Je souhaite en effet vous présenter brièvement l'origine de ces données. Il s'agit des données de l'annuaire santé de l'assurance maladie, que nous avons traitées d'après une méthodologie développée par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) et par l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), qui comptent parmi les instituts de recherche en économie de la santé les plus avancés de France. Cette méthodologie, qui est très longue et très coûteuse à mettre en oeuvre, permet d'estimer l'accessibilité potentielle localisée, c'est-à-dire l'offre disponible à moins de 30 minutes de trajet pour les généralistes, 45 minutes pour les spécialistes.
Cette approche donne des résultats plus précis que l'évaluation de la densité de médecins par département. Plus facile à mettre en oeuvre, celle-ci est trop approximative, car elle ne tient pas compte du fait que ceux qui habitent à la frontière d'un département la franchissent aisément pour consulter un médecin comme ils le font quotidiennement pour autre chose. Le niveau de la commune n'est pas pertinent non plus car il est trop restreint.
En outre, nous avions déjà mené une enquête selon cette même méthode en 2012, de sorte que nous pouvons observer comment l'accès aux soins a évolué en quatre ans. Nous avons ainsi constaté une dégradation marquée pour 25 % de la population en ce qui concerne l'accès aux généralistes, pour 40 à 60 % en ce qui concerne les trois autres spécialités que nous avons étudiées, la situation la plus grave étant celle des gynécologues. Ce recul concerne toutes les régions de France, y compris l'Île-de-France ou la Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA).
En 2016, nous avons pu observer les effets des mesures incitatives de lutte contre les déserts médicaux contenues dans la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie, signée le 26 juillet 2011, et dans le « Pacte territoire santé » lancé par Marisol Touraine en décembre 2012. À l'époque, nous avions qualifié ces mesures de « saupoudrage incitatif », et nous en constatons aujourd'hui l'échec. Examinons les deux dispositifs principaux.
Premièrement, l'option « démographie » consiste à verser des aides aux médecins exerçant en groupe dans des déserts médicaux. Cette option a entraîné un effet d'aubaine massif plutôt qu'un effet incitatif : 90 % des bénéficiaires étaient déjà installés dans ces zones sous-dotées. Or les études de la DREES montrent que, si les conditions d'exercice de ces médecins sont souvent difficiles, s'ils sont parfois en situation de suractivité, leurs revenus sont relativement corrects. Une autre preuve du défaut de conception de ces aides et de leur inefficacité réside dans le fait que les médecins déjà installés recevaient une aide supérieure aux nouveaux médecins que l'on parvenait à attirer. En effet, ces aides s'élevaient en moyenne à 15 600 euros par an pour les médecins qui étaient déjà installés, et à 11 400 euros par an seulement pour les nouveaux médecins. Ainsi, non seulement ce dispositif bénéficie à des médecins qui pour 90 % d'entre eux sont déjà installés, mais en outre, les 10 % de médecins nouvellement installés touchent moins d'argent que ceux qui le sont déjà.
Deuxièmement, l'option « santé solidarité territoriale » consiste en une majoration des honoraires pour les médecins qui exercent au moins 28 jours par an dans un désert médical… Seuls 28 médecins en ont bénéficié entre 2012 et 2016 ! Le coût de conception de ce dispositif par les services de l'assurance maladie et au ministère de la santé excède donc très largement le bénéfice qu'il représente.