La réunion

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Jeudi 17 mai 2018

La séance est ouverte à 10 heures 30.

Présidence de M. Alexandre Freschi, président de la commission d'enquête

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La commission d'enquête entend les associations d'usagers : M. Gérard Raymond et Mme Féreuze Aziza, vice-président et chargée de mission assurance maladie de France Assos Santé, M. Daniel Bideau et M. Mathieu Escot, vice-président et responsable des études de l'Union fédérale des consommateurs UFC-Que choisir, Mme Aude Bourden, conseillère nationale santé - médico-social de l'Association des paralysés de France (APF) – France Handicap, et M. Michel Antony, Mme Rosine Leverrier et M. Joseph Maatouk, respectivement président fondateur, vice-présidente et secrétaire de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous recevons l'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé France Assos Santé, représentée par son vice-président, M. Gérard Raymond, qui est accompagné de Mme Aziza Féreuse, chargée de mission. L'Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir est représentée par son vice-président, M. Daniel Bideau, qui anime également la commission santé de l'UFC-Que Choisir, ainsi que par M. Mathieu Escot, responsable des études. L'Association des paralysés de France (APF)-France Handicap, est représentée par Mme Aude Bourden, conseillère nationale santé - médico-social. Enfin, nous recevons la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité, représentée par M. Michel Antony, son président fondateur, accompagné de Mme Rosine Leverrier, vice-présidente, et M. Joseph Maatouk, secrétaire. Je vous souhaite à tous la bienvenue.

Je vous informe que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. En conséquence, elles sont ouvertes à la presse, diffusées en direct sur un canal de télévision interne et pourront être consultées en vidéo sur le site internet de l'Assemblée nationale.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité et je vous donne la parole pour une intervention liminaire qui sera suivie d'un échange.

M. Gérard Raymond, Mme Aziza Féreuse, M. Daniel Bideau, M. Mathieu Escot, Mme Aude Bourden, M. Michel Antony, Mme Rosine Leverrier et M. Joseph Maatouk prêtent successivement serment.

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Gérard Raymond, vice-président de l'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé France Assos Santé

C'est toujours un honneur et un plaisir de venir dialoguer avec vous à propos des problèmes de santé publique, particulièrement à l'heure actuelle, alors qu'il est nécessaire de transformer le système de soins en un véritable système de santé. Nous devons en effet instaurer un système de santé qui inclue la prévention, l'éducation à la santé, et qui permette à chaque citoyen de conserver son capital santé, tandis que le système de soins doit être mis en place lorsqu'une maladie s'est déclarée.

Aujourd'hui, tous les voyants sont au rouge : notre système est en train de perdre son universalité, sa capacité à offrir à chacun d'entre nous une offre de soins qui corresponde à ses attentes et à ses demandes. Nous sommes préoccupés par l'hétérogénéité de l'offre de soins selon les différents territoires. Or il faut tenir compte du fait que les besoins de la population ne sont pas homogènes. Par conséquent, dans un premier temps, il est nécessaire d'évaluer l'état de santé de la population dans chaque territoire, afin de réfléchir avec l'ensemble des acteurs, aussi bien avec les représentants politiques qu'avec les professionnels de santé et les agences régionales de santé (ARS), pour établir comment répondre aux attentes et aux besoins.

En particulier, il faut observer le développement des pathologies chroniques lié à l'évolution de notre société. Or outre la vice-présidence de France Assos Santé, j'assume aussi la présidence de la Fédération française des diabétiques (FFD). En France, 4 millions de personnes sont actuellement atteintes de cette maladie : elles rencontrent des problèmes cardio-vasculaires, d'obésité ou d'apnée du sommeil ; elles représentent une grande partie de la population relativement âgée et atteinte de pathologies chroniques, pour laquelle il faut trouver un autre système de prise en charge que celui de la simple consultation. Il faut donc chercher à établir des parcours de soins, coordonner l'ensemble des acteurs et dépasser la rémunération à l'acte pour penser une rémunération forfaitaire ou globale dans le cadre de critères préalablement définis de qualité et d'efficience.

En outre, afin d'enrayer la désertification médicale et de mettre en place une offre de soins continue sur des territoires donnés, il faut proposer des transferts de compétences pour permettre à d'autres professionnels de santé que les médecins, comme les pharmaciens ou les infirmiers, de devenir la porte d'entrée dans le système de santé, d'orienter les patients et de participer à des parcours de coordination en particulier en ce qui concerne les maladies chroniques. De tels transferts nous semblent nécessaires pour atteindre une certaine homogénéité de l'offre de soins. Dans ce sens, un décret concernant la pratique avancée des infirmiers est actuellement en cours d'élaboration.

Ensuite, le regroupement des professionnels de santé doit certainement être soutenu. Il existe des maisons de santé pluri-professionnelles ; les techniques modernes de communication pourraient leur permettre d'assurer certains services de manière virtuelle, afin d'atteindre l'ensemble du territoire. Cela requiert bien évidemment des plateaux techniques qui assurent que les SMS ou les courriels fassent l'objet d'une communication sécurisée entre les professionnels de santé, mais aussi entre ces professionnels et les patients. Rappelons que la télémédecine constitue un ensemble d'outils et non un objectif en soi.

Cela implique une véritable réorganisation du système de premier recours qui offre à chaque acteur la possibilité de jouer un rôle de prévention, d'accompagnement, d'information et de communication auprès du patient. Il faut également redéfinir le rôle de l'hôpital, ainsi que la liaison entre l'hôpital, la ville et le domicile. Cette réorganisation du système de premier recours est indispensable pour garantir l'accès aux soins sur l'ensemble du territoire.

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Daniel Bideau, vice-président et animateur de la commission santé de l'Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir

Je commencerai par vous présenter rapidement l'UFC-Que Choisir. Elle est composée de 145 associations locales et regroupe 140 000 adhérents. Vous connaissez sans doute la revue Que Choisir, qui tire chaque mois à 400 000 exemplaires, mais peut-être connaissez-vous moins bien Que Choisir Santé, qui tire à 80 000 exemplaires par mois et qui reflète notre politique en matière de santé. Le réseau de l'UFC comprend notamment des référents régionaux santé qui sont en relation avec les élus et avec les établissements de soins et qui s'efforcent de faire avancer la cause des usagers, lesquels ont droit non seulement à des soins mais aussi à une prévention de qualité.

L'UFC est très attachée à proposer une approche concrète des problèmes, à partir des études que nous conduisons. Ainsi, d'après une étude sur la « fracture sanitaire » menée sur le périmètre de chaque commune, à partir de données de l'assurance maladie, sur le prix et la localisation des médecins libéraux exerçant dans quatre spécialités – généralistes, pédiatres, ophtalmologistes, gynécologues –, jusqu'à un Français sur cinq, selon la spécialité étudiée, vit dans un désert médical.

En ce qui concerne les généralistes, 5 % de la population vit dans un désert médical. Cependant ce phénomène s'amplifie : il n'est plus limité aux campagnes mais s'étend désormais aux zones urbaines, où des problèmes se posent lorsque les médecins prennent leur retraite sans être remplacés, car les patients peinent alors à trouver un médecin traitant.

Pour les trois autres spécialités étudiées, il faut aussi tenir compte des dépassements d'honoraires, difficulté qui s'ajoute au problème géographique. En effet, si on ne prend en considération que la géographie, 12 % à 19 % des Français vivent dans un désert médical, c'est-à-dire qu'ils ne trouvent pas de médecins dans ces trois spécialités à moins de 45 minutes de chez eux. Cependant, si l'on considère uniquement l'offre de soins au tarif opposable, c'est-à-dire sans dépassement d'honoraires, ce qui nous paraît constituer l'accès normal des usagers au système de soins, 29 % de la population vit à plus de 45 minutes de route d'un pédiatre, et la moitié de la population connaît une offre médicale notoirement insuffisante en ce qui concerne la gynécologie ou d'ophtalmologie.

Mathieu Escot vous exposera la méthodologie de notre étude.

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Mathieu Escot, responsable des études à l'Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir

Je souhaite en effet vous présenter brièvement l'origine de ces données. Il s'agit des données de l'annuaire santé de l'assurance maladie, que nous avons traitées d'après une méthodologie développée par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) et par l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), qui comptent parmi les instituts de recherche en économie de la santé les plus avancés de France. Cette méthodologie, qui est très longue et très coûteuse à mettre en oeuvre, permet d'estimer l'accessibilité potentielle localisée, c'est-à-dire l'offre disponible à moins de 30 minutes de trajet pour les généralistes, 45 minutes pour les spécialistes.

Cette approche donne des résultats plus précis que l'évaluation de la densité de médecins par département. Plus facile à mettre en oeuvre, celle-ci est trop approximative, car elle ne tient pas compte du fait que ceux qui habitent à la frontière d'un département la franchissent aisément pour consulter un médecin comme ils le font quotidiennement pour autre chose. Le niveau de la commune n'est pas pertinent non plus car il est trop restreint.

En outre, nous avions déjà mené une enquête selon cette même méthode en 2012, de sorte que nous pouvons observer comment l'accès aux soins a évolué en quatre ans. Nous avons ainsi constaté une dégradation marquée pour 25 % de la population en ce qui concerne l'accès aux généralistes, pour 40 à 60 % en ce qui concerne les trois autres spécialités que nous avons étudiées, la situation la plus grave étant celle des gynécologues. Ce recul concerne toutes les régions de France, y compris l'Île-de-France ou la Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA).

En 2016, nous avons pu observer les effets des mesures incitatives de lutte contre les déserts médicaux contenues dans la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie, signée le 26 juillet 2011, et dans le « Pacte territoire santé » lancé par Marisol Touraine en décembre 2012. À l'époque, nous avions qualifié ces mesures de « saupoudrage incitatif », et nous en constatons aujourd'hui l'échec. Examinons les deux dispositifs principaux.

