L'audition débute à dix-huit heures trente.
L'Assemblée nationale a constitué une commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire Lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques.
Il ne s'agit pas de faire le procès de qui que ce soit, ni de juger ou de punir, mais de comprendre comment cette contamination a pu se produire, afin de réfléchir aux propositions que l'on peut formuler pour que cela ne se reproduise plus.
Nous avons commencé notre cycle d'auditions par l'écoute des associations de victimes, ce qui était légitime eu égard à la souffrance et la douleur qu'elles ont vécues.
Puis la commission d'enquête a entendu les organismes de contrôle de l'État afin de savoir comment l'alerte avait été donnée et quelles mesures avaient été prises, en particulier, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui a géré les retraits et rappels.
Nous avons également auditionné les associations de consommateurs et reçu les différents acteurs de la filière laitière et les organisations professionnelles agricoles. Nous nous intéressons maintenant à la commercialisation du produit, nous avons auditionné les syndicats de pharmaciens, ainsi que M. Régis Degelcke, président du conseil d'administration d'Auchan Retail, et M. Michel-Édouard Leclerc, président-directeur-général de l'enseigne du même nom. Nous recevrons bientôt les dirigeants de Carrefour et d'Intermarché.
Nous accueillons aujourd'hui M. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), Mme Émilie Tafournel, directrice de la qualité, et Mme Cécile Rognoni, directrice des affaires publiques.
La Fédération du commerce et de la distribution est une organisation professionnelle qui regroupe plus de cinquante adhérents, enseignes de la grande distribution alimentaire ou spécialisée. Pour rappel, le secteur représente plus de 750 000 emplois, plus de 10 millions de clients par jour, plus de 30 000 points de vente, et un volume d'affaires d'environ 200 milliards d'euros.
Nous avons souhaité vous auditionner car certaines enseignes qui font partie de votre fédération ont vendu des boîtes de lait contaminé, notamment Cora, Système U, Casino, et ce, à des degrés divers. Nous souhaitons avoir votre éclairage sur cette affaire.
Cette audition est ouverte à la presse et retransmise sur le portail vidéo de l'Assemblée nationale. Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
M. Jacques Creyssel, Mme Émilie Tafournel et Mme Cécile Rognoni prêtent successivement serment.
Le rapporteur et moi-même avons plusieurs questions à vous poser, qui permettront de donner un fil conducteur à cette audition. Nos collègues pourront ensuite poser les questions qu'ils souhaitent.
Concernant l'information à destination des distributeurs sur les procédures de retrait rappel, par qui et par quels canaux d'information vos adhérents ont-ils été informés du rappel et du retrait des produits ? Ces informations ont-elles été claires et suffisantes ? Quelle information la Fédération a-t-elle donnée à ses adhérents ?
Existe-t-il des différences dans la procédure d'information du retrait-rappel de produits selon qu'elle est initiée par l'État ou par Lactalis ?
Vos adhérents ont-ils eu, pendant la durée de la crise, des contacts réguliers et suffisants avec les services de l'État d'une part, et avec Lactalis d'autre part ? La Fédération en a-t-elle eu ?
Il y a eu cinq procédures de retrait-rappel. Ces différentes vagues ont-elles nui à l'efficacité des procédures ?
Y a-t-il eu une liste unique des lots à laquelle vos adhérents pouvaient se reporter ? Si oui, sur quel support ?
Quelles sont les procédures qui s'appliquent en cas de retrait-rappel ? Sont-elles prévues réglementairement, ou chaque entreprise met-elle en place ses propres procédures ?
Les distributeurs mettent-ils systématiquement en place des vérifications pour s'assurer que les retraits-rappels ont bien été effectués dans les magasins ? Jouez-vous un rôle en tant que fédération ?
À combien de procédures de ce type le secteur est-il confronté chaque année ?
Comment les employés sont-ils informés des mesures de retrait-rappel ? Sont-ils formés à cette procédure ? Des mesures ont-elles été prises depuis l'affaire Lactalis dans ce domaine ?
Comment les clients sont-ils informés des mesures de retrait-rappel ? Y a-t-il des dispositifs spécifiques d'affichage, ou des informations individuelles en fonction de cartes de fidélité ?
