J'ai parfois l'esprit un peu tortueux, madame la présidente. Je me disais que nous avons tous beaucoup échangé ces derniers jours sur la manière dont nous pourrions parvenir à transformer – à un rythme parfois différent selon les groupes, mais au bout du compte avec les mêmes objectifs – notre modèle agricole pour qu'il soit plus vertueux en matière de santé et en matière de protection des agriculteurs eux-mêmes, et plus précautionneux pour la planète. C'est le sens de notre débat actuel sur les produits phytosanitaires. Et je me suis aperçu que j'avais oublié de parler du camembert normand ! Je veux rattraper cette injustice – en plus, c'est la semaine de la Normandie à l'Assemblée, on va nous en parler dans tous nos restos, et il fallait évidemment trouver une fenêtre pour parler du camembert.
Car il y a une actualité sur le camembert, en ce moment même où nous débattons de cette transformation importante du secteur agricole que souhaite le Gouvernement. À l'instar d'un grand nombre de nos citoyens et d'élus, je veux alerter l'Assemblée sur la récente décision de l'Institut national de l'origine et de la qualité – INAO.
L'appellation « Fabriqué en Normandie », c'est-à-dire chez nous, monsieur le ministre, ne certifie aucune origine locale ni même française des laits utilisés, et ne protège pas véritablement le fromage normand. Aujourd'hui, nous le savons, seule l'AOP « Camembert de Normandie » atteste de la provenance du lait. Hélas, cette protection, cette garantie du savoir-faire dont nous sommes fiers en Normandie, vient de tomber avec la décision de l'INAO de mettre en oeuvre, à compter de 2021, une AOP « Camembert de Normandie » ouvrant droit à l'appellation pour des fromages fabriqués à partir de lait pasteurisé et sans critère d'origine.
Cette décision fait tomber tout ce qu'on recherche ici ! D'ici deux ans, à grand renfort de marketing et de publicités aguichantes, des industriels du lait pourront à loisir utiliser une appellation qui, jusqu'alors, reposait sur un cahier des charges qui faisait la fierté des Normands. Cette décision pourrait, si on laisse faire, monsieur le ministre, condamner à terme la filière artisanale française, en particulier normande. On ne peut que constater, au moment où la représentation nationale débat de la répartition de la valeur dans le domaine agricole et alimentaire que cette OPA sur l'AOP est une véritable confiscation de la valeur par les gros au détriment des petits.
Tel est le sens de mon interpellation. Je reconnais que j'ai l'esprit de l'escalier, et qu'elle n'est pas totalement connectée à notre débat.