il y avait besoin de libérer de la main-d'oeuvre dans les campagnes pour aller reconstruire le pays et travailler dans l'industrie. Aujourd'hui, le schéma s'est inversé, puisque les grandes métropoles et les villes souffrent d'une pénurie d'emplois. Cela devrait nous faire réfléchir. Les alternatives que nous proposons permettront de recréer de l'emploi dans les campagnes pour inventer l'agriculture du XXIe siècle, en sortant de ce modèle parfaitement obsolète.

Des alternatives, il y en a. Il faut continuer d'y travailler. Il y a, par exemple, des pratiques agricoles différentes : les rotations et les associations de cultures, mais aussi, monsieur le ministre, les préparations naturelles peu préoccupantes – PNPP – , sur lesquelles vous êtes en train de reculer, comme nous en discuterons tout à l'heure. Vous ne faites en effet rien pour faciliter et élargir leur utilisation !

Je tenais aussi à répondre au président Jacob, qui n'est malheureusement plus dans l'hémicycle. Il nous a parlé de la nécessité d'avoir des semences OGM, mais il oublie que les semences qui s'adaptent le mieux à nos régions, à nos changements climatiques et aux problèmes sanitaires éventuels ont souvent été obtenues par sélection de populations. Il faut permettre aux agriculteurs de réutiliser facilement et librement les semences qu'ils auront produites, en gardant les plus beaux spécimens de leurs récoltes ! On sait que cela marche ! J'ai rencontré des agriculteurs qui le font depuis plusieurs années et qui arrivent même à sélectionner des semences résistantes à la sécheresse à laquelle ils sont confrontés dans ma région. Voilà des alternatives ! On ne peut pas dire qu'il n'y en a pas.

L'agriculture bio le prouve largement, au quotidien, depuis des années. Ses agriculteurs vivent bien et ont des revenus décents, en appliquant ces solutions différentes. L'INRA le montre également dans ses dernières études. Non seulement c'est possible, mais cela permet à nos agriculteurs de vivre correctement.

Assurément, il faut une trajectoire de sortie. Personne ici n'a prétendu que nous nous réveillerions demain matin en étant sortis du modèle de l'agriculture chimique. Il faut une trajectoire de sortie, mais pas celle qui est dessinée dans l'article 14. Elle doit être exigeante, et demande un soutien financier du Gouvernement, afin d'aller vers d'autres pratiques, de permettre aux agriculteurs de réorienter leurs productions, voire d'en changer s'il le faut. Il faut aussi soutenir la formation : cette agriculture est consommatrice de formation et de savoir-faire, et il me semble que le soutien à l'enseignement agricole public n'est pas à la hauteur, comme je l'ai dit hier.

Quelques mots sur la recherche publique. Nous avons parlé de l'INRA à plusieurs reprises, mais je voudrais aussi citer l'INSERM – Institut national de la santé et de la recherche médicale – ou le CNRS. Leur travail peut nous permettre de revenir à un modèle plus vertueux et d'aller vers une agriculture du XXIe siècle. Mais à quoi les scientifiques des équipes de recherche passent-ils leur temps aujourd'hui ? Ils passent 90 % de leur temps à déposer des projets auprès de l'Agence nationale de la recherche – ANR – , dont seulement 10 % trouveront des financements ! Ainsi, 90 % du temps de nos chercheurs n'est pas utilisé à faire de la recherche mais à trouver des financements. Il faut que la recherche publique retrouve des financements à la hauteur des enjeux de la période. Nous ne pouvons pas nous contenter de lui payer les fluides et laisser financer tout le reste par des fonds privés ou très aléatoires, puisqu'ils dépendent des arbitrages de l'ARN.

Oui, un changement radical est nécessaire. La France insoumise n'est pas tombée de l'armoire ce matin en se disant qu'il fallait changer de modèle : c'est toute la société qui, massivement, demande un changement d'agriculture, parce qu'elle veut un changement d'alimentation. Nous jugerons ce soir de la direction qu'aura prise la trajectoire de sortie, et verrons si elle est à la hauteur des attentes de la société tout entière. La décision qui aura été prise sur la sortie rapide du glyphosate sera un bon indice.

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