Je vous prie de m'excuser par avance, car je devrai quitter la salle plus tôt que prévu, mais l'audition étant entièrement filmée, je regarderai l'intégralité de la vidéo pour avoir les réponses aux questions que je vais vous poser.
Pour excuser complètement le rapporteur, un président peut être président-rapporteur, et un rapporteur peut présider. Et M. Besson-Moreau se rend dans sa circonscription pour défendre une prison qui risque de fermer, Mme la Garde des sceaux lui a donné rendez-vous presque nuitamment.
Pouvez-vous faire le point sur le nombre de produits retirés et le nombre de produits vendus par erreur dans les enseignes qui sont vos adhérents ? Pouvez-vous également indiquer comment vous avez eu connaissance de ces chiffres ? Sont-ils issus de vérifications internes ou des contrôles opérés par les services de l'État ?
Comment des produits faisant l'objet d'une procédure de retrait ont-ils pu se retrouver en rayon, et être vendus à des clients ? Quels mécanismes, quelles procédures n'ont pas fonctionné ? Les causes sont-elles les mêmes dans chaque enseigne ?
Dans quel sens les distributeurs vont-ils revoir leur procédure de gestion de crise ?
Quels types d'évolution des codes-barres vous paraissent possibles pour permettre le blocage en caisse par lot ?
Pour les rappels, la possibilité d'utiliser les données bancaires des clients vous paraît-elle pertinente ?
Le guide de gestion des alertes alimentaires vous paraît-il adapté ? Faudrait-il le modifier ?
Faut-il renforcer le principe de précaution, et prévoir en cas d'alerte sanitaire le blocage systématique de l'ensemble du produit, quitte à permettre ensuite la vente des lots au fur et à mesure, lorsque ces derniers ne sont pas concernés par la contamination ? Je souhaiterais une réponse assez précise sur cette question.
Ne faudrait-il pas restreindre la vente des laits pour le premier âge aux pharmacies ? Ces derniers ne devraient-ils pas être considérés comme des médicaments ? Je souhaite également une réponse précise à cette question.
Quelles pistes suggérez-vous afin d'éviter que de telles crises se reproduisent ?
Pouvez-vous nous indiquer où en sont les travaux du Conseil national de la consommation concernant l'amélioration des procédures de retrait-rappel ?
Des audits ont-ils été réalisés afin d'identifier les failles opérationnelles ayant conduit à la vente de produits censés être retirés de la vente ? Si oui, quels en sont les résultats ?
Voilà, monsieur le président, quelques questions simples. J'imagine que vous avez vu nos auditions précédentes, et que vous avez déjà préparé quelques éléments de réponse.
J'ai effectivement imaginé une partie de vos questions, mais je ne pourrai pas répondre à certaines d'entre elles. Nous représentons beaucoup d'enseignes, y compris une partie de celles que vous allez auditionner. S'agissant de sujets spécifiques, nous n'avons pas vocation à répondre à leur place, et il faudra leur poser la question directement, car nous n'exerçons pas de responsabilité dans les magasins.
En revanche, je vous propose de rappeler quel est notre rôle global dans ces sujets de crise sanitaire, et surtout d'insister sur les propositions sur lesquelles nous travaillons. Émilie Tafournel, notre directrice qualité, est co-rapporteure du groupe du Conseil national de la consommation (CNC) sur la réforme des rappels et des retraits – je pense que c'est un des éléments de réponse importants parmi ceux que je vais vous fournir.
S'agissant du cas spécifique de Lactalis, comme il vous a été indiqué lors des premières auditions de distributeurs, on doit faire face chaque année à un nombre élevé de retraits et de rappels. C'est une procédure malheureusement utilisée de manière régulière : on dénombre environ 200 rappels chaque année, et selon les enseignes, 500 voire 1 000 retraits de références, qui donnent lieu à un nombre considérable de messages. C'est une procédure utilisée de manière très fréquente aujourd'hui.
Le cas Lactalis a été très particulier. Tout d'abord parce que le type de produit concerné est très sensible. Ensuite, il y a eu une succession de rappels de la part de l'entreprise, qui est la première responsable de cette situation très particulière. Enfin, cette crise a touché de nombreux lots et produits, ainsi qu'un nombre important d'opérateurs. En l'occurrence, tous les réseaux de distribution ont été concernés par les dysfonctionnements que vous évoquiez tout à l'heure. C'est un cas très exceptionnel.
