En revanche, ce débat m'interpelle.
Il y a désormais, dans cette assemblée, d'un côté, ceux qui ont eu la chance et l'honneur d'exercer des responsabilités de maire et, de l'autre, ceux qui peut-être vont y aspirer rapidement. Je voudrais appeler votre attention sur le fait que le mandat de maire est à nul autre pareil et qu'il crée un lien de confiance entre la population et l'élu. Le maire, c'est d'abord et avant tout celui que vous allez voir quand quelque chose ne va pas ; c'est aussi celui à qui vous faites confiance pour dessiner l'évolution de votre environnement. Or cet article enlève au maire la capacité de le faire.
Disons-les choses clairement : peut-être faudrait-il parfois passer par-dessus certaines choses, mais, de mon point de vue, c'est à la population de le faire. Il peut y avoir un débat légitime entre l'État et la mairie, mais c'est à la population de le trancher. Je pense, messieurs les membres du Gouvernement, mesdames, messieurs les membres de la majorité, qu'au cours de la navette parlementaire, vous devriez faire en sorte qu'à un moment donné, la population de la commune puisse s'exprimer.
C'est elle en effet qui subira une opération ratée, et qui devra payer un surcroît d'impôt parce que l'État ou l'intercommunalité – dont la majorité serait hostile à telle ou telle mairie – décidera d'implanter, d'aménager ou de construire des logements, lesquels nécessiteront, ensuite, l'installation de services publics que la collectivité n'aura pas anticipée et pour laquelle elle ne sera pas accompagnée.
Je comprends très bien que les responsables de l'État veuillent passer outre les élus. Le problème est que vous ne prévoyez rien pour associer ces derniers, à quelque moment que ce soit, et rien non plus pour les accompagner dans les conséquences des constructions qui leur seront imposées. Dans les faits, de telles pratiques sont difficiles, observait M. le ministre tout à l'heure : en ce cas, il faut les empêcher ! Si on les prévoit, c'est qu'elles ne sont pas aussi difficiles que cela et que l'histoire, malheureusement, nous en a donné des exemples.
Ce que je perçois de cet amendement que je soutiens, c'est que, à tout le moins, une capacité de négociation doit être laissée au maire. Parmi tous les alinéas que nous allons examiner, pas un seul ne prévoit que le maire aura son mot à dire, sauf s'il est d'accord. Cela me semble très dangereux car, à force de refuser le redécoupage de communes pour les rendre plus grandes et, ce faisant, renforcer la légitimité du maire, on élimine la seule voix légitime, pour nos concitoyens, sur le territoire de la République française. On place ainsi les maires en situation d'être les seuls à devoir assumer, face à la population, des décisions qu'ils ne sont plus en mesure de prendre. De ce point de vue, il me semble que l'on va trop loin.
Si un maire refuse d'accorder un permis de construire, il peut être condamné pour abus de pouvoir. Avant de refuser un permis de construire, donc, un maire réfléchit à deux fois car cela peut lui coûter cher, au civil comme au pénal ; mais au moins ce pouvoir lui permet-il de négocier avec l'État, avec les opérateurs, avec le président d'EPCI ou d'EPT – établissement public territorial – qui, sinon, peut en profiter, s'il lui est hostile, pour déverser des projets qui ne lui conviennent pas.
Je n'interviendrai pas dix fois pour tenir ce discours ; mais je veux le tenir ici car, devant le Sénat, monsieur le ministre, vous aurez une discussion intéressante avec vos anciens collègues qui, comme vous, connaissent ces sujets. Un équilibre doit être trouvé. Les maires, j'en suis d'accord, ne doivent pas pouvoir tout bloquer par simple irresponsabilité – ce qui peut arriver, puisqu'ils sont 36 000 en France – , mais l'on ne peut pas, au motif qu'il y aurait quelques irresponsables parmi eux, les évincer purement et simplement et leur ôter toute possibilité de donner leur avis, de négocier et d'amender les projets, bref, de contribuer à l'intelligence de ces projets au lieu de se les voir imposer.
À cet égard, M. Peu n'a pris qu'un exemple, celui de La Courneuve ; mais enfin, mon cher collègue, des exemples comme celui-ci, notre département en est truffé ! Dans les années 60, l'État a décidé d'y déverser tous les projets dont Paris, dont tous les autres, ne voulaient pas, en vertu d'un accord politique plus que douteux : nous en payons encore le prix aujourd'hui. Et ce prix, c'est celui des grands plans de rénovation urbaine dénoncés il y a quelques jours. Les situations sociales sont devenues inextricables car, lorsque l'on concentre toutes les difficultés au même endroit, on ne parvient plus à trouver des solutions, en tout cas dans de bonnes conditions. J'ai grandi en Seine-Saint-Denis : tout ce que je viens de décrire, je l'ai donc observé autour de moi et, si je n'ai pas eu à le subir personnellement, mes camarades d'école, eux, n'ont pas eu cette chance.
Je n'ajouterai qu'une chose. Je regrette de n'avoir pas eu la chance de siéger dans cet hémicycle à l'époque où l'on s'est permis de donner un tel pouvoir à de grands préfets ; car, s'ils étaient de grands préfets, les vies qu'ils ont façonnées ne furent pas de grandes vies.