Premièrement, l'option « démographie » consiste à verser des aides aux médecins exerçant en groupe dans des déserts médicaux. Cette option a entraîné un effet d'aubaine massif plutôt qu'un effet incitatif : 90 % des bénéficiaires étaient déjà installés dans ces zones sous-dotées. Or les études de la DREES montrent que, si les conditions d'exercice de ces médecins sont souvent difficiles, s'ils sont parfois en situation de suractivité, leurs revenus sont relativement corrects. Une autre preuve du défaut de conception de ces aides et de leur inefficacité réside dans le fait que les médecins déjà installés recevaient une aide supérieure aux nouveaux médecins que l'on parvenait à attirer. En effet, ces aides s'élevaient en moyenne à 15 600 euros par an pour les médecins qui étaient déjà installés, et à 11 400 euros par an seulement pour les nouveaux médecins. Ainsi, non seulement ce dispositif bénéficie à des médecins qui pour 90 % d'entre eux sont déjà installés, mais en outre, les 10 % de médecins nouvellement installés touchent moins d'argent que ceux qui le sont déjà.

Deuxièmement, l'option « santé solidarité territoriale » consiste en une majoration des honoraires pour les médecins qui exercent au moins 28 jours par an dans un désert médical… Seuls 28 médecins en ont bénéficié entre 2012 et 2016 ! Le coût de conception de ce dispositif par les services de l'assurance maladie et au ministère de la santé excède donc très largement le bénéfice qu'il représente.

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Daniel Bideau, vice-président et animateur de la commission santé de l'Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir

Permettez-moi à présent de vous exposer nos propositions essentielles. Tout d'abord, il nous paraît urgent de procéder à un conventionnement sélectif des médecins par l'assurance maladie. Toute nouvelle installation dans une zone où l'offre est surabondante ne doit pouvoir se faire qu'en secteur 1, sans dépassement d'honoraires, ce qui permet une meilleure répartition géographique des médecins.

En outre, l'association demande la fermeture de l'accès au secteur 2, car l'existence du secteur 2 entraîne des effets délétères, notamment des dépassements d'honoraires importants, qui ne sont plus à prouver. L'option de pratique tarifaire maîtrisée (OPTAM), autrement dit l'encadrement des dépassements d'honoraires, ne pourra produire ses effets que si elle cesse d'être facultative. Par conséquent, elle doit devenir obligatoire pour constituer le substitut du secteur 2.

Enfin, les aides publiques aux médecins doivent être réorientées vers les seuls médecins conventionnés en secteur 1. L'intérêt de l'usager, auquel nous tenons, implique que les honoraires ne soient pas dépassés et que tous aient accès à un système de santé qui puisse être financé.

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Aude Bourden, conseillère nationale santé - médico-social de l'Association des paralysés de France (APF)-France Handicap

Permettez-moi tout d'abord de vous informer que l'APF a changé de nom en avril 2018, pour devenir APF-France Handicap. Ce changement de nom est important pour nous, car nous ne représentons pas seulement les personnes paralysées, mais toutes les personnes qui présentent un handicap moteur et les troubles associés et, plus largement, des personnes atteintes par tous les types de handicap.

Je vous remercie sincèrement de nous avoir invités aujourd'hui à cette audition de la commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des Français. Nos adhérents témoignent souvent auprès de nous des difficultés qu'ils rencontrent en ce qui concerne l'accès aux soins, lequel est rendu plus difficile encore par leur handicap. Or le handicap est souvent révélateur des carences du système de santé pour l'ensemble de la situation.

En outre, il faut tenir compte des problèmes spécifiques que rencontrent les personnes en situation de handicap dans les déserts médicaux. Elles peinent à trouver un médecin traitant ; elles ont des difficultés pour consulter des médecins exerçant les spécialités évoquées précédemment, ainsi que d'autres types de professionnels de santé, tels que les orthophonistes ou les kinésithérapeutes. En outre, des pharmacies ferment faute de prescripteur dans un territoire donné. Or les personnes en situation de handicap sont très dépendantes des produits de santé pour leur vie quotidienne, de sorte que ces fermetures les pénalisent encore davantage.

Enfin, rappelons que la désertification ne touche pas seulement la médecine de ville, mais également les lieux de vie médico-sociaux. En effet, nous avons des difficultés à recruter un personnel suffisant pour accompagner correctement les personnes que nous accueillons dans nos établissements ou dans nos services.

C'est pourquoi APF-France Handicap adhère à des associations qui militent pour l'accès aux soins des usagers, telles que France Assos Santé, ou l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS). Or l'UNIOPSS a souligné les limites du nouvel indicateur de zonage qui sert à attribuer les aides à l'installation. Comme le rappelle l'intitulé de votre commission d'enquête, il s'agit bien de « lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain » ; or cet indicateur met de côté tous les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), alors que l'accès aux soins dans ces quartiers est problématique, comme le montre le rapport « Vivre ensemble, vivre en grand » présenté par Jean-Louis Borloo. L'UNIOPSS dénonce également le fait que le nombre d'installations ne soit pas du tout équilibré entre l'exercice libéral et l'exercice salarié. Nous pensons nous aussi qu'il faut prendre des mesures pour augmenter le nombre d'installations en exercice salarié.

Tout d'abord, nous souhaitons attirer votre attention sur le fait que la question des déserts médicaux doive faire l'objet d'une approche interministérielle, qui prenne en compte l'aménagement du territoire et plus particulièrement la question de la mobilité. Ainsi, les personnes en situation de handicap ont besoin de transports adaptés pour se rendre sur les lieux de soins. Sans cela, les mesures que l'on pourra prendre pour lutter contre les déserts médicaux resteront inefficaces. De même, l'accès au numérique dans les différents territoires doit être amélioré si l'on souhaite développer la télémédecine et la « e-santé ».

Ensuite, l'accessibilité universelle concerne non seulement les lieux de soins mais également les équipements. Or l'accessibilité des équipements n'a pas été pensée. Ainsi, sur l'ensemble du territoire français, aujourd'hui, il n'y a que quelques équipements qui permettent à une personne en fauteuil roulant de faire une mammographie en étant assise. Toute une frange de la population n'a donc pas accès à ces équipements.

En outre, il est nécessaire de développer l'accompagnement et le maintien à domicile. Aujourd'hui, un certain nombre de personnes ont besoin d'un accompagnement pour certains gestes de la vie quotidienne, de soins à domicile et d'une coordination des professionnels de santé. Or, aujourd'hui, les soins à domicile sont mal financés et mal coordonnés. Permettez-moi de vous donner un exemple : une personne lourdement handicapée, qui vit à domicile avec sa mère vieillissante, lorsque son médecin traitant est parti récemment à la retraite, a contacté plus de 20 médecins sans trouver un médecin traitant qui accepte de se rendre à domicile. À l'heure où l'on parle de « virage ambulatoire », de « virage inclusif », de maintien à domicile des personnes dépendantes, les déserts médicaux ne nous permettent pas de mettre en oeuvre ces objectifs.

Enfin, permettez-moi de vous présenter une proposition assez originale : il ne suffit pas de réguler l'installation des médecins ou de réfléchir à la répartition de l'offre de soins, il faut aussi accompagner les populations qui vivent dans les déserts médicaux. Il nous semble que les ARS devraient développer des dispositifs d'accompagnement des personnes qui ne trouvent pas de lieu de soins ou de médecin traitant. Ces dispositifs constitueraient un véritable observatoire sur un territoire donné, lequel assurerait un suivi plus régulier que les indicateurs et les études. Nous sortirions ainsi de la logique individuelle actuelle, dans laquelle ce sont les médecins qui acceptent ou refusent des patients, pour faire advenir une responsabilité collective des acteurs de la santé sur un territoire.

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Michel Antony, président fondateur de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités

Je suis enchanté d'être parmi vous aujourd'hui. Je me souviens d'avoir participé à une réunion dans ces mêmes locaux avec une trentaine de nos collectifs voici une dizaine d'années, à l'initiative de Christian Paul.

La Coordination nationale que je représente est une association d'usagers, même si ce n'est pas une association de patients. En effet, les usagers citoyens représentent autant les patients que les professionnels de santé ou les élus locaux. Nos analyses bénéficient de ces approches diverses et complémentaires.

Depuis 30 ans environ, on constate une désertification médicale. En particulier, nous nous sommes beaucoup appuyés sur le Livre blanc de l'Association des petites villes de France (APVF), publié pour la première fois en 1999, dans lequel cette association poussait un cri d'alarme extraordinairement fort et proposait une remise en cause de la liberté d'installation. Selon nous, cela constitue un des axes incontournables pour avancer sur la question de l'accès aux soins. Un constat s'impose avec évidence : on ne pourra pas avancer sans service public et sans politique globale d'aménagement du territoire. En effet, les différents services sont imbriqués : quand on affaiblit une maternité, un hôpital, une gare ou d'autres secteurs du service public, on contribue à désorganiser totalement les régions qui font le ciment de la société française. Telle est la vision que nous défendons. Nous avons plusieurs propositions à avancer pour inverser cette tendance.

