Chers collègues, je suis très heureux de vous retrouver. J'étais rentré dans ma circonscription pour une visite du ministre d'État. Les représentants du Gouvernement ne m'en voudront pas d'être allé accueillir leur collègue.
Comme M. le ministre Mézard, j'ai eu la chance d'être maire, pendant seize ans, d'une ville qui comptait trois périmètres de protection de monuments historiques. Inutile de vous dire que, pendant cette période, j'ai dû discuter tous mes projets avec les ABF.
J'ai pris soin de préciser que c'était une chance, pour une ville, d'avoir trois périmètres ABF. Cela signifie en effet que le centre-ville est truffé de monuments historiques. J'en ai effectivement fait une chance.
Depuis des décennies, dans notre pays, les relations entre les ABF et les élus locaux se sont concentrées sur les mêmes interlocuteurs. Par définition, en effet, les maires de villes qui n'ont pas de périmètre n'ont quasiment pas de relations avec les ABF. Pour les autres, ces relations sont permanentes, voire quotidiennes – et elles ne ressemblent pas à un long fleuve tranquille.
Certes, monsieur le ministre, nous n'allons pas tous égrener des anecdotes personnelles – mais nous sommes tout de même ici pour témoigner. Je fais partie, comme vous, manifestement, des maires qui ont eu d'excellentes relations avec certains ABF, mais qui ont parfois connu certaines incompréhensions, pour ne pas dire plus, avec d'autres, et qui ont souffert de l'inconstance des décisions – lorsqu'un ABF autorise certaines choses et que son successeur vous dit diamétralement le contraire.
Je vous passe l'épisode du choix des couleurs des façades. J'ai la chance d'avoir une ville historique sarde, capitale de l'ancienne province du Faucigny, en Haute-Savoie. J'ai financé à 80 % la rénovation des façades de mon centre-ville, et même dans ces conditions, trouver un accord sur la couleur valait son pesant de cacahuètes !
Je pense moi aussi qu'il faut améliorer les relations au quotidien. En tant qu'élu local ou propriétaire d'un bâtiment historique, on peut tout accepter. Ce qui est difficile à vivre, c'est de se voir imposer une décision sans avoir le sentiment d'avoir reçu les explications nécessaires, ni que son interlocuteur ait simplement pris le temps de parcourir cinquante kilomètres en voiture pour participer à une commission municipale ou venir expliquer un choix – qui est nécessairement légitime, puisque, par définition, le sachant est l'ABF et non le maire.
J'ai connu ces situations, et je les parfois très mal vécues. Cela place le maire ou le maire adjoint chargé de l'urbanisme dans une situation très délicate quand il doit expliquer un choix lors d'une réunion publique.
Encore un mot pour celles et ceux qui n'ont pas eu la chance, le vrai bonheur, en tant que maire, de former un recours contre la décision d'un ABF.
Quand un maire est soumis pour la totalité de sa ville à l'avis conforme de l'architecte des Bâtiments de France, il n'est déjà pas très à l'aise pour faire un recours : il sait qu'il retrouvera le même ABF pour toutes les décisions suivantes, c'est-à-dire au quotidien ! Même si l'ABF est réputé impartial, je vous assure que le maire y réfléchit à deux fois avant d'appuyer sur le bouton « recours ».
Au cas où il se résout au recours, ce qui a été mon cas, par obligation, il s'adresse au préfet de région, qui convoque une commission régionale. Le dossier est alors instruit par la direction régionale des affaires culturelles – DRAC. Autant dire qu'il est instruit par ceux qui, au niveau régional, travaillent au quotidien avec l'ABF qui a refusé la décision locale. Excusez du peu !
Vient le moment du passage devant la commission. Il faut l'avoir vécu pour en parler ! En fait, c'est un tribunal de sachants. Voilà pourquoi la commission émet très peu d'avis contraires, et pourquoi très peu d'élus la saisissent : quand vous arrivez, je vous le dis comme je le pense, vous êtes mort. Vous avez tort. Donnez-moi le nombre de commissions qui ont contredit l'avis de l'ABF ! À mon sens, c'est beaucoup moins de trente.
In fine, l'avis de la commission est renvoyé sur le bureau du préfet de région. Là, nous savons tous comment ça marche : le pauvre est bien embêté, au nom de la continuité de l'État, pour aller contre l'avis de l'ABF et contre celui de ses propres services régionaux. Voilà comment se passent les recours dans la vraie vie.
C'est pourquoi je rejoins la position de M. Mézard. Ce n'est pas parce qu'on est dans l'opposition qu'on ne peut pas souscrire à certains avis du Gouvernement, surtout quand un ministre possède une expérience locale et qu'il connaît bien la procédure ! Le statu quo n'est pas possible.
D'abord, comme cela a été très bien dit, nos bâtiments historiques ont traversé les âges, mais il n'est pas interdit de leur donner aujourd'hui une connotation numérique et environnementale, quand c'est à la fois possible et acceptable, ne serait-ce qu'en matière de chauffage.
Je vis dans une région de montagne. Aujourd'hui, si vous voulez chauffer et réhabiliter un monument historique, on vous interdit la géothermie et les panneaux solaires, sans parler de la tranchée pour amener le gaz naturel. C'est bien sympathique, mais alors il ne faut pas venir nous parler de pollution ni de réhabilitation !
Ensuite, il faut voir la réalité en face. Je l'ai dit en commission et j'assume mes propos : il y a pénurie d'argent public. Si nous conservons le statu quo, si nous figeons tout, nous pourrons être fiers de nous : nous aurons effectivement appliqué le sacro-saint principe de protection des bâtiments historiques – mais certains finiront à terre. Soit nous regardons une partie de notre patrimoine finir à terre, soit nous acceptons un compromis entre ce qui est possible, ce qui est réalisable et ce qui est finançable.
Enfin, si on veut améliorer le dialogue, la procédure de recours devra aussi faire l'objet, à terme, d'un rééquilibrage. Certains, en effet, sont juge et partie, participant d'abord à la procédure de délivrance d'un avis de l'ABF sur le plan local, puis à l'instruction dans la commission. Cela étant, je ne fais pas le procès des ABF. L'histoire montre que j'ai réhabilité la quasi-totalité des bâtiments historiques de Bonneville, ce qui n'avait pas été fait auparavant, en dix-sept ans, même s'il m'est arrivé parfois de rencontrer des difficultés.
Ce qui nous est proposé va dans le sens d'un meilleur équilibre. À la sortie, c'est le patrimoine de notre beau pays qui en sortira grandi.