Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, messieurs les rapporteurs, la première intervention du groupe de la Gauche démocrate et républicaine portera essentiellement sur l'habitat privé dégradé, symbole de la spéculation la plus terrible, qui plonge nombre de nos concitoyens dans l'impossibilité de choisir sa résidence et les enferme dans des conditions de logement indignes.
Le nombre de copropriétés dégradées ne cesse de s'accroître, et le phénomène est aggravé par l'extension au périmètre pavillonnaire résidentiel, en Île-de-France mais aussi ailleurs, de la captation par cet oeil du cyclone que sont les marchands de sommeil, ce qui témoigne de l'échec des politiques publiques, tant la situation s'est cristallisée dans nombre de métropoles, de territoires semi-ruraux jusque dans des bourgs ou des villes moyennes.
Cet échec tient pour une large part à l'attention très tardive portée à ce phénomène, bien qu'il soit connu et reconnu, sans parler des nombreux obstacles d'ordre juridique, administratif ou financier. L'examen attentif de la situation des copropriétés dégradées les plus connues révèle l'ampleur des difficultés auxquelles sont confrontés les pouvoirs publics pour prendre des mesures et obtenir des résultats. Voilà le nid de vipères où prospèrent ceux que nous appelons les propriétaires plus qu'indélicats, les marchands de sommeil.
Jean-Louis Borloo, dont chacun citera le nom à plusieurs reprises au cours de ces débats, considère que, si les politiques publiques s'en tiennent à ce rythme d'efforts, il nous reste un travail de plus de trente ans à accomplir, ne serait-ce que pour amorcer une sortie des situations particulièrement enkystées que nous connaissons. « Il faut aller beaucoup plus vite, et faire beaucoup plus fort », affirme-t-il.
En l'espèce, ces propositions, sensiblement appréciées par les élus confrontés à cette situation, visaient, en prenant le taureau par les cornes, à mettre en place des dispositifs qui permettent de racheter dans les plus brefs délais les 100 000 logements aujourd'hui concernés par la dégradation des copropriétés, et de lutter ainsi contre les marchands de sommeil.
Hélas, le calendrier politique des propositions, assorties des outils nécessaires pour accélérer la résorption des copropriétés dégradées, a été sensiblement repoussé et nous restons dans l'expectative quant à notre capacité de mettre un coup de boutoir définitif dans ces kystes urbains, où prospèrent les marchands de sommeil.
Par ailleurs, ce projet de loi comporte des dispositions qui nous laissent perplexes en aggravant, à notre avis, des situations déjà très délicates. Je pense en particulier à deux mesures, largement commentées par notre collègue François Pupponi : la vente en bloc de logements sociaux, qui porte en germe la constitution de nouvelles copropriétés dégradées où pourront prospérer des entreprises à visée spéculative, mais aussi le bail mobilité, dont Stéphane Peu parlera plus longuement, et qui nous paraît un potentiel creuset, assorti de garanties insuffisantes, si ce n'est d'aucune garantie, pour que se développe l'action de propriétaires indélicats ou de marchands de sommeil organisés.
Ces deux dispositions nous font craindre le pire, surtout si nous ne parvenons pas à déminer les situations graves existantes.
J'en viens, dans ce contexte, aux articles qui prévoient des mesures pour lutter contre les marchands de sommeil. Je ne vous ferai pas l'affront de considérer comme nul votre engagement sur le terrain. Les outils que vous proposez, nous en avons convenu, pourraient permettre de progresser sensiblement. À ce titre, nous avons reconnu avec M. Peu que vous aviez été particulièrement attentif, suite à notre proposition de loi, à intégrer des amendements de nature à renforcer un arsenal de mesures préventives et de sanctions, afin de donner aux élus les moyens d'agir avec efficacité.
Il reste un point d'achoppement : le rôle de la police administrative. Il nous paraît décisif que la lutte contre ce phénomène s'exerce dans le cadre des responsabilités du maire. Bien évidemment, nous sommes favorables à l'harmonisation et à la simplification des mesures existantes, mais il nous semblerait utile de préserver la capacité à agir du maire au titre de ses prérogatives et de sa connaissance du terrain.
Vous jugerez peut-être le raccourci excessif, mais les difficultés que rencontrent les maires pour promouvoir leurs projets de rénovation urbaine, désormais passés en première tête de ligne aux EPCI, renforcent notre détermination à plaider en faveur du maintien de la police administrative du maire dans ce domaine.
Même si nous enregistrons avec satisfaction, comme je l'ai souligné, les dispositions que vous vous apprêtez à faire adopter, nous aurons donc ce débat, compte tenu des mesures que nous avions nous-mêmes proposées en la matière.
Je le répète : les avancées du texte se révéleront sans doute insuffisantes au regard de l'ampleur du phénomène, du retard déjà pris en la matière et des dispositions qui figurent dans l'économie générale du texte, qui, malheureusement, risque de consolider un phénomène sur lequel nous aurons sans doute à revenir durant le quinquennat. L'enjeu, en effet, est fondamental pour les habitants de nos quartiers populaires qui sont confrontés à une situation de non-choix et donc livrés à ces marchands de chair humaine.