Premièrement, il faut absolument arrêter toutes les destructions de services et les fermetures de lits dans les structures hospitalières. Quand on affaiblit un site hospitalier territorial de proximité (SHTP), on désertifie l'ensemble du secteur. En effet, tout le secteur médical et para-médical, et en particulier les généralistes libéraux qui s'appuient sur ces structures hospitalières, se sentent à leur tour démunis, en surcharge, et par conséquent n'ont plus la volonté ou la vocation de venir dans ces territoires. Il faut donc arrêter de détruire et de fermer les urgences de nuit ou les maternités. Comme on a fermé les deux tiers des maternités en France, les femmes doivent faire des distances de plus en plus grandes, ce qui entraîne déjà des problèmes, dont certains mettent en danger leur vie, problèmes qui s'accroîtront à l'avenir. Ainsi, en Bourgogne-Franche-Comté, la région où je vis, on va fermer les urgences de nuit dans six structures hospitalières. Certes, les flux ne sont pas suffisants, mais ce n'est pas un argument recevable en matière de santé de proximité, car ces services sont indispensables pour garantir les droits des habitants de ces territoires en termes d'accessibilité et de prise en charge. Il faut donc mettre en oeuvre un moratoire sur les fermetures de services. Conservons les structures sanitaires de proximité pour donner à nos régions l'ossature dont elles ont besoin.

Deuxièmement, autour de ces sites hospitaliers territoriaux de proximité, nous demandons de développer de manière prioritaire les centres de santé. C'est un non-sens de se focaliser exclusivement sur les maisons de santé. En effet, il s'agit de groupements privés de professionnels, alors que les centres de santé peuvent être assimilés à des institutions publiques. En tant que représentants politiques, vous devriez souligner la différence, car une confusion extraordinaire règne aussi bien dans les médias que parmi les responsables politiques.

Pourquoi défendre les centres de santé ? D'une part, ils reposent sur le salariat, auquel aspirent de plus en plus les médecins en formation, comme en témoignent les deux tiers des promotions des cinq ou six dernières années. Si on ne prend pas en compte ce nouveau paradigme médical, on passera à côté des changements. D'autre part, les centres de santé, comme l'ont dit nos amis de l'UFC-Que Choisir, vont contribuer à supprimer le tiers payant et à rétablir une démocratie médicale de proximité. En effet, les usagers sont représentés de plein droit dans les centres, qu'ils soient municipaux, coopératifs, mutualistes ou associatifs : ils agissent avec les professionnels pour le bien de l'ensemble de la population d'un territoire. Toutefois, ces centres de santé ne doivent pas être des coquilles vides. Le problème qui se pose est similaire à celui des aides qui bénéficient en pratique aux médecins qui sont déjà en place ; c'est un scandale, car on gaspille l'argent public sans parvenir à inverser la tendance à la désertification médicale.

Troisièmement, il faut augmenter le nombre de médecins. Ce troisième axe repose sur deux mesures. Il faut d'abord faire exploser le numerus clausus. On nous dit qu'il a connu une énorme augmentation ces dernières années, mais on oublie toujours de dire que l'on a ainsi atteint le même niveau – 8 000 places – que dans les années 1970, quand il a été créé. Or la population française compte 15 millions de personnes supplémentaires, elle vieillit, et les moeurs médicales sont différentes. Ainsi, dire que le numerus clausus a augmenté, c'est se moquer du monde ! En tant que représentants politiques, vous devez dire que c'est un mensonge éhonté. Je n'ai pas de consignes ni d'ordres à vous donner, mais il faut vous souvenir que le citoyen de base est toujours excédé quand le débat est faussé. Si on ne fait pas exploser le numerus clausus, on va contribuer à maintenir cette densité de plus en plus basse du nombre de médecins pour mille habitants. Le calcul est simple à faire, quand on sait que le niveau du numerus clausus est le même mais que la population a augmenté de 15 millions.

En outre, il faut évidemment accorder des moyens aux institutions de formation pour assumer cette charge nouvelle, sans quoi on assistera à la situation qu'évoquait le doyen de l'université de Rennes lorsqu'il menaçait de fermer la formation s'il y avait trop de candidats ! Surtout, il faut augmenter le nombre de centres de formation où les étudiants effectuent leurs stages, notamment chez les généralistes les plus éloignés ou dans les petits centres, de manière à montrer que l'on peut vivre et exercer très bien, dans d'autres lieux que les centres hospitaliers universitaires (CHU).

Quatrièmement, les mesurettes proposées depuis quinze ans sont très insuffisantes pour attirer les médecins. Elles ne sont pas à la hauteur de la crise, et constituent seulement des avantages financiers, techniques ou associatifs. Aujourd'hui, toutes les collectivités locales sont en concurrence pour attirer le médecin qui leur manque. Cette concurrence va parfois jusqu'à l'indécence : certaines collectivités offrent même des places pour le théâtre ou l'opéra local, pour signifier aux médecins qu'ils ne vont pas s'installer dans un territoire reculé, perdu. C'est une honte en termes de service public et d'aménagement du territoire ! Il ne faut pas aller dans ce sens-là. Les droits doivent être les mêmes partout.

C'est pourquoi nous pensons qu'il faut en finir avec la liberté d'installation. Tant qu'on ne la remettra pas en cause, on pourra proposer des mesurettes, des aides financières, mais les médecins ne viendront pas dans certaines zones. Permettez-moi de prendre de nouveau l'exemple de ma région. Le docteur Laine est extrêmement connu au niveau national car c'est le roi du Bon Coin : il a mis en vente son officine, son logement et ses services gratuitement sur ce site, afin que ses patients ne soient pas abandonnés, car c'est un médecin libéral qui croit à la qualité de la santé. Néanmoins, depuis un an et demi que son cabinet est sur le Bon Coin, il n'a pas trouvé de remplaçant. Un tel exemple montre que si on ne remet pas en cause la liberté d'installation, nous ferons les mêmes constats dans dix ans, ou plutôt nous observerons que la situation s'est aggravée.

Il ne s'agit pas de mettre une baïonnette dans le dos des médecins ! Nous reprenons la proposition faite par l'Association des petites villes de France en 1999 dans le Livre blanc que j'ai cité, qui consiste en un service civil de trois à cinq ans. En effet, si on pouvait, pendant trois ans, installer des jeunes médecins dans un centre de santé créé en accord avec les centres hospitaliers territoriaux, afin qu'ils se rendent compte des réalités locales et qu'ils exercent la médecine, on rétablirait peut-être une médecine territoriale égalitaire et solidaire sur notre territoire.

Nous aurons peut-être l'occasion d'évoquer nos autres propositions, mais je vous ai présenté les principales : ne pas continuer à détruire les services de proximité, ouvrir le plus possible des centres de santé, élargir le numerus clausus et remettre en cause partiellement la liberté d'installation. Bien entendu, tout cela doit se faire en concertation avec les professionnels pour que cela se passe dans les meilleures conditions pour eux.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite d'abord remercier chacun d'entre vous d'être venu nous communiquer avec passion votre vision de la santé. Vous avez bien compris que cette commission d'enquête parlementaire rassemble des femmes et des hommes de toutes sensibilités politiques autour de cette question absolument cruciale.

M. le Premier ministre, dans un discours important à Cahors, a présenté quatre pistes pour améliorer l'accès aux soins, non seulement en milieu rural mais aussi en milieu urbain. Madame Bourden, vous évoquiez à juste titre le rapport Borloo : il est vrai qu'aujourd'hui, il n'y a plus un territoire qui échappe à ce drame.

Premièrement, des courriers ont été adressés par la ministre de la santé aux directeurs des ARS pour engager les professionnels de santé à s'organiser différemment, en particulier pour demander à ce que les praticiens des groupements hospitaliers de territoire aillent faire des consultations avancées dans les hôpitaux de proximité. On commence donc à endiguer la désertification. Ces démarches témoignent d'une volonté de lier la santé à la politique d'aménagement du territoire, lien dont vous avez rappelé la nécessité. Édouard Philippe est allé jusqu'à affirmer que la santé était un enjeu d'aménagement du territoire dont il fallait que tous se saisissent, aussi bien les usagers que les professionnels et les élus locaux. Avez-vous déjà quelques éléments d'appréciation des premiers résultats de ces démarches ?

Deuxièmement, en ce qui concerne le conventionnement sélectif, j'ai entendu ce qu'affirment les représentants de l'UFC-Que Choisir, à savoir qu'il faut limiter l'installation en secteur 2. Ne pensez-vous pas qu'il faut y joindre un corollaire, consistant à revaloriser le montant des consultations, comme je l'ai demandé il y a quelques années dans une proposition de loi ? En effet, le temps médical est amputé de 25 % à 35 % par des tâches administratives tandis que le montant des consultations, qui a un peu augmenté récemment, reste bloqué à 25 euros environ. N'est-ce pas ce qui explique que les médecins sont de plus en plus nombreux à s'installer en secteur 2, comme nous le constatons en particulier depuis trois ans ? Vous savez que le montant de la consultation chez certains généralistes peut monter jusqu'à 50 euros en fonction du type de public. Une revalorisation complète des grilles ne permettrait-elle pas d'améliorer l'attractivité de la profession de médecin généraliste ?

Troisièmement, des politiques de régulation ont été mises en place en ce qui concerne les autres professionnels de santé que les médecins. Quelle vision en avez-vous ? D'après vous, ces mesures de régulations sont-elles efficaces ? Avez-vous des inquiétudes ?

On assiste depuis deux ans à une accélération des fermetures des maternités, de centres d'appels d'urgence, ainsi que je le constate tous les jours dans ma propre région. Monsieur Antony, la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités dispose-t-elle d'un document synthétique qui dresse l'état des lieux ? Je vous rejoins lorsque vous évoquez un moratoire : on ne peut pas, d'un côté, accélérer ces fermetures, et, de l'autre, expliquer que la santé est au coeur de l'aménagement du territoire, ce dont témoignaient les propos sincères et pertinents d'Édouard Philippe. Or il est vrai que nous sommes en phase d'accélération, en même temps que nous développons les soins ambulatoires.

