Intervention de Jacques Creyssel

Réunion du mardi 22 mai 2018 à 18h30
Commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques

Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) :

J'ai effectivement imaginé une partie de vos questions, mais je ne pourrai pas répondre à certaines d'entre elles. Nous représentons beaucoup d'enseignes, y compris une partie de celles que vous allez auditionner. S'agissant de sujets spécifiques, nous n'avons pas vocation à répondre à leur place, et il faudra leur poser la question directement, car nous n'exerçons pas de responsabilité dans les magasins.

En revanche, je vous propose de rappeler quel est notre rôle global dans ces sujets de crise sanitaire, et surtout d'insister sur les propositions sur lesquelles nous travaillons. Émilie Tafournel, notre directrice qualité, est co-rapporteure du groupe du Conseil national de la consommation (CNC) sur la réforme des rappels et des retraits – je pense que c'est un des éléments de réponse importants parmi ceux que je vais vous fournir.

S'agissant du cas spécifique de Lactalis, comme il vous a été indiqué lors des premières auditions de distributeurs, on doit faire face chaque année à un nombre élevé de retraits et de rappels. C'est une procédure malheureusement utilisée de manière régulière : on dénombre environ 200 rappels chaque année, et selon les enseignes, 500 voire 1 000 retraits de références, qui donnent lieu à un nombre considérable de messages. C'est une procédure utilisée de manière très fréquente aujourd'hui.

Le cas Lactalis a été très particulier. Tout d'abord parce que le type de produit concerné est très sensible. Ensuite, il y a eu une succession de rappels de la part de l'entreprise, qui est la première responsable de cette situation très particulière. Enfin, cette crise a touché de nombreux lots et produits, ainsi qu'un nombre important d'opérateurs. En l'occurrence, tous les réseaux de distribution ont été concernés par les dysfonctionnements que vous évoquiez tout à l'heure. C'est un cas très exceptionnel.

Notre rôle, en tant que fédération, est à double niveau. D'abord, de manière globale, nous participons à l'élaboration des règles de gestion de crise. Nous participons notamment à l'élaboration du guide de gestion des alertes, en collaboration avec l'administration. Par ailleurs, les enseignes ont un rôle de contrôle de l'application, via des audits qui sont faits par une organisation qui s'appelle l'IFS, dont nous sommes coactionnaires, et qui réalise des audits appelés IFS Food Store.

Par ailleurs, nous intervenons lors d'une crise sanitaire, uniquement à la demande de l'administration et de nos enseignes. En l'occurrence, dans le cas Lactalis, l'administration nous a indiqué dès le départ que l'entreprise gérait elle-même l'ensemble du sujet vis-à-vis de ses clients. Il est très intéressant de faire la comparaison entre ce cas et celui du Fipronil, pour lequel une gestion conjointe commune a été mise en place dès le départ, et l'ensemble de cette crise a été géré dans des conditions que beaucoup ont considérées comme satisfaisantes, si tant est que le dénouement d'une crise puisse être considéré comme satisfaisant.

Je pense donc que c'est un élément important qu'il faut avoir en tête : en tant que fédération, il ne nous a pas été demandé d'intervenir et tout s'est fait en direct entre l'entreprise Lactalis et ses clients.

Début janvier, le ministre de l'économie et des finances a clairement souligné qu'il y avait eu des difficultés, et nous lui avons clairement dit que nous étions prêts à modifier l'ensemble du dispositif de façon à ce qu'elles ne se reproduisent plus. C'est pour cela que dans ce cadre-là, et dans le cadre de la réunion du Conseil national de la consommation qui a suivi, la Fédération a pris la responsabilité du rapport du CNC en cours de rédaction, en liaison avec l'Association nationale de défense des consommateurs et des usagers (CLCV).

Je vais évoquer un certain nombre de pistes sur lesquelles nous travaillons, et naturellement, elles pourront être développées de manière plus précise par Émilie Tafournel, grande spécialiste du dossier. Certaines propositions relèvent de l'administration, certaines relèvent de notre secteur, de nos enseignes, et certaines doivent être menées avec l'industrie.

Parmi les propositions qui relèvent de l'administration, il y a d'abord celle que nous avons faite dès le départ à Bruno Le Maire : la création d'un site internet unique, national, géré par l'administration, pour diffuser les rappels et les informations associées. L'information générale est une des clés pour que ce genre de dysfonctionnement ne se répète pas. Nous l'avions d'ailleurs évoqué dès les travaux qui se sont déroulés pendant plusieurs mois dans le cadre des États généraux de l'alimentation, auxquels nous avons largement participé et à propos desquels M. le rapporteur intervenait tout à l'heure en séance publique.

