Si le sujet des fausses nouvelles n'est en rien une nouveauté – Marc Bloch évoque ainsi les faux récits qui foisonnent durant la Grande Guerre –ce sont bien les mutations sans précédent des technologies numériques, en particulier l'essor des plateformes, qui leur donnent leur caractère inédit aujourd'hui. Ces mutations d'ampleur légitiment l'intervention du législateur, plus d'un siècle après la grande loi sur la liberté de la presse qui définissait déjà le délit de fausse nouvelle.
Ces fausses informations sont le fruit de campagnes calibrées, concertées, parfois pilotées par des pays hostiles qui utilisent les failles de nos États de droit pour tenter d'influencer nos élections démocratiques. Le groupe UDI Agir et Indépendants salue donc l'initiative que vous portez ; elle est d'autant plus essentielle dans un contexte de perte de confiance dans nos institutions. Ce texte sur les fausses nouvelles a le mérite de rappeler que l'information est au coeur de la démocratie, que le travail journalistique répond à un devoir de vérité et de vérification des faits qui ne peut se faire sans un cadre déontologique précis.
Avec la loi Bloche promulguée en novembre 2016, le législateur a notamment traité la question de l'indépendance des journalistes en obligeant chaque entreprise de presse à se doter d'une charte déontologique ou à se référer aux textes existants, et en donnant aux journalistes le droit de refuser tout acte contraire à sa conviction professionnelle. Mais le législateur doit aussi se préoccuper des publics qui sont les premières victimes des dérèglements de l'information. Pour rétablir la fiabilité de l'information et renouer le lien de confiance entre l'opinion et les médias, nous devons nous interroger sur l'opportunité de créer en France une instance de régulation indépendante et tripartite : syndicats de journalistes, groupes de presse, associations et experts. La plupart des démocraties d'Europe sont dotées d'un conseil de presse, au-delà d'une autorité régulatrice de type CSA.
Le second mérite de ce texte consiste à accélérer la responsabilisation des plateformes, qui ne sont pas de simples hébergeurs mais dont le rôle s'apparente de plus en plus à celui d'un éditeur. Il y a chez ces nouveaux acteurs une prise de conscience de leur responsabilité sociale et de la nécessité de réguler davantage. Cette initiative parlementaire participe à des contraintes : agir plus vite et plus efficacement. Néanmoins, nous aurons également besoin d'une réponse coordonnée au niveau européen.
De manière très pratique et concrète, je voudrais vous poser quelques questions. La création d'une nouvelle procédure de référé ouverte uniquement pendant les périodes électorales précédant les scrutins d'ampleur nationale, afin d'enjoindre aux hébergeurs et fournisseurs d'accès à internet de stopper la diffusion d'une fausse information, part d'une bonne intention, mais comment s'assurer de l'effectivité de cette procédure lorsqu'on sait qu'un contenu peut, par la magie de la viralité, être partagé par plusieurs millions de personnes en même temps en quelques heures ?
Deuxièmement, si le juge des référés doit se pencher sur le vrai du faux, si j'ose dire, hormis les cas les plus flagrants, n'y a-t-il pas un risque qu'il se dessaisisse en se déclarant incompétent ? Cela rend d'ailleurs d'autant plus pertinente la création d'un conseil indépendant de la presse.
Troisièmement, échappe à ce texte l'enjeu de la diffusion des propos haineux et racistes sur les réseaux sociaux, contre laquelle ni notre droit ni les solutions des plateformes n'apportent de réponses aujourd'hui efficaces. Pourquoi ne pas profiter de l'opportunité offerte par ces textes pour traiter ce sujet si important ?
Enfin, nous sommes convaincus que, sur ce sujet plus que sur aucun autre, l'éducation aux médias et à l'information est fondamentale : il s'agit d'un enjeu décisif.
Je finirai en citant Marc Bloch : « Une fausse nouvelle naît toujours de représentations collectives qui préexistent à sa naissance ; elle n'est fortuite qu'en apparence, ou, plus précisément, tout ce qu'il y a de fortuit en elle c'est l'incident initial, absolument quelconque, qui déclenche le travail des imaginations ; mais cette mise en branle n'a lieu que parce que les imaginations sont déjà préparées et fermentent sourdement. »