Enfin, je partage votre appel à l'ouverture du numerus clausus. Permettez-moi d'ajouter un point à votre argumentaire déjà très solide : le nombre d'heures pendant lesquelles le médecin est disponible est inférieur de 20 % à ce qu'il était en 1985 — sans parler de ce qu'il était en 1970. Là encore, nous devons prendre en compte cette évolution de la société, sans la critiquer. Quelles que soient nos sensibilités et nos parcours, nous devons constater que les médecins généralistes ne travaillent plus 80 heures par semaine comme ils le faisaient par le passé. C'est un fait acté. Je ne leur jette pas la pierre : pourquoi constitueraient-ils une catégorie à part dans la société ? Ils ont droit eux aussi à s'épanouir hors du travail, dans la vie de famille, par exemple.

Nous vous serions donc reconnaissants de nous apporter des éléments complémentaires à partir de ces quelques pistes. Mes collègues vous interrogeront ensuite et nous nous efforcerons de faire converger vos propositions.

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Michel Antony, président fondateur de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités

Il va de soi que nous ne remettons pas en cause l'évolution de la société : au contraire, nous applaudissons à la féminisation et aux changements de mode de vie des médecins. Déjà, dans ma jeunesse, certains de mes collègues du monde médical travaillaient à temps partiel parce qu'ils avaient envie de vivre autrement. Nous ne critiquons donc pas ces évolutions.

Permettez-moi de rappeler encore que même si nos propositions paraissent restreindre de manière draconienne la liberté d'installation, nous désirons qu'elles soient mises en oeuvre en accord avec les professionnels de santé. Il ne faut pas qu'il y ait d'ambiguïté sur ce point.

Par ailleurs, il est impossible de dresser un état des lieux général. On ne peut le faire que sur certains points : ainsi on connaît le nombre de services d'urgence qui ont été supprimés ; on sait qu'à l'époque des regroupements hospitaliers un millier de petits centres ont été fermés ; le nombre de maternités est passé de 1 500 environ en 1970 à 500 environ aujourd'hui : il a donc été divisé par trois. La Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités assure le suivi de la situation au jour le jour – c'est une tâche insupportable et déprimante, parce que l'on ajoute chaque jour une fermeture à la liste. Vous avez fait remarquer à juste titre que la situation s'aggrave.

En Bourgogne-Franche-Comté, comme en Bretagne, dans les Ardennes ou dans d'autres régions où la mobilisation est importante, s'exprime un « ras-le-bol » qui touche la totalité de la population, et notamment des élus. Ainsi, vous savez sans doute que le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, qui est régulièrement sollicité par nos comités très actifs dans le secteur, a voté à l'unanimité contre le projet régional de santé (PRS). Ses arguments sont très clairs – ce sont les nôtres depuis très longtemps. Nous travaillons avec l'ARS lorsqu'il s'agit de monter un centre local de santé ou d'accueillir des étudiants, mais l'ARS ne répond jamais en rien à notre demande principale, qui concerne l'arrêt des fermetures de service et la « fourniture » des personnels de santé nécessaires.

Une quinzaine de localités sont mobilisées dans notre secteur, où le PRS a donc été rejeté, comme il l'a été récemment par les conseils départementaux du Doubs, de la Haute-Saône, de l'Yonne ou de la Nièvre. Il y a une fronde des élus : 70 élus ont ainsi rendu leur écharpe pour protester contre la fermeture des urgences de nuit à Clamecy ; à Montceau-les-Mines, 60 de vos collègues ont formulé cette même menace ; dans le Jura, 500 personnes ont brûlé leur carte électorale. Il existe une tension véritable, que l'on se doit de prendre en compte à l'Assemblée nationale. Comme le montre l'exemple de Bourgogne-Franche-Comté, on ne peut plus continuer aujourd'hui à gratter un os qui est déjà largement gratté. On ne peut pas supprimer des services continuellement. On ne peut plus dire aux gens que c'est pour leur bien, que la concentration permettra de leur rendre un meilleur service ailleurs, que la télémédecine et les hélicoptères vont les sauver ! Les gens n'y croient plus, ils en rigolent, et les professionnels aussi. On sait très bien que sans la présence humaine et sans le maintien des services nécessaires aux populations, on va vers la catastrophe annoncée. La Coordination souhaite ardemment que l'exemple de Bourgogne-Franche-Comté fasse boule de neige, car on ne peut plus continuer ainsi.

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Daniel Bideau, vice-président et animateur de la commission santé de l'Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir

Les propos de M. le Premier ministre étaient effectivement tout à fait pertinents, puisqu'il a parlé d'aménagement du territoire. Pour nous, l'aménagement du territoire ne consiste pas en quelques mesures de saupoudrage ou d'augmentation des tarifs, mais en une véritable politique de soins qui refonde le système tarifaire actuel.

En effet, le système actuel repose sur le paiement à l'acte. On sait déjà que, dans les hôpitaux, ce système est catastrophique. Au niveau de la médecine libérale, le problème est exactement le même. Tant qu'on n'aura pas repensé la politique de santé en termes de prévention et de suivi des soins, on ne pourra pas réussir. Je vois bien d'où vient la proposition de revalorisation des grilles : le secteur professionnel et en particulier les syndicats de médecins la mettent en avant, comme vous l'avez fait vous-même, monsieur le rapporteur. Pourtant, je ne crois pas que ce soit la solution. Ainsi, selon moi, le paiement à l'acte doit être revu, aussi bien dans la politique hospitalière que dans la politique libérale.

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Si vous voulez supprimer le paiement à l'acte, cela signifie-t-il que vous souhaitez que les médecins deviennent des fonctionnaires, quelle que soit la forme que prend cette fonctionnarisation ?

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Daniel Bideau, vice-président et animateur de la commission santé de l'Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir

Pas du tout. On peut imaginer d'autres formes de rétribution.

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Il s'agit d'un point très important. Permettez-moi d'abord de rappeler que nous ne sommes pas les porte-parole de tel ou tel groupe. On ne peut pas d'un côté déplorer l'augmentation du nombre de médecins conventionnés en secteur 2 et des dépassements d'honoraires, et de l'autre refuser d'examiner la politique tarifaire.

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Daniel Bideau, vice-président et animateur de la commission santé de l'Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir

Il faut tenir compte du fait que l'augmentation de la part du secteur 2 est le résultat des mesures qui ont été prises. On a ouvert une boîte de Pandore en favorisant l'accès au secteur 2. C'est bien ce qui s'est passé sur le terrain : beaucoup de médecins ont opté pour le secteur 2, qui était la seule mesure qui leur était offerte pour revaloriser leurs actes, au lieu de mettre en oeuvre une véritable réflexion sur la politique de santé.

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Daniel Bideau, vice-président et animateur de la commission santé de l'Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir

Nous proposons de revoir la politique de santé en mobilisant l'ensemble des professionnels de santé et non seulement les médecins, comme vous l'avez dit. L'aménagement du territoire implique d'indexer la politique de santé sur les besoins des populations et sur les zones géographiques. Nous ne devrions pas connaître ce qui se passe actuellement, les offres que l'on fait aux médecins libéraux afin qu'ils s'installent dans tel ou tel endroit. J'ignorais qu'on allait jusqu'à leur proposer des billets d'opéra, mais je savais que des avantages financiers étaient offerts à des médecins pour qu'ils s'installent.

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Vous m'accorderez que, malgré les avantages financiers consentis, les déserts médicaux progressent partout. Le rapport de la Cour des comptes est incendiaire, et montre que l'on a épuisé les charmes du système actuel. Les contrats d'engagement de service public (CESP) constituaient un dispositif assez intelligent ; ils ont été préfigurés par Roselyne Bachelot et mis en place par Marisol Touraine — je cite leurs noms, comme je pourrais citer celui de la ministre actuelle, pour montrer que, toutes sensibilités politiques confondues, on constate que la politique de santé est un échec depuis longtemps dans le pays. Or ces CESP sont très peu nombreux et certains sont remboursés par ceux qui en sont bénéficiaires avant même qu'ils n'exercent pendant le nombre d'années pour lesquelles ils s'étaient engagés.

C'est pourquoi je vous demande d'exposer clairement ce que vous proposez. Il ne suffit pas de mettre en place une politique de prévention en consultant tous les acteurs. Comment faire pour que l'offre de soins soit plus équilibrée et mieux structurée sur l'ensemble du territoire ?

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Je vous ai entendu dire qu'il fallait « en finir » avec le paiement à l'acte. Cela signifie-t-il que vous voulez salarier les libéraux ?

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Mathieu Escot, responsable des études à l'Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir

Il est effectivement nécessaire d'être précis, car le sujet est complexe. Tout d'abord, nous sommes tout à fait conscients que c'est par déficit d'attractivité du secteur 1 que le secteur 2 a autant proliféré. Il faut donc effectivement rétablir l'attractivité du secteur 1, ce qui peut passer aussi par une baisse d'attractivité du secteur 2. C'est pourquoi nous demandons de fermer l'accès au secteur 2, et non de le retirer aux médecins qui sont déjà conventionnés en secteur 2. De même, nous savons qu'il est impossible de supprimer tous les dépassements d'honoraires du jour au lendemain, même si ce serait idéal. Nous sommes réalistes et nous essayons d'avancer de manière structurée et progressive.

Nous ne sommes pas hostiles à la revalorisation des actes conventionnés en secteur 1, étant entendu tout de même qu'il ne faut pas s'intéresser uniquement aux actes pour la rémunération des médecins. Il faut voir qu'a été développé tout un ensemble de rémunérations annexes, telles que la rémunération sur objectifs de santé publique, qui complète de manière non négligeable les revenus des médecins. Il faut donc considérer la rémunération dans son ensemble et non uniquement sur la question des actes.