Notre rôle, en tant que fédération, est à double niveau. D'abord, de manière globale, nous participons à l'élaboration des règles de gestion de crise. Nous participons notamment à l'élaboration du guide de gestion des alertes, en collaboration avec l'administration. Par ailleurs, les enseignes ont un rôle de contrôle de l'application, via des audits qui sont faits par une organisation qui s'appelle l'IFS, dont nous sommes coactionnaires, et qui réalise des audits appelés IFS Food Store.
Par ailleurs, nous intervenons lors d'une crise sanitaire, uniquement à la demande de l'administration et de nos enseignes. En l'occurrence, dans le cas Lactalis, l'administration nous a indiqué dès le départ que l'entreprise gérait elle-même l'ensemble du sujet vis-à-vis de ses clients. Il est très intéressant de faire la comparaison entre ce cas et celui du Fipronil, pour lequel une gestion conjointe commune a été mise en place dès le départ, et l'ensemble de cette crise a été géré dans des conditions que beaucoup ont considérées comme satisfaisantes, si tant est que le dénouement d'une crise puisse être considéré comme satisfaisant.
Je pense donc que c'est un élément important qu'il faut avoir en tête : en tant que fédération, il ne nous a pas été demandé d'intervenir et tout s'est fait en direct entre l'entreprise Lactalis et ses clients.
Début janvier, le ministre de l'économie et des finances a clairement souligné qu'il y avait eu des difficultés, et nous lui avons clairement dit que nous étions prêts à modifier l'ensemble du dispositif de façon à ce qu'elles ne se reproduisent plus. C'est pour cela que dans ce cadre-là, et dans le cadre de la réunion du Conseil national de la consommation qui a suivi, la Fédération a pris la responsabilité du rapport du CNC en cours de rédaction, en liaison avec l'Association nationale de défense des consommateurs et des usagers (CLCV).
Je vais évoquer un certain nombre de pistes sur lesquelles nous travaillons, et naturellement, elles pourront être développées de manière plus précise par Émilie Tafournel, grande spécialiste du dossier. Certaines propositions relèvent de l'administration, certaines relèvent de notre secteur, de nos enseignes, et certaines doivent être menées avec l'industrie.
Parmi les propositions qui relèvent de l'administration, il y a d'abord celle que nous avons faite dès le départ à Bruno Le Maire : la création d'un site internet unique, national, géré par l'administration, pour diffuser les rappels et les informations associées. L'information générale est une des clés pour que ce genre de dysfonctionnement ne se répète pas. Nous l'avions d'ailleurs évoqué dès les travaux qui se sont déroulés pendant plusieurs mois dans le cadre des États généraux de l'alimentation, auxquels nous avons largement participé et à propos desquels M. le rapporteur intervenait tout à l'heure en séance publique.
La deuxième préconisation est que le travail de révision et d'amélioration du guide de gestion des alertes alimentaires soit terminé dans les plus brefs délais. Il y a deux ans que nous l'avons proposé et, sans critiquer quiconque, il est dommage que cela n'ait pas été fait plus tôt. Pour nous, c'est essentiel, car il faut clarifier le rôle des différentes entités : administrations, producteurs, importateurs, industriels, distributeurs. Qui fait quoi ? Dans quel ordre ? Comment qualifier le niveau de rappel de crise ? Quelles conséquences en termes de communication et de procédure ?
J'en arrive au troisième sujet qui nous paraît essentiel pour l'administration : celui de la qualification des crises. Dans l'ensemble des propositions que je vais vous faire par la suite concernant notre secteur, nous avons besoin que l'administration nous informe quand une crise est grave, d'ampleur, et qu'elle impose un certain nombre de procédures spécifiques qui se distinguent des 1 000 retraits ou des 200 rappels qu'il peut y avoir par an. Aujourd'hui l'administration n'est pas encore prête à le faire, et nous considérons que c'est un élément important de l'ensemble de ce qui peut être fait. C'est une des conditions pour que le dispositif fonctionne mieux.
