Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, merci de votre invitation au sein de cette commission d'enquête sur la sécurité et la sûreté nucléaire.
L'association « Ma zone contrôlée » se réjouit d'apporter aujourd'hui sa contribution à vos travaux pour l'amélioration du niveau de sécurité et de sûreté dû à l'ensemble de nos concitoyens.
Plus de 80 % des activités de l'industrie nucléaire sont aujourd'hui réalisées par des salariés d'entreprises extérieures. Compte tenu des enjeux spécifiques de la filière et de l'extrême sensibilité du thème de la sous-traitance pour les médias et l'opinion publique, les membres et adhérents de notre association revendiquent être une force durable de propositions d'amélioration.
Suite à l'accident nucléaire majeur de Fukushima Daiichi, des évaluations complémentaires de sûreté ont été réalisées sur l'ensemble de notre parc. Aujourd'hui, tous les exploitants nucléaires se soumettent aux nouvelles normes post-Fukushima sous contrôle de l'Agence de sécurité nucléaire (ASN).
Suite à cet accident, l'ASN, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et d'autres institutions ont parallèlement entrepris en 2012 avec les exploitants nucléaires une réflexion sur les facteurs socioorganisationnels et humains, une initiative dont nous nous sommes réjouis. L'ASN considère comme nous qu'il est nécessaire de faire progresser la réflexion et les travaux concernant la contribution de l'homme et les organisations du travail à la sûreté des installations nucléaires et a donc créé la même année une instance pluridisciplinaire et pluraliste, nommée « Comité sur les facteurs socioorganisationnels et humains. »
À la demande du ministre de l'industrie de l'époque, M. Éric Besson, le comité stratégique de la filière nucléaire et les partenaires sociaux des donneurs d'ordre ont élaboré un cahier des charges sociales dans le cadre très précis de la perte de marché d'une entreprise extérieure et de la reprise de ce même marché par une autre. Nous regrettons de ne pas avoir pu y participer.
Nous pouvons vous le dire aujourd'hui objectivement : ce cahier des charges sociales n'améliore absolument en rien le niveau de sécurité et de sûreté de nos installations et favorise incontestablement un dumping social sournois. Il ne sécurise pas les divers acquis sociaux des salariés de la sous-traitance et surtout ces acquis sont systématiquement revus à la baisse lors de reprise du personnel. Alors, pourquoi cette banalisation de nos métiers ? Dans l'intérêt de qui ?
Nous prendrons l'exemple de la centrale du Tricastin, où, en 2015, la société Polinorsud détenait, depuis de nombreuses années, le marché de la logistique. Précision importante : la société Polinorsud était placée, à l'époque, sous le régime de la convention collective de la métallurgie. L'entreprise repreneuse de ce même marché, la société Techman du groupe Onet, est sous le régime de la convention collective SYNTEC des bureaux d'études techniques et de l'ingénierie, qui, entre nous soit dit, n'a absolument rien à voir avec les métiers qui sont assurés par beaucoup de nos collègues. Ce que nous constatons et dénonçons de l'application de cette convention collective est une perte sèche de 300 euros à 500 euros par mois.
Nos collègues exercent exactement le même métier que précédemment, mais celui-ci leur occasionne désormais une perte violente de pouvoir d'achat. Pourquoi ?
Mesdames, messieurs les législateurs, vous conviendrez aisément, nous l'espérons, que ce dumping social organisé n'est pas de nature à améliorer le niveau de sécurité et de sûreté des installations où nous intervenons et qu'il est, à présent, de votre responsabilité de corriger cette grave dérive.
De nombreux rapports parlementaires sur le nucléaire préconisent l'instauration d'un statut spécifique pour les salariés de la sous-traitance de la filière nucléaire. Qu'attendons-nous pour reconnaître enfin la spécificité de nos métiers et nos multiples expositions professionnelles qui commencent à faire des ravages autour de nous ?
Du retour d'expérience de l'accident de Fukushima, nous savons le rôle essentiel tenu par les salariés sous-traitants du site de Fukushima Daini, lui aussi touché par le tsunami, et qui, lui aussi, a perdu toutes les sources électriques de ses circuits de sauvegarde. Les équipes de secours internes de l'exploitant Tokyo Electric Power Company (TEPCO) étaient dans l'incapacité technique de réalimenter les circuits de sauvegarde. Face à ce constat, le directeur du site a eu le bon réflexe, dans cette situation d'urgence absolue, de faire appel aux salariés d'entreprises extérieures qui ont pu remettre en service les systèmes électriques de sauvegarde du circuit de refroidissement et ainsi éviter la fusion des coeurs à Fukushima Daini.
Depuis les années 1990, les exploitants nucléaires ont fait le choix d'externaliser certaines de leurs activités à des salariés d'entreprises extérieures. La radioprotection n'échappe pas à cette triste règle alors même qu'il incombe à l'exploitant nucléaire de garantir à l'ensemble de nos concitoyens la sûreté et la sécurité de son installation. La technique et la qualité ne sont plus les critères retenus par les centrales d'achat. L'industrie nucléaire d'aujourd'hui fonctionne dans des conditions visiblement acceptables financièrement pour quelques grandes entreprises privées et donc au détriment de l'intérêt général.
