Monsieur le président, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs, un an après avoir flexibilisé le marché du travail par des ordonnances, ce projet de loi devait constituer le volet de la réforme apportant de la sécurité pour les salariés. À notre avis, il n'en est rien.
Dans ce mastodonte législatif de près de soixante-dix articles, notre commission n'examinera que les dispositions relatives à l'alternance.
Disons-le clairement : cette réforme induit de nouveaux risques et des craintes chez les acteurs du secteur. On peut d'ailleurs souligner la position inédite du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), alors que le Gouvernement nous propose de tout déréguler en pensant que le marché viendra répondre aux besoins.
Nous sommes inquiets car vous nous faites passer d'un service public non marchand à une activité marchande. Cela aura pour résultat de déstabiliser les CFA, tout particulièrement ceux de petite taille. C'est parce que la gestion de l'apprentissage serait trop administrée que vous décidez de la bouleverser. N'oubliez pas que l'apprentissage sert à former des citoyens. Il faut le protéger, et la régulation publique est indispensable pour répondre aux besoins sociétaux.
Différentes instances nous ont clairement alertés sur les inquiétudes qu'ils avaient à propos de ce texte. Les écouter aurait permis d'éviter deux écueils.
Nous rappelons que les formations ont des coûts et des besoins qui sont fonction des spécificités des territoires. En finançant l'apprentissage au contrat plutôt qu'au forfait, on sera dans une méthodologie particulièrement floue. La mécanique risque d'avoir des effets pervers : les CFA les mieux équipés pourraient être privilégiés, alors que les CFA les moins dotés ou positionnés sur les métiers rares ou émergents seraient délaissés, aggravant la fracture territoriale.
La carte des formations est supprimée, ce qui risque de créer des effets de concurrence territoriale. Selon Régions de France, les CFA seraient plus de 700 à disparaître, sachant que nous n'avons pas d'estimations exactes pour les outre-mer, notamment pour mon territoire, la Martinique. Pourtant, le Président de la République veut développer les CFA dans les banlieues. Je ne vois pas comment cela pourrait fonctionner avec une telle logique.
Mes chers collègues, alors que tous les acteurs disent que cette réforme est inappropriée aux besoins, nous devons repenser l'espace de dialogue entre les CFA et les régions, et recréer la carte des formations professionnelles.
Aujourd'hui, alors que les contrats de professionnalisation sont gérés par les branches professionnelles, les résultats ne sont pas forcément les meilleurs. Comment peut-on imaginer que le privé ferait forcément mieux que le public ? La question de la capacité et de l'existence des branches professionnelles dans tous les territoires a-t-elle seulement été posée ?
Dans les outre-mers, où le tissu économique est composé à plus de 80 % de très petites entreprises, il n'y a que très peu de branches. Comment seront-elles en mesure de prendre en charge leurs nouvelles missions ?
Sur l'engagement de redistribuer 5 % de la cotisation alternance vers les régions, la question reste en suspens. Comment seront redistribués les 250 millions d'euros promis ? Nous avons une idée des territoires qui seront à nouveau délaissés ; je pense particulièrement aux outre-mer.
De même, c'est la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques qui appuierait la création de nouveaux CFA. Sachant qu'elle ne s'appliquera pas dans les départements d'outre-mer, devrons-nous attendre un changement dans la gestion de la taxe spéciale de consommation sur les carburants, dont le taux et les exonérations seront fixés par le conseil régional ?
Cette réforme témoigne malheureusement une nouvelle fois de la méthode de notre gouvernement, qui consiste à passer en force. La sagesse commanderait, sur ce sujet comme sur d'autres, de ne brusquer ni les professionnels ni les salariés, ni les demandeurs d'emploi ni les entreprises, ni même les collectivités.