Le secteur de la grande distribution doit, de son côté, faire une série d'évolutions pour que ces dysfonctionnements ne se répètent pas. Le premier effort concerne la formation : il faut qu'elle soit générale, qu'elle concerne l'ensemble des collaborateurs, de tous types, dans les magasins, dans les enseignes. Il faut donc former aux procédures de rappel, renouveler les formations et les intensifier, et mettre en place des contrôles internes de façon à vérifier que cette formation a été bien assimilée. C'est essentiel pour qu'aucun des salariés du magasin ne puisse ignorer un rappel.
Deuxième élément : quand le niveau de risque le justifie – j'en viens à la condition que j'évoquais tout à l'heure –, nous sommes favorables à la dépublication des références concernées de l'ensemble des sites internet des enseignes, et à la mise en place de blocages en caisse, qui supposent que l'on puisse travailler rapidement, avec les opérateurs tels que GS1 et les industriels, au développement d'une solution de blocage par lots, qui n'existe pas encore. Nous allons mettre en place un groupe de travail sur le sujet pour développer une solution technique nous permettant de mettre en place ce blocage, ce qui suppose de modifier le système des codes-barres et d'autres éléments de ce type.
Troisième élément, relevant en partie de l'administration et en partie de nous : il faut mettre en place des procédures harmonisées avec l'ensemble des opérateurs du système bancaire de façon à identifier au plus vite les acheteurs des produits concernés ayant payé par carte bancaire. C'est un élément essentiel, qui suppose la levée du secret bancaire par l'administration au regard de l'analyse de chaque crise. Cette levée du secret bancaire ne peut pas être décidée à chaque fois, elle doit se faire dans des cas très particuliers. Nous avons d'ores et déjà l'accord du GIE Carte bancaire et de la Fédération bancaire française (FBF) pour travailler sur ce point, mais cela suppose que l'administration travaille sur ce point et qu'une décision publique soit prise.
Enfin, lors de l'audition des deux enseignes que vous avez entendues, vous avez évoqué l'introduction d'un principe de précaution, en vertu duquel, quand on ne dispose pas de l'intégralité des éléments, en cas de crise grave, on pourrait bloquer par défaut l'ensemble des produits, tous lots compris, puis attendre les résultats des investigations pour les libérer au fur et à mesure. Le mécanisme serait donc inversé : tout bloquer dès le départ, puis faire en sorte de libérer si l'on a des informations sur le fait que certains lots ne sont pas concernés.
Nous proposons enfin de mettre en place des mécanismes réguliers d'information réciproque. Hors situation de crise, il faut faire en sorte qu'il y ait au minimum une réunion annuelle entre les fédérations professionnelles et les administrations pour faire le point sur l'ensemble des rappels de l'année. Et puis, lors des crises, il faut un point régulier, à date, entre les fédérations concernées – la nôtre en l'occurrence – et les associations de consommateurs. Il serait important d'avoir une mécanique de ce type.
En ce qui concerne l'industrie, il est apparu au cours des travaux que nous avons menés sur ces sujets qu'il y avait parfois des problèmes de lisibilité des numéros de lots sur des produits. Nous souhaitons donc qu'un travail soit entrepris rapidement avec l'industrie de façon à ce que les numéros soient lisibles et puissent être identifiés rapidement parmi tous les autres codes sur les emballages.
Parmi vos propositions, vous ne mentionnez pas celle consistant à classer en médicaments les produits sensibles que sont les laits en poudre, et de les retirer de la vente en grande distribution.
J'allais y venir, c'était mon dernier point. Nous ne pensons pas que ce soit une bonne idée dans la mesure où, comme vous l'avez constaté, les pharmaciens ont commis des erreurs significativement plus importantes que la grande distribution. Il s'agira de les classer comme des médicaments sans ordonnances qui sont en vente libre dans les pharmacies. Nous ne pensons pas que cela permettrait de régler les problèmes.
J'ai connu, quand j'étais étudiant en médecine, le retrait du monopole pharmaceutique pour le lait infantile. La raison essentielle est que ce produit était très cher. L'idée n'est pas de revenir à cette situation, plutôt de dire que le lait est en vente libre, mais qu'il a le statut de médicament. Dans les officines, quand il y a un problème avec un médicament, nous n'avons pas trouvé de difficultés en cas de retrait, tout se passe avec une vitesse exceptionnelle.