Oui, les profits engendrés sont bien tous privés mais la déconvenue pour notre pays d'un accident majeur serait bien assumée par toute la collectivité. M. Nicolas Hulot, auditionné par votre commission le 12 avril, l'a reconnu.
Nous pouvons vous dire avec gravité que ce dumping social devient réellement dangereux pour tous. Ce dumping social, mesdames, messieurs les législateurs, n'est certainement pas de nature à améliorer aujourd'hui la situation compliquée que nous connaissons techniquement et financièrement ni en mesure de faire face sereinement aux enjeux à venir.
Notre association dénonce ce nucléaire low cost qui s'installe sournoisement depuis plusieurs années. L'apartheid social qui est organisé par les exploitants nucléaires avec la complicité de certains grands groupes doit cesser pour éviter un accident nucléaire majeur auquel nous devons tous dorénavant nous préparer selon les préconisations de l'ASN et du retour d'expérience de l'accident de Fukushima.
À ces circonstances préoccupantes, s'ajoute la situation économique perfectible des grands donneurs d'ordre – EDF, Orano – malgré le renflouement consenti dernièrement par le Gouvernement. Ce fâcheux diagnostic a des répercussions négatives sur toutes les entreprises extérieures, comme, in fine, sur les conditions d'intervention et de vie de l'ensemble des salariés de la sous-traitance. Les déclarations d'événements significatifs, les non-qualités de maintenance sont en nette progression. Cela doit retenir toute notre, toute votre attention.
La chute d'un générateur de vapeur à Paluel, incident non envisagé initialement par EDF dans ses analyses de risques a, malgré tout, eu lieu. Pourquoi ? Comment ? Nous espérons que vous avez tous pu instruire les conclusions de l'expertise réalisée par le cabinet Aptéis de cet incident et que les observations finales comme les actions correctives qui seront entreprises rapidement ramèneront dans la filière la sérénité qui fait gravement défaut.
La sécurité et la sûreté réglées, prescrites à tous les exploitants nucléaires par l'ASN et par son appui technique, l'IRSN, se déclinent tout naturellement dans l'ensemble des entreprises extérieures. Mais il est facile de comprendre ici que la réalité quotidienne sur le terrain est bien différente. Oui, mesdames, messieurs, c'est malheureusement un quotidien tragique que connaît l'ensemble des salariés de la sous-traitance, avec cette nuance capitale entre la sécurité et la sûreté réglée et gérée directement sur le terrain au cours de toutes nos interventions.
Qui peut croire ici qu'une entreprise extérieure ne fasse pas de profits directs sur l'activité qu'elle va réaliser ? Qui peut croire ici que les salariés des entreprises extérieures qui sont méprisées donnent le meilleur d'eux-mêmes ?
La sous-traitance est partout, dans les domaines du gardiennage, de la maintenance, de l'assainissement, du démantèlement, des servitudes, mots ô combien barbares ! La sous-traitance correspond pourtant à des métiers très importants dans l'organisation, la préparation et la réalisation dans les règles de l'art de toutes les interventions quotidiennes en zones et hors zones nucléaires.
Les servitudes nucléaires existent depuis le début de la création de notre parc nucléaire. Aujourd'hui, l'appellation « servitudes nucléaires » a été remplacée par celle de « logistique nucléaire ». Sachez, mesdames, messieurs les parlementaires, que le métier est exactement le même qu'à ses débuts avec toujours plus d'exigences et de contraintes supplémentaires pour tous les intervenants.
Le démantèlement, le conditionnement et la gestion des déchets, la décontamination sont toujours réalisés par des salariés d'entreprises extérieures. Quelque 160 000 salariés travaillent au quotidien sur l'ensemble du parc pour cette filière. C'est en grande partie grâce à eux – et évidemment à nos collègues statutaires – que notre pays n'a pas connu d'accidents majeurs. L'organisation du travail et les objectifs de rentabilité sont à la main des directions des entreprises. C'est ainsi que nous travaillons à la limite de l'illégalité : nous devons appliquer des règles internes de qualité aux dépens des règles de base de nos métiers, pour être dans la course et obtenir de nouveaux contrats. Enfin, on nous impose des procédures de qualité qui sont toujours réalisées en situation dégradée.
Résultat de ce modèle de gestion, les risques psychosociaux sont en très forte progression – des rapports d'expertise en attestent. Les salariés de la sous-traitance au quotidien sont, de fait, des pompiers de service en alerte permanente, tous réquisitionnés pour éteindre des situations de plus en plus dégradées et soumis, toujours plus, à des contraintes de plus en plus fortes, où chacun se retrouve finalement seul.
Pour conclure cette introduction et avant de répondre à vos questions, nous devons vous dire que les dernières réformes du code du travail, la suppression des critères de pénibilité, impactent directement et violemment les salariés de la sous-traitance. Nous sommes, comme vous tous ici présents, désolés pour cette cartographie inquiétante de la situation sur le terrain des salariés de la sous-traitance.