Nous souhaitons interpeller en disant qu'il faut en finir avec le paiement à l'acte. Cela ne signifie pas qu'il faut y renoncer complètement, mais que la rémunération doit comprendre plusieurs parties, le paiement à l'acte, les objectifs de santé publique, et, pourquoi pas, d'autres éléments de rémunération tels que le forfait ou la capitation, qui ne soient pas liés uniquement au nombre d'actes mais par exemple au nombre de patients qui sont suivis durant l'année, comme cela se fait dans d'autres pays.

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Gérard Raymond, vice-président de l'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé France Assos Santé

Il serait prétentieux de vous apporter des réponses ; en revanche, nous vous présentons des propositions ou des idées à étudier, de manière à travailler ensemble.

Rappelons quel est notre objectif : nous voulons que la population soit en bonne santé, et que les personnes qui sont atteintes de pathologies soient bien soignées. Notre objectif n'est pas que les professionnels de santé « fassent du chiffre ». Il faut revenir aux origines de notre système de santé.

Depuis trop longtemps, on s'est concentré sur une rémunération à l'acte. Je suis d'accord avec vous : les 25 euros que reçoit aujourd'hui le médecin généraliste sont dérisoires ! Un plombier prend beaucoup plus. Cependant, nous devons nous interroger sur la valeur de chaque acte : pour prendre la tension et faire un certificat d'aptitude physique, cette somme est bien suffisante, mais non pour une consultation longue qui nécessite un suivi et une attention particulière. Il faut donc examiner les actes de manière beaucoup plus précise.

Nous sommes d'accord avec ce qu'ont dit nos amis de l'UFC : la rémunération doit reposer sur plusieurs bases. Comme on l'a dit, on constate le vieillissement de la population, l'importance croissante des maladies chroniques, lesquelles nécessitent un accompagnement, un suivi au long cours, qui doit être rétribué autrement que par la rémunération à l'acte. On peut ainsi envisager une rémunération forfaitaire, sur des critères de qualité et d'efficience. Les acteurs doivent se coordonner et chacun doit faire des efforts. L'évaluation doit porter sur ces parcours et sur leurs résultats, et non sur les individus. C'est l'avenir de notre médecine, et c'est aussi celui des médecins et des professionnels de santé. Chacun doit jouer le jeu. Les réformes sont nécessaires, et la rémunération doit reposer sur des critères de qualité, de performance et d'efficience.

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Aude Bourden, conseillère nationale santé - médico-social de l'Association des paralysés de France (APF)-France Handicap

Je pense moi aussi que la rémunération ne doit pas reposer uniquement sur le paiement à l'acte, mais sur plusieurs bases.

Je souhaite attirer votre attention sur la question du reste à charge. Aujourd'hui, la tarification différenciée entraîne des différences dans le montant du ticket modérateur. Quand on augmente le tarif des consultations, on augmente aussi les avances de frais et le reste à charge. Cela peut également entraîner une augmentation des assurances complémentaires et du forfait hospitalier. Il faut donc se demander ce que la population peut supporter financièrement. En effet, si les patients renoncent aux soins pour des raisons financières, la politique de santé aura échoué.

Monsieur Vigier, vous avez posé une question à propos du conventionnement sélectif qui existe pour d'autres professions de santé que les médecins. Il convient de rappeler que les études de médecine sont particulièrement longues et que les jeunes médecins commencent souvent à construire leur vie à l'endroit où ils font leurs études. Par conséquent, si on ne diversifie pas les lieux de formation et de stage, on ne résoudra pas le problème de la désertification par le conventionnement sélectif.

Enfin, pour répondre à votre question concernant les démarches actuelles, nous ne constatons aucun recul de la désertification médicale ; nous recevons au contraire de nouveaux témoignages qui attestent des difficultés que rencontrent nos adhérents.

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Rosine Leverrier, vice-présidente de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités

Je souhaite moi aussi rappeler quel est notre objectif : que la population soit soignée et qu'elle ait accès à ce qui lui permet d'être en bonne santé. Le politique, au sens large du terme, doit s'attacher à garantir ce droit.

Aujourd'hui, les jeunes médecins qui finissent leurs études demandent à travailler un nombre d'heures plus restreint et à être salariés. Dans ce sens, la Coordination propose de développer des centres de santé publics, qui emploient des médecins salariés.

Distinguer les consultations courtes des consultations longues est extrêmement compliqué. Pensez à ce qui passe à l'hôpital avec la tarification à l'activité (T2A) : le système de cotation est tellement complexe que certains médecins consacrent leurs journées à saisir les cotations. Les médecins libéraux ne peuvent pas faire cela ! La seule réponse possible nous semble consister dans l'emploi de médecins salariés dans des centres de santé. Je ne sais pas si le député élu dans la circonscription de La Ferté-Bernard est ici, car je sais qu'il appartient à cette commission : un centre de santé y a été ouvert et fonctionne assez bien.

Il faut également prendre en compte les problèmes de financement : le remboursement à 100 % est la seule solution pour que le droit de chacun soit respecté. Les deux principes fondamentaux sont donc les suivants : la présence des personnels soignants et le remboursement total des frais de santé.

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Mesdames et messieurs, vos interventions correspondent à ce que nous en attendions et permettent de faire remonter des informations du terrain. Messieurs les représentants de l'UFC, vous avez affirmé que les aides octroyées aux médecins étaient inefficaces. Vous avez donné deux exemples : les médecins installés depuis un certain temps bénéficient d'une aide plus importante que ceux qui s'installent ; l'option « santé solidarité territoriale » n'a été accordée qu'à 28 médecins. Pensez-vous qu'il faille supprimer les aides ou repenser totalement le système d'aides en le contrôlant ?

Permettez-moi de compléter ce qu'ont dit MM. Antony et Raymond, lorsqu'ils ont évoqué la nécessité d'un système de santé efficient pour que la population soit en bonne santé. Michel Antony et moi sommes issus du même territoire. J'ai rencontré il y a quelques semaines l'association hospitalière de Bourgogne-Franche-Comté, forte de plus de 2 000 collaborateurs, qui traite les maladies psychiques sur un bassin de population de plus de 500 000 personnes. Cette association appelle notre vigilance sur le fait que leur intervention n'est pas homogène sur le territoire : la circonscription du Nord dont nous sommes originaires est la plus touchée, parce que c'est la plus éloignée des lieux de soins. Or cet éloignement entraîne une dégradation de la santé, qui se marque par l'apparition de maladies psychiques et psychiatriques.

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J'ai moi aussi écouté avec beaucoup d'attention toutes les informations que vous faites remonter du terrain.

Concernant la question très discutée du numerus clausus, le problème n'est pas tant celui du nombre d'entrants en faculté de médecine que celui des sortants. En outre, comme je l'ai déjà dit au cours d'une autre audition, ceux qui s'installent en libéral constituent une minorité des étudiants sortant de faculté de médecine. Que faire alors ? Il faut examiner ce qui se passe au cours de l'ensemble de la formation.

Je me réjouis que les centres de santé publics fonctionnent chez vous, mais cela suppose que l'on salarie les médecins, et s'ils ne sont pas mis en oeuvre alors qu'on en parle depuis tant d'années, sous différentes majorités politiques, c'est peut-être parce que leur coût est trop élevé. Dans ma circonscription, un tel centre existait, dans le bassin houiller, mais il est sur le point de fermer. Il apparaît que sa gestion n'était pas simple et que l'on a dû l'ouvrir à des médecins libéraux parce que les médecins n'étaient pas assez nombreux. Comment rendre alors ces centres efficients ?

Enfin, permettez-moi de revenir à la question du maillage territorial et de l'ARS. Madame Bourden, vous rappeliez que l'accès aux soins est encore plus difficile pour les personnes handicapées. Que pensez-vous de la télémédecine ? Cela peut-il résoudre un certain nombre de problèmes, comme l'affirment les ARS ?

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Je souhaiterais revenir sur la nomadisation des patients. Madame Bourden, vous avez fait une proposition intéressante à ce sujet, pourriez-vous la développer ? Peut-être les autres intervenants voudront-ils aussi intervenir sur cette question.

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Mathieu Escot, responsable des études à l'Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir

Nous avons évoqué deux types d'aides : les aides de prise en charge des cotisations par l'assurance maladie et les aides spécifiques à l'installation.

Premièrement, pour nous, les aides doivent être résolument réorientées vers les médecins conventionnés en secteur 1. Ces médecins consentent un effort financier pour permettre un meilleur accès aux soins de la population. Si l'assurance maladie ou l'État réévaluent la rémunération des médecins – c'est au pouvoir public d'en décider –, pour nous, c'est à ces médecins-là qu'il faut donner cet argent, et non pas aux médecins conventionnés en secteur 2.

Deuxièmement, en ce qui concerne les aides spécifiques pour inciter les médecins à exercer dans des zones désertifiées ou sous-dotées, nous avons fait le bilan de deux dispositifs mis en place récemment, au début des années 2010. Les premières aides sont beaucoup plus anciennes, mais aucune n'a freiné le mouvement de désertification.

C'est pourquoi il nous semble qu'il faut avancer vers le conventionnement sélectif. Cependant, ce n'est pas parce que l'on introduit un peu de contrainte qu'il faut supprimer tout élément incitatif. En effet, les aides peuvent avoir une légitimité pour soutenir les médecins qui accepteraient de changer leurs pratiques, de donner de leur temps, voire même de s'installer dans les zones sous-dotées. Nous voulions simplement rappeler que les aides seules ne trouvent pas leur public, qu'elles sont mal conçues puisqu'elles créent des effets d'aubaine, qu'elles ne servent donc pas à grand-chose et gaspillent l'argent public. Cependant, si elles sont ciblées en direction du secteur 1 et des médecins qui acceptent d'aller dans des zones sous-dotées et si elles sont combinées avec des mesures plus fermes de conventionnement sélectif, elles sont légitimes.