C'est une idée, je ne pense pas que cela changerait beaucoup le chiffre d'affaires des membres de votre fédération, mais ce serait un retour en arrière, je peux le concevoir.
Je ne suis pas certain que les consommateurs seraient très preneurs de cette solution, dans la mesure où les prix chez nous sont très nettement inférieurs…
En second lieu, je sais que vous avez évoqué ce sujet lors de l'audition de Michel-Édouard Leclerc, une des solutions serait que l'ensemble des médicaments sans ordonnance soit vendu dans l'ensemble du circuit de distribution.
Je pense que, comme les chiffres l'ont montré, le problème a été encore plus grave dans les pharmacies que dans la grande distribution.
En pourcentage, c'est très clair !
Mais vous avez aussi beaucoup plus d'employés. Il ne faut pas comparer des pommes avec des poires, ça ne fonctionnera pas. Quant aux utilisateurs, la question est d'abord celle de la sécurité de leurs enfants, avant de savoir s'ils peuvent acheter une boîte de lait en même temps qu'un kilo de pommes de terre.
La priorité est la santé de nos enfants, il faut être objectif et la question du classement du lait pour enfants en médicament doit être étudiée. C'est un travail que nous devons faire ensemble.
Vous avez dit que la formation permettrait de mieux appréhender les rappels et les retours de produits. Ce sont précisément des points qui ont posé problème dans l'affaire Lactalis : certains produits n'ont pas été retirés tout de suite, d'autres ont été rapportés par les clients puis remis en rayon. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Des formations à la sécurité des aliments sont dispensées à tout employé de magasin au moment de l'embauche puis renouvelées, généralement une fois par an.
Dans la mesure où des erreurs humaines ont été mises en évidence, l'affaire Lactalis nécessite une remise en cause et nous oblige à travailler sur le retour d'expérience. Le personnel des magasins doit effectuer des tâches quotidiennes variées et est soumis à des pics d'activité. Or cette crise est survenue aux alentours des fêtes de fin d'année, à un moment où l'activité est importante. Cela n'excuse rien ; les membres du personnel doivent connaître les procédures de rappel, la façon de les appliquer le plus rapidement possible, et avoir conscience de leur fonction dans la chaîne. Les dirigeants, de leur côté, doivent s'assurer que la procédure est correctement réalisée.
Nous proposons donc d'intensifier ces formations, de les renouveler plus fréquemment et d'insister à cette occasion sur le retour des produits.
Dans les hypermarchés et les supermarchés, on rencontre très peu de chefs de rayon, seulement des personnes qui remplissent les linéaires. Peut-être faudrait-il intégrer ces produits en parapharmacie, afin que le client puisse bénéficier d'un conseil à la vente ? Sinon, il conviendrait de prévoir un rayon à part, où travaillerait un assistant à la vente mieux qualifié.
La question qui nous occupe est de mettre en place des procédures efficaces de retrait en cas de crise, et ce quelle que soit la nature des produits. Si nous prévoyons un assistant à la vente pour l'ensemble des produits qui peuvent présenter un risque sanitaire, je crains que les enseignes ne rencontrent un léger problème de rentabilité… nous sommes favorables au développement des rayons de parapharmacie assistés et de pharmacie sans ordonnance, avec des pharmaciens en rayon.
Michel-Édouard Leclerc nous a expliqué que l'une des raisons pour lesquelles les procédures de retrait sont compliquées tient à l'identification du code-barres. La FCD réfléchit-elle à un code-barres plus lisible ?
Je rappelle que le code-barres en tant que tel ne permet pas d'identifier les lots. Nous devons travailler avec les industriels pour aller vers un système qui permette une reconnaissance par lots. Par ailleurs, le numéro du lot figure sur le produit, mais il est parfois difficilement lisible. Ce sont deux questions sur lesquelles des évolutions sont indispensables.
Les derniers développements numériques doivent nous permettre de réfléchir à plusieurs solutions, car il ne faut pas oublier qu'il existe d'autres réseaux de distribution, comme les réseaux des secteurs non alimentaires et les réseaux des commerçants détaillants, qui ne sont pas du tout équipés en lecteurs de code-barres.
Pour ce qui est de la grande distribution, nous avons déjà engagé des démarches pour travailler aussi bien sur l'extension du code-barres que sur un autre code, afin de fiabiliser et accélérer les procédures.
