Intervention de Sylvie Charrière

Réunion du mercredi 23 mai 2018 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvie Charrière, rapporteure pour avis :

Le boom technologique, les révolutions numérique et robotique ainsi que le développement d'une économie verte provoquent une évolution rapide des métiers ; 60 % de ceux qui seront exercés en 2030 n'existent pas encore. Il est donc nécessaire que les formations initiales soient très régulièrement actualisées, dispensent un socle solide de compétences transversales réinvestissables, et que chacun puisse se former tout au long de la vie afin d'être davantage flexible.

Le taux de chômage des jeunes en France, comparé à celui de l'Allemagne, est alarmant : 24,8 % en France, contre 7,8 % en Allemagne. On compte à l'heure actuelle plus de 1,3 million de jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en formation, que l'on appelle les NEET (Not in Education, Employment or Training) ou les invisibles, et qu'il est très difficile d'aller chercher. Ce taux de chômage grimpe jusqu'à 40 % dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. De plus, le nombre de ces NEET ne cesse d'augmenter par le fait que, chaque année, 100 000 jeunes sortent du système scolaire ou universitaire sans diplôme. Parallèlement, le taux de jeunes Allemands formés par la voie de l'apprentissage est trois fois supérieur au nôtre.

C'est à ces défis que répond le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, par le biais d'une rénovation de notre système de formation professionnelle et d'apprentissage, une révision de notre système d'assurance chômage et une nouvelle gouvernance de la politique de l'emploi.

Ces réformes de l'apprentissage et de la formation professionnelle doivent permettre d'apporter une qualification et une protection supplémentaires à tous les actifs.

La formation professionnelle initiale en alternance, qu'elle passe par le lycée professionnel, par un centre de formation d'apprentis (CFA) ou par l'université, doit être mieux valorisée, mieux articulée, et bénéficier de l'engagement de chacun si nous voulons en faire une voie de réussite.

L'alternance est une voie qu'il faut promouvoir car la meilleure garantie contre le chômage reste le diplôme. En effet, 48,4 % des jeunes sortis sans diplôme ou avec uniquement le brevet des collèges sont au chômage. Autre indicateur à prendre en considération : un tiers des contrats d'apprentissage sont rompus. Or l'apprentissage est une voie qui insère : au 31 décembre 2017, on comptait 412 437 apprentis dans des centres de formation publics ou privés, dont 152 489 dans l'enseignement supérieur, du brevet de technicien supérieur (BTS) au diplôme d'ingénieur ; dans les sept mois qui suivent la fin du contrat d'apprentissage, sept apprentis sur dix trouvent un emploi, dont 60 % en CDI ; enfin, 80 % des employeurs se déclarent satisfaits des apprentis qu'ils recrutent, et les réembauchent à la fin du contrat.

Pour que la voie de l'apprentissage soit davantage choisie par nos jeunes, le premier grand défi à relever est de faire évoluer les mentalités des familles, des enseignants et des chefs d'entreprise, et de redonner confiance à l'ensemble des acteurs. Pour cela, nous disposons de plusieurs leviers.

Tout d'abord, sécuriser le statut de l'apprenti : celui-ci doit être assuré de trouver une entreprise et avoir un droit à l'erreur. Il faut lui laisser la possibilité de passer d'un CFA à un lycée professionnel et inversement, de changer de voie et, en cas de rupture de contrat, de finir l'année au CFA en poursuivant sa formation théorique.

Ensuite, faire en sorte que l'école se rapproche de l'entreprise, afin que toute la communauté ait une meilleure connaissance des formations, des métiers et des compétences nécessaires à l'insertion immédiate, mais aussi à l'insertion future. Bon nombre des personnes que nous avons rencontrées ont pointé l'orientation comme le problème essentiel. Cela suppose d'agir selon plusieurs axes.

Premier axe : mieux former les enseignants à l'accompagnement des jeunes, notamment à travers des stages en entreprise lors de leur formation initiale. Les élèves pourront ainsi découvrir ce monde que la plupart de leurs aînés n'ont jamais découvert, et dont ils se font une représentation parfois erronée.

Deuxième axe : dans un souci d'équité, mieux outiller les établissements dans l'élaboration des « parcours Avenir », en renforçant la présence des psychologues de l'éducation nationale, en donnant aux régions les moyens de construire, grâce aux compétences des délégations régionales de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (DRONISEP), une information solide et actualisée à travers de nombreux supports et actions dans les établissements – visites de professionnels, forums des métiers, vidéos.

Troisième axe : montrer que cette voie est « insérante », en rendant publiques les statistiques concernant les taux d'insertion, de réussite au diplôme, de poursuite de parcours pour les CFA mais aussi pour les lycées professionnels. Ainsi, toute la communauté éducative pourra se rassurer sur le fait que l'on peut réussir en empruntant cette voie, et qu'une poursuite d'études est possible. Je vous proposerai d'ajouter à ces indicateurs les taux de rupture de contrats et la valeur ajoutée des établissements, afin de mettre en avant ce que chaque CFA peut mettre en place pour accompagner les jeunes.

Mieux valorisée, cette voie doit aussi être mieux articulée.

Les transformations du monde économique appellent, en amont de l'insertion professionnelle, une évolution des formations plus réactive aux besoins de l'économie, et une plus grande adaptabilité des personnes sortant du système éducatif.