La deuxième préconisation est que le travail de révision et d'amélioration du guide de gestion des alertes alimentaires soit terminé dans les plus brefs délais. Il y a deux ans que nous l'avons proposé et, sans critiquer quiconque, il est dommage que cela n'ait pas été fait plus tôt. Pour nous, c'est essentiel, car il faut clarifier le rôle des différentes entités : administrations, producteurs, importateurs, industriels, distributeurs. Qui fait quoi ? Dans quel ordre ? Comment qualifier le niveau de rappel de crise ? Quelles conséquences en termes de communication et de procédure ?

J'en arrive au troisième sujet qui nous paraît essentiel pour l'administration : celui de la qualification des crises. Dans l'ensemble des propositions que je vais vous faire par la suite concernant notre secteur, nous avons besoin que l'administration nous informe quand une crise est grave, d'ampleur, et qu'elle impose un certain nombre de procédures spécifiques qui se distinguent des 1 000 retraits ou des 200 rappels qu'il peut y avoir par an. Aujourd'hui l'administration n'est pas encore prête à le faire, et nous considérons que c'est un élément important de l'ensemble de ce qui peut être fait. C'est une des conditions pour que le dispositif fonctionne mieux.

Le secteur de la grande distribution doit, de son côté, faire une série d'évolutions pour que ces dysfonctionnements ne se répètent pas. Le premier effort concerne la formation : il faut qu'elle soit générale, qu'elle concerne l'ensemble des collaborateurs, de tous types, dans les magasins, dans les enseignes. Il faut donc former aux procédures de rappel, renouveler les formations et les intensifier, et mettre en place des contrôles internes de façon à vérifier que cette formation a été bien assimilée. C'est essentiel pour qu'aucun des salariés du magasin ne puisse ignorer un rappel.

Deuxième élément : quand le niveau de risque le justifie – j'en viens à la condition que j'évoquais tout à l'heure –, nous sommes favorables à la dépublication des références concernées de l'ensemble des sites internet des enseignes, et à la mise en place de blocages en caisse, qui supposent que l'on puisse travailler rapidement, avec les opérateurs tels que GS1 et les industriels, au développement d'une solution de blocage par lots, qui n'existe pas encore. Nous allons mettre en place un groupe de travail sur le sujet pour développer une solution technique nous permettant de mettre en place ce blocage, ce qui suppose de modifier le système des codes-barres et d'autres éléments de ce type.

Troisième élément, relevant en partie de l'administration et en partie de nous : il faut mettre en place des procédures harmonisées avec l'ensemble des opérateurs du système bancaire de façon à identifier au plus vite les acheteurs des produits concernés ayant payé par carte bancaire. C'est un élément essentiel, qui suppose la levée du secret bancaire par l'administration au regard de l'analyse de chaque crise. Cette levée du secret bancaire ne peut pas être décidée à chaque fois, elle doit se faire dans des cas très particuliers. Nous avons d'ores et déjà l'accord du GIE Carte bancaire et de la Fédération bancaire française (FBF) pour travailler sur ce point, mais cela suppose que l'administration travaille sur ce point et qu'une décision publique soit prise.

Enfin, lors de l'audition des deux enseignes que vous avez entendues, vous avez évoqué l'introduction d'un principe de précaution, en vertu duquel, quand on ne dispose pas de l'intégralité des éléments, en cas de crise grave, on pourrait bloquer par défaut l'ensemble des produits, tous lots compris, puis attendre les résultats des investigations pour les libérer au fur et à mesure. Le mécanisme serait donc inversé : tout bloquer dès le départ, puis faire en sorte de libérer si l'on a des informations sur le fait que certains lots ne sont pas concernés.

Nous proposons enfin de mettre en place des mécanismes réguliers d'information réciproque. Hors situation de crise, il faut faire en sorte qu'il y ait au minimum une réunion annuelle entre les fédérations professionnelles et les administrations pour faire le point sur l'ensemble des rappels de l'année. Et puis, lors des crises, il faut un point régulier, à date, entre les fédérations concernées – la nôtre en l'occurrence – et les associations de consommateurs. Il serait important d'avoir une mécanique de ce type.

En ce qui concerne l'industrie, il est apparu au cours des travaux que nous avons menés sur ces sujets qu'il y avait parfois des problèmes de lisibilité des numéros de lots sur des produits. Nous souhaitons donc qu'un travail soit entrepris rapidement avec l'industrie de façon à ce que les numéros soient lisibles et puissent être identifiés rapidement parmi tous les autres codes sur les emballages.

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