Pour autant, le but n'est pas de remplacer le personnel des magasins par des lecteurs de codes-barres et par des robots qui procéderaient au retrait des produits dans les rayons.
Si le personnel doit savoir comment agir, cette action ne peut être réalisée correctement que lorsque la personne qui a envoyé l'ordre de rappel donne les bonnes informations. Le rappel ne peut être mis en oeuvre que lorsque l'on dispose d'un document indiquant la marque du produit, son nom, sa taille de conditionnement, son numéro de lot, la nature de la non-conformité, les dates auxquelles il a été livré.
Toutes ces informations doivent être transmises le plus rapidement possible. Ce qui s'est passé dans l'affaire Lactalis, et qui a entraîné la succession de messages de rappel, c'est que l'entreprise a commencé à envoyer les ordres de rappel sans avoir obtenu toutes les réponses aux questions qu'elle devait se poser et à l'investigation en cours. Des erreurs ont ainsi porté sur les numéros de lot. Dans certaines procédures de rappel, il arrive que l'on reçoive un message indiquant le produit, la marque, la référence, mais pas les numéros de lots, qui ne sont pas encore connus. Il est de la responsabilité du fabricant de rassembler toutes les informations dans un délai très bref et de les communiquer de façon lisible aux clients chargés de mettre en place les procédures de rappel.
Y a-t-il eu des problèmes au niveau du stockage et du renvoi des produits ? Faut-il améliorer la procédure ?
Dans cette crise, nous ne sommes pas intervenus en termes de logistique et de remontée d'informations ; les enseignes se sont mobilisées individuellement. Le stockage des produits, qui fait partie de la procédure de retrait et qui est bien connu des enseignes, n'a semble-t-il pas posé problème. Vous évoquez sans doute un problème de retour des produits à l'accueil des magasins.
Nous avons compris que la FCD avait une mission de conseil et travaillait à d'éventuelles améliorations. La Fédération est-elle intervenue au coeur de la crise ? L'un de vos adhérents vous a-t-il appelés ?
Nous sommes intervenus à deux reprises, de manière non transversale. Lorsque l'on a commencé à entendre parler du cas Lactalis, avant même le déclenchement de la crise, j'ai eu un échange téléphonique avec la mission des urgences sanitaires de la direction générale de l'alimentation (DGAL) et l'unité d'alerte DGCCRF pour savoir s'il fallait que nous apportions notre contribution en termes de coordination. Il nous a été répondu que le cas regardait une entreprise industrielle – une situation très différente du Fipronil – et que l'entreprise disposait de ses propres éléments de traçabilité pour prévenir et gérer la crise avec ses propres clients.
Compte tenu de la communication dans les médias de Leclerc et des différentes enseignes adhérentes à la FCD, nous avons contacté les entreprises pour savoir si elles estimaient nécessaire une coordination. La même réponse nous a été faite.
Par ailleurs, nous étions présents lors de la réunion que Bruno Le Maire a organisée avec l'ensemble des distributeurs ainsi que lors de la réunion du Conseil national de la consommation.
La possibilité d'améliorer les caisses a été évoquée, afin qu'un produit identifié comme défectueux ne puisse plus passer et être vendu. Faites-vous des préconisations dans ce domaine ? La Fédération a-t-elle le pouvoir de contraindre les enseignes à procéder à ces évolutions ?
Le blocage en caisse n'est aujourd'hui possible que pour l'ensemble d'une référence. Pour un blocage par lot, il nous faudrait disposer d'éléments plus précis. En l'absence d'un tel système, nous devons appliquer le principe de précaution et permettre un blocage complet dans un premier temps, puis une libération des produits au fur et à mesure.
Nous avons validé et entamé la démarche de création d'un groupe de travail réunissant les industriels et GS1, un organisme qui travaille au format de transfert de données tout au long de la chaîne, y compris jusqu'aux caisses.
Le code-barres, avec ses treize caractères, ne comprend pas le champ relatif au numéro de lot ou à la DLC. Il est donc matériellement impossible de scanner et d'identifier le produit au lot au moment du passage en caisse. L'objectif du groupe de travail est précisément de faire bouger la formation du code-barres, afin d'y ajouter les champs nécessaires. Cela passe aussi par le renouvellement ou l'adaptation des parcs de caisses dans les magasins. Par ailleurs, la question se posera différemment dans les réseaux de distribution qui ne sont pas équipés des dispositifs de lecture des codes-barres.