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Daniel Bideau, vice-président et animateur de la commission santé de l'Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir

Il faut aussi mettre en place des procédures efficaces et publiques d'évaluation des mesures, car aujourd'hui, cette évaluation n'est pas transparente.

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Joseph Maatouk, secrétaire de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités

Il me semble que l'on sépare un peu trop le libéral et le public. C'est prendre le problème à l'envers : comme on l'a rappelé, l'essentiel est de savoir comment les gens sont soignés. Certes, l'efficacité est importante, mais je constate que les mesures d'évaluation ont toujours conduit à la fermeture de services, aussi je les considère avec quelque réserve.

Comme le disait M. Antony, nous proposons de restructurer les soins en s'appuyant à la fois sur l'exercice libéral et sur les services hospitaliers. Les hôpitaux de proximité constituent un soutien pour les médecins libéraux afin qu'ils répondent aux besoins des patients. Je viens d'Ardèche ; or, l'hôpital de notre secteur, à Aubenas, était en difficulté. On ne trouvait pas le moyen d'installer une maison médicale dans le centre-ville, en sus de celle qui existait depuis un certain temps, ce qui posait problème pour le remplacement d'un médecin parti à la retraite. C'est finalement l'hôpital qui a trouvé une solution à ce problème, en s'appuyant sur des structures départementales pour créer un vrai centre de santé. L'hôpital a délégué des médecins salariés pour l'ouvrir, et aujourd'hui, il fonctionne et il est efficace en termes d'accès aux soins.

Il est donc important de trouver les moyens adéquats et d'être inventifs. La télémédecine permet de résoudre des problèmes concrets de lecture d'examen, par exemple, mais je trouve surprenant de tant parler de télémédecine pour une population qui vieillit et qui peine à utiliser ces nouvelles technologies. En effet, il faut prendre en considération le fait que la télémédecine ne s'adresse pas à tout le monde. M. Raymond a évoqué l'accroissement du nombre de personnes qui souffrent de maladies chroniques ; or celles-ci touchent souvent les personnes âgées, aussi il faut faire attention à ce que des problèmes techniques ne leur rendent pas plus difficile l'accès à des soins.

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Aziza Féreuse, chargée de mission à l'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé France Assos Santé

Il est vrai qu'il est nécessaire de proposer des solutions concrètes, néanmoins il n'existe pas de solution unique. Ainsi, nous sommes tout à fait favorables aux centres de santé, mais ils ne peuvent constituer l'unique solution.

Nous devons donc réfléchir aussi à des solutions en ce qui concerne la médecine libérale, en tentant compte de l'évolution des jeunes médecins, qui sont de moins en moins nombreux à s'orienter vers celle-ci à la fin de leurs études. Il faut par exemple développer des passerelles entre différents cursus universitaires, adapter les stages et aider à l'installation des médecins qui exercent de manière libérale, de différentes manières et non pas seulement d'un point de vue financier.

L'évaluation des aides financières paraît effectivement indispensable, afin d'établir quelles sont celles qui peuvent avoir un impact dans la lutte contre la désertification médicale. Il faudra peut-être les cibler davantage afin de soutenir les médecins qui font l'effort d'être conventionnés en secteur 1, ou proposer des aides à effet immédiat, comme celles qui permettent de financer un secrétariat médical partagé, ou encore favoriser financièrement la coordination entre les médecins libéraux. Comme nous l'avons dit, la rémunération à l'acte a ses limites, cependant cela ne signifie pas qu'il faut la supprimer totalement. Toutefois, des indicateurs de qualité doivent être créés, notamment des indicateurs de la satisfaction des patients, qui évaluent la pertinence et la qualité des soins — tels sont les chantiers actuels. Il me semble qu'il faudra en tenir compte dans la rémunération, même dans celle des médecins libéraux. Cela permettra de valoriser la rémunération des médecins sur des objectifs pondérés éventuellement en prenant en considération les caractéristiques de la population. Il faudra ainsi prendre en compte les besoins spécifiques que rencontrent les populations dans certains territoires.

Ensuite, la télémédecine est un outil indispensable. Encore faut-il que cet outil soit adapté à tous, en particulier aux personnes en situation de handicap – il faut y penser dès le départ.

Enfin, il faudra aussi favoriser, malgré tout, le maintien à domicile. Il convient donc d'en tenir compte dans la formation des professionnels de santé, notamment dans celles des infirmiers et des auxiliaires de vie, qui sont en lien constant avec les personnes en situation de handicap. Il faut augmenter leurs compétences et réorganiser l'ensemble des soins de premier recours.

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Aude Bourden, conseillère nationale santé - médico-social de l'Association des paralysés de France (APF)-France Handicap

La question de la mobilité se pose à plusieurs niveaux. Tout d'abord, pour que les personnes se rendent chez les médecins, des transports accessibles sont nécessaires. C'est pourquoi je disais que la question des déserts médicaux impose de réfléchir à l'aménagement du territoire.

La pénurie de transports sanitaires adaptés constitue également une difficulté. En particulier, les véhicules sanitaires actuels ne permettent pas d'emporter un fauteuil roulant électrique, ce qui implique que les personnes handicapées restent sur un brancard toute la journée lorsqu'elles se rendent par exemple en hospitalisation de jour. Nous demandons donc que les flottes de transports sanitaires comportent obligatoirement des transports pour personnes à mobilité réduite (TPMR), ou qu'il soit possible de passer une convention avec des prestataires de transports adaptés pour qu'ils puissent assurer le transport sanitaire.

Enfin, ces transports sanitaires ne sont pas remboursés pour tous les soins. Ils sont remboursés pour les personnes qui souffrent d'une affection de longue durée (ALD), mais pas pour faire des soins bucco-dentaires ou une mammographie.

Il me semble en effet que la question de la nomadisation recouvre notamment les difficultés que peuvent rencontrer les patients pour se déplacer.

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Permettez-moi de m'expliquer davantage : par nomadisation, j'entends la situation des personnes qui ne trouvent pas de médecins traitants et qui vont d'un médecin à l'autre. Vous aviez une proposition impliquant à l'ARS à ce sujet.

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Aude Bourden, conseillère nationale santé - médico-social de l'Association des paralysés de France (APF)-France Handicap

Effectivement, dans le secteur du handicap, nous rencontrons cette difficulté, laquelle existe aussi pour la population dans son ensemble. En effet, certaines personnes ne sont pas accueillies dans des établissements ou des services médico-sociaux, de sorte qu'elles restent à domicile sans que personne ne s'occupe d'elles. Pour remédier à cette situation, nous avons décidé de sortir de nos logiques individuelles, selon lesquelles chacun prend en compte le budget et plus généralement la situation de son établissement, pour trouver une solution collective.

Nous avons ainsi mis en oeuvre la mission « Une réponse accompagnée pour tous », dont vous avez peut-être entendu parler, ainsi que des plans d'accompagnement globaux. Peut-être pourrions-nous mettre en place une solution de ce type pour les personnes qui peinent à trouver un médecin : réunir autour d'une table l'ensemble des acteurs concernés, comme par exemple les représentants du Conseil de l'Ordre, des centres de santé, les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), afin de trouver une solution concrète pour chacun. Aujourd'hui, ce sont les patients qui sont responsables de trouver un médecin. Il faut inverser la logique et considérer que c'est à l'autorité qui régule l'offre de soins sur un territoire que revient cette responsabilité.

Je réfléchis ici par analogie avec ce qui se fait pour le handicap dans le secteur médico-social et je suis sûre que l'on peut trouver des solutions. Ainsi, pour la personne dont je vous parlais tout à l'heure, qui, après avoir contacté 20 médecins, n'avait trouvé aucun médecin traitant, nous avons finalement trouvé une solution. Comment ? Au niveau local, notre association l'a accompagnée ; au niveau national, j'ai pu saisir le Conseil national de l'Ordre des médecins et la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) ; nous avons trouvé une solution ensemble. Il faut vraiment sortir des logiques individuelles pour promouvoir une responsabilité collective.

Enfin, la télémédecine peut permettre d'améliorer la qualité des parcours de soins. En revanche, cela ne peut pas être une solution globale au problème des déserts médicaux car il y a toujours besoin de consultations, et plus généralement de présence. En outre, il est important de poser le cadre éthique de l'utilisation de la télémédecine, en sus des cadres technique et financier. Il faut rendre la télémédecine accessible à tous et qu'elle intègre les pratiques avancées des professionnels de santé. Ainsi, les établissements et services médico-sociaux sont de plus en plus nombreux à faire usage de la télémédecine. Par exemple, en Occitanie, une infirmière passe une caméra dans la bouche des résidents d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et d'un établissement qui accueille des personnes polyhandicapées, ce qui permet de conduire une action de prévention. L'analyse des images a lieu au cabinet, et lorsqu'on constate une carie, on prend rendez-vous. Ainsi, on n'attend pas que la personne souffre parce qu'elle a des caries qui nécessitent des soins bucco-dentaires sous anesthésie générale à l'hôpital. La télémédecine ne se substitue donc pas à la relation humaine, qui est nécessaire et elle doit être accessible à tous.

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Je dois vous prier les uns et les autres d'être un peu plus concis dans vos réponses, sinon nous ne pourrons pas poser toutes les questions.

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Michel Antony, président fondateur de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités

Je souhaite apporter deux brefs éclaircissements. Tout d'abord, depuis quarante ans que j'anime un comité de défense des hôpitaux, je ne puis que constater que l'augmentation des déserts médicaux est évidente. Des analyses plus fines doivent être menées sur le territoire, car de nombreux documents, tels que des cartes, sont largement erronés. Par exemple, je suis intervenu à Châtillon-sur-Seine, en Côte-d'Or, qui est considéré comme l'un des départements les mieux dotés de la région ; mais en fait, hors du pourtour dijonnais, c'est le désert ! Il y a même des déserts médicaux au coeur de Paris ! Il faut y faire attention pour attribuer correctement les aides.