Du côté de la simplification administrative, il a paru nécessaire d'alléger les procédures de rupture de contrat pour les apprentis : c'est le sens de la fin du passage aux prud'hommes, qui donnera à ces jeunes plus de flexibilité dans leurs choix.

Ensuite, dans un souci de simplification et d'efficacité, il a semblé plus pratique de confier la gouvernance à un opérateur unique, quadripartite, qui rassemblera tous les acteurs : État, région, organisations syndicales et patronales, personnalités qualifiées. Cette gouvernance concernera entre autres le financement, mais il nous a semblé également important que France compétences puisse davantage cadrer ce qui se passera en matière d'orientation.

En simplifiant les conditions d'ouverture et de fermeture des CFA, il devrait être plus facile de s'adapter, et ce de manière bien plus réactive, aux besoins des compétences au niveau local.

Le même souci d'opérationnalité doit prévaloir pour ce qui est du « sourcing » et du « matching », en s'appuyant sur les outils numériques afin de permettre aux trois protagonistes, jeunes, CFA et entreprises, de se rencontrer. On pourrait même, dans un souci d'amélioration du système, imaginer que le jeune puisse porter un avis sur son CFA, voire sur l'entreprise qui l'a accueilli.

Les branches se verront accorder plus de poids dans la définition des diplômes : elles représenteront plus de 50 % de l'effectif total des commissions professionnelles consultatives. En instaurant une révision des diplômes tous les cinq ans et en demandant un avis conforme aux commissions professionnelles consultatives au sein de France compétences sur les projets de création et de suppression de diplômes, l'État veut s'assurer de l'effectivité de l'insertion professionnelle permise par ces diplômes. Néanmoins, il faudra prendre garde à ce que les compétences transversales qui découlent des situations de travail et des activités exercées, des métiers ou emplois visés, intègrent bien des compétences d'adaptabilité.

Cette voie nécessitera aussi l'engagement et la mobilisation de chacun, dans le monde professionnel, les régions et le monde éducatif.

Au sein du monde professionnel, les branches auront une grande responsabilité car elles devront être en mesure, notamment grâce à leur observatoire, de mener une analyse prospective sur la situation de l'emploi à venir et sur la définition des besoins en compétences des entreprises et, par conséquent, sur l'élaboration des titres et diplômes et sur leur articulation en blocs de compétences. Les futurs opérateurs de compétences devront accompagner les branches les plus fragiles.

De leur côté, les entreprises devront se mobiliser et s'engager en embauchant des apprentis et en acceptant aussi que les maîtres d'apprentissage se forment.

Les régions, elles aussi, devront s'engager à travers le contrat de plan régional de développement des formations et de l'orientation professionnelles (CPRDFOP), qui ne sera pas seulement une formalité administrative, mais un plan d'action au service de la formation et de l'insertion des jeunes. Il mettra en relation tous les acteurs : les points jeunesse, les missions locales, Pôle Emploi, les écoles de la deuxième chance, les associations comme « Nos quartiers ont du talent », etc. C'est ainsi que l'on récupérera et qu'on ira chercher nos NEET. Les régions doivent également se donner le moyen de vérifier l'effectivité de la mise en oeuvre de ces CPRDFOP, et leur efficacité.

L'idée que la compétence, le capital humain, l'enrichissement de chacun est la clé de la réussite de notre société doit trouver sa concrétisation dans un lieu emblématique : les campus des métiers et de la qualification.

De nombreuses régions ont déjà créé de tels pôles de compétence dans un bassin économique identifié, mais elles devront aller encore plus loin, en rassemblant sur un lieu proche toutes les voies et niveaux de formation, du CFA au lycée professionnel ou général, jusqu'aux écoles d'ingénieurs et aux universités. Cela permettra de créer des passerelles et de donner à chacun des perspectives pour poursuivre ses études, en formation initiale ou continue. Pour être attractifs, ces campus devront proposer aux jeunes des activités sportives et culturelles, mais aussi et surtout des modes d'hébergement : les problèmes de mobilité constituent des freins majeurs au développement de l'apprentissage.

L'engagement vaut aussi pour le monde éducatif : en concluant des conventions entre eux, les lycées professionnels et les CFA permettront aux jeunes de construire des parcours de formation qui correspondront mieux à leur niveau de maturité : maturité à choisir sa voie, à entrer dans le monde du travail, tout en leur donnant la possibilité de se réorienter. Nous devons leur offrir un véritable droit à l'erreur.

Le parcours régional de préparation à l'apprentissage (PREPA) qui est proposé dans ce texte de loi donne au jeune arrivant en CFA ou en lycée professionnel la possibilité d'acquérir les compétences comportementales et les compétences de base qui lui manquent, pour trouver un patron, démarrer son apprentissage et affiner son projet. Il est important de proposer aux jeunes qui décrochent en collège une structure mettant en avant, grâce à des pédagogies innovantes, des compétences telles que la collaboration, la créativité, l'esprit d'initiative, et qui s'appuient sur le concret, sur le « faire pour apprendre ». Cette classe devra également les aider à découvrir le monde de l'entreprise et ainsi à mieux définir leur projet personnel et professionnel.

Par ailleurs, il est important que lors des phases d'orientation en troisième, les enseignants n'aient pas un sentiment d'échec si le jeune part vers la voie professionnelle, et que le chef d'établissement ne soit pas évalué en fonction de ses taux de passage en seconde générale mais bien sur la poursuite de formation des élèves, quelle que soit la voie choisie. L'important est que leur accompagnement ait permis à chacun de bien définir son projet.

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