La FCD travaille quotidiennement avec ses membres pour élaborer ses propositions et Émilie Tafournel est en liaison quotidienne avec les directions qualité et l'ensemble des directions opérationnelles des enseignes. Les positions que nous prenons dans le dessein d'éviter tout dysfonctionnement futur sont celles de nos enseignes. Notre rôle est très important, mais nous ne participons pas à la mise en oeuvre des procédures dans les magasins.
Vous avez confirmé que peu de contacts avaient eu lieu entre les enseignes et que chacune d'entre elles s'était débrouillée, avec ses propres méthodes. Par ailleurs, vous avez expliqué que vous travailliez à des propositions d'amélioration communes.
Vos conclusions prendront-elles la forme d'une charte sur laquelle s'engageraient les membres de la fédération ? Dans un secteur hyperconcurrentiel comme celui la grande distribution, peut-on espérer que les entreprises se soumettront, au-delà des mesures réglementaires que j'appelle de mes voeux, à une charte ou à des mesures communes ?
Les enseignes de la FCD sont en contact, elles travaillent ensemble et respectent les mêmes engagements. La plupart des enseignes qui ne sont pas membres de la FCD appliquent également les recommandations de la FCD. Notre fédération est la seule organisation représentative sur ces sujets.
Je rappelle que les informations provenaient de Lactalis. C'est à la demande de l'administration que nous ne sommes pas intervenus : celle-ci considérait que la relation devait se faire directement entre le fabricant et chaque distributeur, dans un cas qui semblait à ses yeux beaucoup plus simple, au départ, que celui du Fipronil, où beaucoup de fabricants, dans divers pays, étaient impliqués.
Le rôle de la FCD va bien au-delà de la représentation et des échanges. Dans l'affaire Lactalis, on nous a demandé de ne pas coordonner et je ne pense pas que notre intervention aurait permis d'accélérer les procédures.
S'il existe un secteur où les enseignes concurrentes collaborent, c'est bien celui de la grande distribution. Les propositions que nous vous avons présentées témoignent de cette dynamique sur l'aspect de la sécurité sanitaire. Ce sont nos enseignes qui ont demandé à ce que nous participions au groupe de travail du CNC, ce sont elles qui formulent les propositions. Certaines d'entre elles siègent à nos côtés et discutent ensemble.
L'affaire Lactalis n'est pas un exemple du travail collaboratif de nos enseignes, mais elle est l'occasion de se poser les bonnes questions pour avancer tous ensemble.
Dans son rapport, le CNC reprendra peut-être un certain nombre des propositions que nous vous avons présentées. Il sera alors très simple pour les enseignes de la FCD de s'engager à suivre ces propositions. Mais elles pourraient aussi s'engager dans le cadre d'un document plus formel. La collaboration est quotidienne sur les réformes à apporter, sur le travail à mener avec l'administration. Tout cela se fait de manière transparente et efficace.
Avez-vous eu durant la crise des contacts avec le ministère de la santé, le ministère de l'agriculture et le ministère de l'économie ?
Avant la médiatisation de la crise et la mise en oeuvre des procédures, nous avons pris contact par téléphone avec la DGCCRF et la DGAL. Nous avons participé à une réunion intermédiaire, obligatoire dans le cadre de l'arrêté d'interdiction de commercialisation et de vente à l'export, organisée par la DGCCRF. Il s'agissait d'un point d'information, avant que se pose le problème de maintien à la vente de certains produits. Mais si l'ensemble des fédérations concernées étaient convoquées, seules deux étaient présentes. Une telle réunion aurait pourtant permis un échange plus global, et une meilleure diffusion de l'information. Nos enseignes souhaitent que lors d'une crise ou au sortir d'une crise, les acteurs puissent s'asseoir autour d'une table, discuter et faire un point d'étape.
L'audition s'achève à dix-neuf heures vingt-cinq.
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Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 22 mai 2018 à 18 h 30
Présents. - Mme Géraldine Bannier, Mme Frédérique Lardet, M. Sébastien Leclerc, M. Didier Le Gac
Excusé. - M. Arnaud Viala