Ensuite, les statistiques sur le renoncement aux soins publiées par le Secours populaire français, l'Union confédérale CFDT des retraités ou divers organismes, montrent que 20 % à 30 % des gens n'achètent plus de prothèses, consultent moins ou même ne consultent plus du tout. On met souvent en avant le problème financier, qui est effectivement le motif principal de renoncement aux soins. Cependant, les analyses montrent que le problème de l'éloignement est de plus en plus souvent mentionné. En effet, la mobilité est difficile dans de nombreuses régions, lorsqu'il n'y a plus de transports publics et que des services hospitaliers ont été fermés. Dans notre secteur, par exemple, on prête des scooters aux jeunes pour qu'ils aillent en formation. Certaines régions cumulent donc les handicaps. Voici quelle est la vie de nombre de nos concitoyens aujourd'hui.

Il faudrait également analyser précisément ce que coûtent les regroupements hospitaliers et les restructurations opérées depuis une vingtaine d'années en termes de déplacement. Les chiffres de prise en charge des déplacements médicaux ont explosé partout ; il y a parfois eu des abus – je me souviens qu'André Grimaldi disait qu'un de ses patients venait en taxi depuis Orléans à sa consultation à Paris. On exclut généralement ces coûts lorsqu'on analyse les dépenses de santé, alors que les transports constituent une part importante du reste à charge.

En ce qui concerne le numerus clausus, vous avez rappelé, madame Trisse, que c'est en aval et non en amont que se pose le problème. Mais si on a restreint l'entrée à la faculté, on aura d'autant plus de problèmes en aval. En outre, ouvrir le numerus clausus n'exclut pas de repenser les stages.

Les aides actuelles ont montré leur inefficacité, comme tout le monde le dit. L'Ordre des médecins lui-même l'a affirmé sur son site, en expliquant que les « mesurettes » prises depuis dix ans ne portent pas leurs fruits et qu'elles doivent être attribuées de manière plus ciblée ; mais ils ont dû retirer ces déclarations sous la pression de leur base. Nous souhaiterions que les aides publiques permettent par exemple d'assister les médecins dans leur travail administratif, sans quoi celui-ci est financé par les associations ou les collectivités municipales.

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Votre proposition de changer de paradigme afin de passer d'une logique individuelle à une responsabilité collective me paraît vraiment intéressante. Lors de l'audition précédente, nous avons évoqué avec des infirmiers, des pédicures et des kinésithérapeutes la question des pratiques professionnelles avancées et les difficultés que nous rencontrons en France pour imaginer des professions médicales à compétences définies. J'aimerais avoir votre avis sur ce point. De telles pratiques peuvent-elles permettre de faire correspondre l'offre de soins aux besoins dans les déserts médicaux ?

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Je connais bien le dispositif « Une réponse accompagnée pour tous », pour l'avoir mis en place en Seine-Maritime dès sa création. Dans ce cadre, les partenaires qui sont autour de la table ont effectivement une obligation d'accueillir dans une structure un adulte ou un enfant pour lequel on n'a pas trouvé de solution jusqu'alors.

J'aimerais que vous précisiez votre proposition. Voulez-vous dupliquer ce système pour les personnes qui ne trouvent pas de médecin traitant ? Proposez-vous par conséquent d'exercer une incitation forte à accepter un patient ? Cela risque encore de remettre en cause la médecine libérale.

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Nous avons beaucoup parlé d'augmenter le numerus clausus ; je comprends cette proposition, à condition que l'on pose le problème de la capacité de formation. En effet, l'augmentation du numerus clausus ces dernières années a entraîné des problèmes en termes de qualité de formation. En outre, une augmentation du numerus clausus ne produit ses effets que dix à douze ans plus tard. Quelles sont vos propositions à plus court terme ? Cet enjeu est essentiel.

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Gérard Raymond, vice-président de l'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé France Assos Santé

Je commencerai par ce qui peut sembler être le plus facile : je répondrai à votre question sur les professionnels de santé autres que les médecins. Nous souhaitons bien sûr qu'ils aient davantage de compétences, à condition que ce soit dans le cadre d'un projet médical librement consenti et réfléchi avec l'ensemble des acteurs. Ainsi, les soins aux malades atteints de pathologies chroniques requièrent différents professionnels. La pratique avancée en soins infirmiers répond en partie à cette attente, mais elle doit être renforcée par une vraie coordination des soins. Par exemple, un podologue dont certains patients sont diabétiques doit avoir une connaissance de leur état de santé ; le pharmacien, qui est un expert du médicament, doit être capable d'accompagner les patients pour établir la posologie indiquée, de leur expliquer le traitement, et les infirmiers ou les kinésithérapeutes doivent eux aussi développer d'autres compétences. Pour ce type de pathologies, des professionnels paramédicaux tels que diététicienne ou coach sportif peuvent également être amenés à intervenir.

La médecine d'hier est révolue. Nous devons travailler de manière collective, mettre en oeuvre des programmes qui répondent aux attentes et aux besoins d'une population dans un territoire donné. Il faudra évaluer les programmes locaux construits avec les patients eux-mêmes et faire évoluer le statut des professionnels de manière pragmatique. Une décision venue d'en haut, contenue dans des textes réglementaires, ne marchera pas. Donnons l'initiative à l'intelligence collective qui est volontaire et créative.

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Des expérimentations sont possibles dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

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Gérard Raymond, vice-président de l'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé France Assos Santé

Il faut en effet que des expérimentations soient possibles sans passer par un texte de loi. L'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 permet de créer une dynamique territoriale. Les expérimentations de télémédecine pour l'amélioration des parcours en santé (ETAPES) permettent de suivre les pathologies avec d'autres acteurs que les professionnels de santé, tels que les prestataires de santé qui peuvent proposer un suivi. Il faut cependant encadrer ces pratiques, en établissant un cahier des charges bien précis et en les évaluant.

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Daniel Bideau, vice-président et animateur de la commission santé de l'Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir

Pour ma part, je pense que la télémédecine est un remarquable outil, mais qu'elle doit rester un appoint pour les professions médicales ou paramédicales. Ensuite, il faut se méfier des nombreuses applications qui voient le jour dans le domaine médical : on doit s'assurer qu'elles soient techniquement fiables et qu'elles rendent le service pour lequel on paye, car ces services ont toujours un coût.

Comme vous l'avez dit, la formation des médecins évolue, notamment avec les stages de médecine générale, ce qui est très positif. Cependant, nous devons chercher à comprendre pourquoi il y a une crise de la médecine libérale à l'issue de cette formation. Il y a quelque chose qui cloche en termes d'attractivité de la profession médicale. Il est donc nécessaire de trouver d'autres débouchés à cette formation et d'organiser différemment l'équipe médicale, paramédicale et sociale. En effet, l'équipe sociale, qu'on oublie souvent, est un complément indispensable, parce que c'est celle qui va permettre à des personnes en situation de précarité d'accéder à la médecine ou à la paramédecine.

Enfin, n'oublions pas le dossier médical partagé (DMP), dont j'aurais préféré qu'il soit nommé « dossier médical du patient ». Nous aimerions savoir où en est sa mise en oeuvre, qui devrait peut-être être accélérée, car nous pensons que le DMP peut améliorer la coordination des professionnels médicaux et paramédicaux.

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Aude Bourden, conseillère nationale santé - médico-social de l'Association des paralysés de France (APF)-France Handicap

Je souhaite préciser que l'obligation en ce qui concerne les établissements et services médico-sociaux (ESMS) est toute relative, car les décisions sont prises sous réserve que des places soient disponibles dans l'établissement concerné et qu'un financement soit possible. C'est précisément parce qu'existe une possibilité de refuser que certaines personnes se trouvent sans solution.

Je pense qu'il faut réfléchir à partir du dispositif « Une réponse accompagnée pour tous », sans nécessairement aller jusqu'à l'obligation. On peut trouver une solution si les différentes parties se réunissent autour d'une table en exposant leurs conditions. Par exemple, un médecin pourrait accepter de prendre en charge un patient à condition que celui-ci soit suivi aussi par un kinésithérapeute ou une infirmière avec laquelle il précise quelle surveillance est nécessaire. En effet, si une telle coordination est mise en place, le suivi demande sans doute moins de temps au médecin. Il faut donc chercher ensemble une solution commune, mais non obliger un médecin à prendre en charge un patient.

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Mathieu Escot, responsable des études à l'Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir

Pour pouvoir utiliser la télémédecine, il faut une connexion internet de qualité, voire de très haut débit. Or si vous observez quelles sont les zones sous-dotées sur le plan médical et celles où l'accès internet est mauvais, vous remarquerez une concordance inquiétante. Nous avons publié une étude sur ce sujet à la fin de l'année 2017 : près de la moitié de la population n'a pas accès au très haut débit et 5 millions de consommateurs, soit 11 % de la population, n'a pas accès au haut débit. Le plan « France très haut débit » et le plan « fibre » sont en retard. Cette situation empêche aujourd'hui d'avoir recours à la télémédecine.

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Vous savez que l'amélioration de la couverture en très haut débit est prévue. En 2020, il devrait être possible de se connecter partout sur le territoire français.

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Mathieu Escot, responsable des études à l'Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir

Mais le plan est en retard.

