Intervention de Alexandre Bompard

Réunion du mardi 29 mai 2018 à 17h00
Commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques

Alexandre Bompard, président-directeur général du groupe Carrefour :

Avant de répondre à vos questions précises, un bref propos introductif me permettra de vous dire comment le groupe Carrefour a perçu et vécu cette crise, dont je tiens en premier lieu à souligner le caractère exceptionnel. Elle a été exceptionnelle par son ampleur – nous avons retiré 169 590 boîtes de nos magasins et de nos entrepôts –, et exceptionnelle par son objet – du lait infantile, une catégorie de produit particulièrement sensible pour les consommateurs. Elle a été exceptionnelle aussi par sa gestion atypique : un manque d'anticipation manifeste et une évaluation des risques à l'évidence assez défaillante ont conduit à des dysfonctionnements qui auraient pu, de notre point de vue, être minimisés par plus de transparence et de communication. En réalité, les quatre vagues de rappels et les quinze messages de retraits sont les symptômes de cette mauvaise gestion et de cette prise de conscience trop tardive ; nos sollicitations multiples de l'industriel concerné pour l'alerter sur des produits non retirés alors qu'ils nous semblaient à risque en sont un autre.

Ensuite, je réaffirme devant la représentation nationale que les procédures existaient et qu'elles ont été suivies – mais le caractère exceptionnel de cette crise aurait dû nous pousser à aller plus loin que les procédures ne le prévoient. Vous le savez, nous avons vendu 434 produits par erreur. Il s'agit d'une part de produits retournés par les clients – nous en avons reçu 9 402 – et remis en vente au lieu d'être détruits par les magasins, d'autre part de produits qui n'étaient pas initialement au bon emplacement dans le magasin et qui, pour cette raison, n'ont pas fait l'objet d'un retrait par nos opérateurs. Ces erreurs, qui concernent 434 boîtes sur 169 590, soit 0,3 %, ne sont évidemment pas tolérables puisqu'aucun produit contaminé ne devrait passer au travers des mailles de la procédure, la sécurité alimentaire étant l'essentiel de ce que nous devons assurer à nos clients.

Pour gérer cette crise, nous avons d'abord appliqué des procédures établies qui nous permettent, en temps normal, de retirer des produits sans aucune difficulté, comme nous l'avons démontré de nombreuses fois avant et depuis la crise, puisqu'il y a eu 1 043 retraits dans nos magasins en 2017. Traditionnellement, en cas d'alerte, notre direction de la qualité diffuse à l'ensemble des entrepôts et des magasins une consigne de retrait, puis elle suit en temps réel les déclarations de chaque magasin et de chaque entrepôt relatives à ces retraits par le biais d'un outil informatique développé à cet effet. Nous contrôlons de surcroît la bonne application des retraits sur sites au moyen d'audits externes.

Outre la procédure standard, nous avons, dans ce cas précis, mis en place un numéro d'appel dès le début de la crise pour répondre aux inquiétudes de nos clients. Puis, ayant constaté que certaines boîtes avaient été vendues en dépit de ces consignes, nous avons appliqué cinq mesures complémentaires et correctrices. La première a été l'appel à nos clients identifiés grâce à leur carte de fidélité. La deuxième a été l'amélioration de la procédure des retours de produits en magasin. La troisième a été le blocage en caisse, dispositif qui n'a pas été entièrement efficace à la fois parce que l'on bloque des références de produits et non des lots et parce que cela ne fonctionne pas parfaitement dans tous les formats de magasins. La quatrième mesure a été le blocage des livraisons des fournisseurs et la cinquième celui des livraisons des entrepôts vers les magasins.

Nous avons ainsi pu joindre 205 clients et éviter de nouvelles erreurs. Mais je me suis forgé la conviction que nous aurions dû déployer plus tôt ces mesures et ces précautions supplémentaires. Le problème n'est pas la faillite des procédures, c'est que nous étions dans un contexte exceptionnel pour les raisons que j'ai dites. Nous aurions dû, pour cette raison, procéder immédiatement à de plus nombreux contrôles de la bonne exécution des retraits en magasin, être plus vigilants et multiplier les tests et les contrôles en nous projetant systématiquement dans l'ensemble des magasins – il y en a beaucoup, vous le savez – pour vérifier qu'aucune boîte contenant un produit contaminé n'était restée en rayon. En conséquence, nous avons depuis lors renforcé notre dispositif pour réduire au maximum les risques associés à cette procédure.

De notre point de vue, il n'est nul besoin de plus de réglementation : ce ne sont pas les procédures qui ont failli mais leur application, dans un contexte exceptionnel qui aurait dû donner lieu à des moyens de contrôle renforcés, sur pièces et sur place. C'est pourquoi nous avons depuis lors mis en place de nouveaux outils et de nouvelles formations, pour réduire au maximum les fragilités qui peuvent se révéler dans des crises exceptionnelles. Ainsi, nous accompagnons l'action de nos employés par une meilleure technologie et notamment par le blocage en caisse simplifié ; le blocage à la référence sera progressivement généralisé. Nous améliorons l'identification des clients grâce au concours des banques, avec lesquelles nous travaillons pour les cas précis de crise exceptionnelle. Nous investissons davantage encore dans la formation de nos équipes, leur sensibilisation et l'organisation pour faire face à ces crises de grande ampleur. Nous savons qu'il y aura d'autres crises, et notre objectif est d'en prendre très tôt la mesure, de déployer rapidement les procédures prévues et, dans ces circonstances particulières, d'intensifier les contrôles sur l'exécution.

Si vous l'y autorisez, M. Vallée complétera ce propos liminaire par des réponses à vos questions précises.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.