Intervention de Sabine Rubin

Réunion du mercredi 23 mai 2018 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabine Rubin :

Si je devais trancher par une formule, ce serait celle-ci : asservir l'apprentissage, mais également l'orientation, aux besoins de l'entreprise, voilà toute votre réforme. Cela ne nous convient évidemment pas !

S'agissant de l'apprentissage, ce texte est vicié dans son principe même : l'apprenti n'acquerra plus des savoirs théoriques et pratiques dans la perspective d'un diplôme national, mais seulement de l'employabilité, qui plus est bon marché pour les entreprises. J'en veux pour preuve le contrôle du contenu pédagogique : il pourra être assuré par des représentants de chambres consulaires et des branches. En outre, par voie d'expérimentation, le contenu pédagogique du contrat d'apprentissage pourra être librement défini par l'employeur. Qu'adviendra-t-il du diplôme national permettant à tous de disposer d'un savoir et de garanties sociales identiques ?

Vous le soulignez, il est impossible de prévoir les emplois de demain ; pourtant, cette réforme enferme les apprentis dans des blocs de compétences spécifiques à une entreprise, alors qu'il leur faudrait posséder les connaissances et les pratiques d'un métier.

Mes chers collègues, dans votre français libéral, être employable, ce n'est pas pouvoir postuler à un emploi partout sur le territoire, mais plutôt faciliter les ruptures de contrat pour l'employeur. Votre employabilité, c'est la libéralisation de la formation des apprentis et CFA, qui seront de plus en plus subordonnés aux desiderata des entreprises et des branches professionnelles.

Par ailleurs, alors que vous ne cessez de faire valoir la nécessité de mobilité ou d' « agilité » des travailleurs, cette réforme régionalise l'orientation, assignant les apprentis à des territoires en fonction des besoins de main-d'oeuvre des entreprises locales.

Parallèlement, vous cassez le service public national de l'information et de l'orientation : les missions de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (ONISEP) et des centres d'information et d'orientation (CIO) vont bien au-delà de la simple valorisation des opportunités d'emplois locaux !

Cela dit, votre projet de loi est parfaitement en phase avec votre politique de casse des statuts et de fragilisation des conditions de travail. Vous ne considérez l'homme que comme une machine à produire – et si possible à moindre coût. Il sera désormais permis de déroger à la durée maximale de travail quotidien, deux heures de travail supplémentaires étant autorisées pour les apprentis. Tant pis si cela rompt entre-temps le fragile équilibre entre travail, repos, loisirs et études… Je vous rappelle que nous parlons d'apprentis : ce ne sont pas des salariés comme les autres. Ils sont dans un temps d'éveil, de construction de soi et de formation qui suppose la plus grande attention et des conditions de travail décentes.

En outre, vous légiférez alors qu'aucun bilan n'a été tiré des expérimentations. Les différents acteurs de l'apprentissage rencontrent des difficultés, notamment du fait de son manque d'attractivité. Je ne suis pas sûre que les mesures dont je viens de parler l'améliorent ! En revanche, proposer comme nous le faisons un véritable statut de tuteur en entreprise pourrait constituer une avancée.

Enfin, ce projet de loi nous fait craindre l'avènement du tout-apparentissage au détriment des filières des lycées professionnels.

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