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Rosine Leverrier, vice-présidente de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités

Je souhaite répondre à M. Mesnier en ce qui concerne la difficulté à attirer les médecins à l'issue de leurs études. C'est peut-être assez difficile à entendre, mais on sera obligé de passer par une obligation de service de quelques années dans les zones sous-dotées. Le choix est simple : soit on laisse des populations entières sans accès au système de soins, soit on oblige les médecins à un service de trois ans à l'issue de leurs études. Cela ne signifie pas qu'on leur dit de se débrouiller seuls. Il faut au contraire que le secrétariat soit prévu – les médecins demandent en effet à être libérés de ces tâches-là – et que des réunions de concertation avec les collègues soient organisées. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous insistons sur les centres de santé, qui fourniraient ces services et qui peuvent être mis en place par les professionnels, les élus et l'ensemble de la population.

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Michel Antony, président fondateur de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités

Monsieur Mesnier, vous avez soulevé la question très difficile de la période précédant les effets de l'ouverture du numerus clausus. Actuellement, il faut faire feu de tout bois ! Ainsi, nous devons utiliser la télémédecine, sans en faire un outil de remplacement du médecin absent. En effet, vous savez bien que, malheureusement, ces propositions innovantes ont aussi pour but de pallier la pénurie de professionnels. Puis, à chaque fois que l'on constate cette pénurie, on explique que cette situation met en danger les patients et on en tire argument pour fermer un service. C'est donc un cercle vicieux.

Dans cette phase intermédiaire, on peut notamment multiplier les protocoles de déplacement des professionnels dans des territoires en difficulté. Pourquoi regroupe-t-on toujours dans des grands centres ? Telle est la politique que l'on mène depuis trente ans. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) vont encore aggraver cette tendance, car ils vont transformer les petits centres hospitaliers en annexes où l'on puisera la main-d'oeuvre nécessaire au fonctionnement des grands centres. Ce n'est pas acceptable en termes d'aménagement du territoire et de solidarité nationale. En revanche, il est possible de signer des conventions pour maintenir des services ouverts pendant deux ou trois jours chaque semaine, y compris en chirurgie. Ainsi, on a réussi à maintenir certains services en Bretagne ou à Saint-Affrique, en liaison étroite avec les CHU, qui acceptent dans certains cas de libérer pour un jour ou deux un professionnel. Or maintenir un service, c'est également maintenir tout ce qui va autour, à commencer par les autres services. Voici donc une solution intermédiaire.

Cependant, elle ne résoudra pas le débat de fond, qui porte sur un monde libéral qui n'a pas réussi à s'autoréguler et qui le fait de moins en moins. Nous devons dresser un constat d'échec – je ne le dis pas par plaisir, mais parce que c'est une réalité. Les jeunes n'en veulent plus. Si on n'institue pas une obligation sur une courte période, comme pour les fonctionnaires de l'Éducation nationale ou de la police, ou pour les cheminots, on laissera de plus en plus de territoires en déshérence. Le processus actuel est absolument désastreux : la qualité des soins dans les régions diminue, tandis que les centres sont surchargés et ne peuvent plus faire accueillir les 21 millions de personnes qui se présentent aux urgences chaque année. Vous savez bien que quand on ferme des urgences dans des hôpitaux de proximité, cela aggrave les problèmes des grands centres.

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La discussion de ce matin n'est pas un débat politique. Nous devons nous concentrer sur la dimension collégiale de notre travail.

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Je tiens à vous remercier une fois de plus d'être venus nous rencontrer. Il me semble que vous avez eu le temps de vous exprimer ; je ne voudrais surtout pas que certains d'entre vous se sentent frustrés, aussi n'hésitez pas à apporter des éléments complémentaires, à condition de les exposer de la manière la plus succincte possible.

De nombreux points sont communs aux différentes interventions. Il faut prendre des mesures d'urgence, des mesures à moyen terme et des mesures à long terme. Thomas Mesnier a raison de rappeler qu'ouvrir le numerus clausus ne résoudra pas le problème à court terme. Nous devons avoir une vision globale, contrairement à celles qu'ont eues nos prédécesseurs depuis si longtemps.

Sans entrer dans un débat politique, monsieur Antony, vous accorderez que les pays où la santé est uniquement dans les mains de l'État sont souvent dans une situation catastrophique.

Nous avons un combat en partage : la défense de la maternité de l'hôpital de Châteaudun qui sera fermée ce soir. Si l'on avait dû faire confiance aux GHT, on n'en serait pas là. Les GHT sont organisés par les ARS et par des directeurs d'hôpitaux qui sont des fonctionnaires. Nous constatons que cela ne fonctionne pas.

Comme plusieurs d'entre vous l'ont dit, il faudra que public et privé travaillent ensemble, sachant que, dans le cas de la santé, le privé est une délégation de service public, comme en atteste le remboursement par la sécurité sociale. Ce n'est pas n'importe quoi ! Étant biologiste, j'appartiens à la seule profession de santé qui soit accréditée. Monsieur Antony, je vous invite à venir passer une journée dans un laboratoire accrédité et je suis sûr que vous repartirez avec une vision différente. Ce sera une surcharge administrative insupportable qui va décourager plus encore les jeunes médecins. Pourtant, je n'affirme pas qu'il ne faut pas le faire, mais il faut prendre la mesure des difficultés.

Ensuite, nous avons besoin de vous, notamment de l'UFC, pour interpeller les patients à propos de la surconsommation médicale, en particulier en ce qui concerne les antibiothérapies ou l'usage d'Internet qui conduit les patients à dire à leur médecin : « J'ai vu qu'il fallait faire une IRM, sinon on ne peut pas établir le diagnostic. » On ne dit pas au plombier comment il doit procéder quand on n'est pas du métier. Je me permets une certaine liberté de ton pour rappeler cette responsabilité collective…

Monsieur Antony, je suis attaché à cette notion d'efficience, de qualité de soins. L'accès aux soins pour tous est inscrit dans le Préambule de la Constitution de 1946 ; c'est l'un des ciments de notre démocratie.

Il me semble que nous sommes tous d'accord à propos de la télémédecine. Tout d'abord, un dispositif technique qui assure non pas 30 mégaoctets, mais au moins un gigabit pour tous les habitants est nécessaire. Il est vrai que nous sommes en retard – en le reconnaissant, je n'instruis pas un procès à ce gouvernement. Pour l'avoir vécu au quotidien depuis des années, je sais que tant qu'on n'atteint pas ce niveau d'un gigaoctet, on n'a pas une bonne résolution d'image, ce qui pose évidemment problème pour l'analyse des examens. En outre, il est nécessaire que les actes de télémédecine soient nomenclaturés, ce qui implique qu'on ne pourra pas tout faire. De nombreuses questions restent posées : où installer le centre de télémédecine ? Dans une pharmacie, dans une mairie ? Qui paye ? Qui fait l'acte ? Comment est-il rémunéré ? Avec quelle nomenclature ? Les images de radiologie sont interprétées actuellement par des médecins à Lyon ou à Bordeaux pour 11,83 euros. Je vous laisse imaginer qu'ils regardent cela avec la plus grande des précisions.

On nous avait dit que le tiers payant généralisé serait l'alpha et l'oméga, mais il n'est pratiqué que pour 20 % des actes, sauf en ce qui concerne les affections de longue durée – ce sont les chiffres de l'assurance maladie elle-même. Ainsi, la panacée n'existe pas, contrairement à ce que l'on peut croire.

Je voudrais vous demander de nous adresser un petit exercice complémentaire à propos des solutions à court terme. Nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il n'existe pas une mesure miracle. Mes collègues et moi sommes très désireux de nous faire les interprètes de vos propositions sur le court terme pour aider les pouvoirs publics et en particulier la ministre de la santé à trouver comment enrayer la désertification. Nous vous serions donc reconnaissants de nous indiquer dans un document concis quatre ou cinq mesures qui vous semblent particulièrement efficaces. Nous essaierons de voir comment les articuler avec d'autres dispositions auxquelles nous aurons pensé en dialoguant avec nos différents interlocuteurs. Je crois que nous n'échapperons pas, à court terme, à une sorte de plan Marshall de la santé.

Par ailleurs, nous travaillons à la réorganisation des études. Avec Thomas Mesnier à qui a été confiée une mission importante sur l'accès aux soins, nous avons rencontré un président de la conférence des doyens extrêmement ouvert, ce qui n'était pas une caractéristique de ses prédécesseurs. Le président du Conseil national de l'Ordre a tenu récemment des propos extrêmement courageux et forts dans une double page du Journal du dimanche. Alexandre Freschi et moi-même avons demandé à le revoir. Il nous avait envoyé ses collègues membres du Bureau, mais nous n'avions pas été totalement convaincus — pour m'exprimer selon les usages parlementaires — par leur contribution.

Nous sommes entièrement d'accord pour affirmer que l'aménagement du territoire et l'accès aux soins sont intimement liés. Sachez donc que nous irons au bout de l'exercice. Nous avons besoin de vous, du travail de sensibilisation que vous faites auprès des populations. Continuez ce travail, mesdames et messieurs. Il ne faut pas laisser s'accroître la rupture dans notre pays ; on l'observe dans de nombreux domaines, mais elle est plus intolérable encore dans le domaine de la santé.

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Il me semble que c'est une bonne conclusion. Mesdames et messieurs, nous vous remercions et nous restons ouverts à vos propositions.

L'audition se termine à douze heures vingt.

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Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 17 mai 2018 à 10 h 30

Présents. – Mme Gisèle Biémouret, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Marc Delatte, Mme Jacqueline Dubois, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Alexandre Freschi, M. Christophe Lejeune, M. Thomas Mesnier, Mme Monica Michel, M. Bernard Perrut, Mme Mireille Robert, M. Vincent Rolland, M. Stéphane Testé, Mme Nicole Trisse, M. Philippe Vigier

Excusée. - Mme Stéphanie Rist