Intervention de Michel Antony

Réunion du jeudi 17 mai 2018 à 10h30
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Michel Antony, président fondateur de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités :

Je suis enchanté d'être parmi vous aujourd'hui. Je me souviens d'avoir participé à une réunion dans ces mêmes locaux avec une trentaine de nos collectifs voici une dizaine d'années, à l'initiative de Christian Paul.

La Coordination nationale que je représente est une association d'usagers, même si ce n'est pas une association de patients. En effet, les usagers citoyens représentent autant les patients que les professionnels de santé ou les élus locaux. Nos analyses bénéficient de ces approches diverses et complémentaires.

Depuis 30 ans environ, on constate une désertification médicale. En particulier, nous nous sommes beaucoup appuyés sur le Livre blanc de l'Association des petites villes de France (APVF), publié pour la première fois en 1999, dans lequel cette association poussait un cri d'alarme extraordinairement fort et proposait une remise en cause de la liberté d'installation. Selon nous, cela constitue un des axes incontournables pour avancer sur la question de l'accès aux soins. Un constat s'impose avec évidence : on ne pourra pas avancer sans service public et sans politique globale d'aménagement du territoire. En effet, les différents services sont imbriqués : quand on affaiblit une maternité, un hôpital, une gare ou d'autres secteurs du service public, on contribue à désorganiser totalement les régions qui font le ciment de la société française. Telle est la vision que nous défendons. Nous avons plusieurs propositions à avancer pour inverser cette tendance.

Premièrement, il faut absolument arrêter toutes les destructions de services et les fermetures de lits dans les structures hospitalières. Quand on affaiblit un site hospitalier territorial de proximité (SHTP), on désertifie l'ensemble du secteur. En effet, tout le secteur médical et para-médical, et en particulier les généralistes libéraux qui s'appuient sur ces structures hospitalières, se sentent à leur tour démunis, en surcharge, et par conséquent n'ont plus la volonté ou la vocation de venir dans ces territoires. Il faut donc arrêter de détruire et de fermer les urgences de nuit ou les maternités. Comme on a fermé les deux tiers des maternités en France, les femmes doivent faire des distances de plus en plus grandes, ce qui entraîne déjà des problèmes, dont certains mettent en danger leur vie, problèmes qui s'accroîtront à l'avenir. Ainsi, en Bourgogne-Franche-Comté, la région où je vis, on va fermer les urgences de nuit dans six structures hospitalières. Certes, les flux ne sont pas suffisants, mais ce n'est pas un argument recevable en matière de santé de proximité, car ces services sont indispensables pour garantir les droits des habitants de ces territoires en termes d'accessibilité et de prise en charge. Il faut donc mettre en oeuvre un moratoire sur les fermetures de services. Conservons les structures sanitaires de proximité pour donner à nos régions l'ossature dont elles ont besoin.

Deuxièmement, autour de ces sites hospitaliers territoriaux de proximité, nous demandons de développer de manière prioritaire les centres de santé. C'est un non-sens de se focaliser exclusivement sur les maisons de santé. En effet, il s'agit de groupements privés de professionnels, alors que les centres de santé peuvent être assimilés à des institutions publiques. En tant que représentants politiques, vous devriez souligner la différence, car une confusion extraordinaire règne aussi bien dans les médias que parmi les responsables politiques.

Pourquoi défendre les centres de santé ? D'une part, ils reposent sur le salariat, auquel aspirent de plus en plus les médecins en formation, comme en témoignent les deux tiers des promotions des cinq ou six dernières années. Si on ne prend pas en compte ce nouveau paradigme médical, on passera à côté des changements. D'autre part, les centres de santé, comme l'ont dit nos amis de l'UFC-Que Choisir, vont contribuer à supprimer le tiers payant et à rétablir une démocratie médicale de proximité. En effet, les usagers sont représentés de plein droit dans les centres, qu'ils soient municipaux, coopératifs, mutualistes ou associatifs : ils agissent avec les professionnels pour le bien de l'ensemble de la population d'un territoire. Toutefois, ces centres de santé ne doivent pas être des coquilles vides. Le problème qui se pose est similaire à celui des aides qui bénéficient en pratique aux médecins qui sont déjà en place ; c'est un scandale, car on gaspille l'argent public sans parvenir à inverser la tendance à la désertification médicale.

Troisièmement, il faut augmenter le nombre de médecins. Ce troisième axe repose sur deux mesures. Il faut d'abord faire exploser le numerus clausus. On nous dit qu'il a connu une énorme augmentation ces dernières années, mais on oublie toujours de dire que l'on a ainsi atteint le même niveau – 8 000 places – que dans les années 1970, quand il a été créé. Or la population française compte 15 millions de personnes supplémentaires, elle vieillit, et les moeurs médicales sont différentes. Ainsi, dire que le numerus clausus a augmenté, c'est se moquer du monde ! En tant que représentants politiques, vous devez dire que c'est un mensonge éhonté. Je n'ai pas de consignes ni d'ordres à vous donner, mais il faut vous souvenir que le citoyen de base est toujours excédé quand le débat est faussé. Si on ne fait pas exploser le numerus clausus, on va contribuer à maintenir cette densité de plus en plus basse du nombre de médecins pour mille habitants. Le calcul est simple à faire, quand on sait que le niveau du numerus clausus est le même mais que la population a augmenté de 15 millions.

En outre, il faut évidemment accorder des moyens aux institutions de formation pour assumer cette charge nouvelle, sans quoi on assistera à la situation qu'évoquait le doyen de l'université de Rennes lorsqu'il menaçait de fermer la formation s'il y avait trop de candidats ! Surtout, il faut augmenter le nombre de centres de formation où les étudiants effectuent leurs stages, notamment chez les généralistes les plus éloignés ou dans les petits centres, de manière à montrer que l'on peut vivre et exercer très bien, dans d'autres lieux que les centres hospitaliers universitaires (CHU).

Quatrièmement, les mesurettes proposées depuis quinze ans sont très insuffisantes pour attirer les médecins. Elles ne sont pas à la hauteur de la crise, et constituent seulement des avantages financiers, techniques ou associatifs. Aujourd'hui, toutes les collectivités locales sont en concurrence pour attirer le médecin qui leur manque. Cette concurrence va parfois jusqu'à l'indécence : certaines collectivités offrent même des places pour le théâtre ou l'opéra local, pour signifier aux médecins qu'ils ne vont pas s'installer dans un territoire reculé, perdu. C'est une honte en termes de service public et d'aménagement du territoire ! Il ne faut pas aller dans ce sens-là. Les droits doivent être les mêmes partout.

C'est pourquoi nous pensons qu'il faut en finir avec la liberté d'installation. Tant qu'on ne la remettra pas en cause, on pourra proposer des mesurettes, des aides financières, mais les médecins ne viendront pas dans certaines zones. Permettez-moi de prendre de nouveau l'exemple de ma région. Le docteur Laine est extrêmement connu au niveau national car c'est le roi du Bon Coin : il a mis en vente son officine, son logement et ses services gratuitement sur ce site, afin que ses patients ne soient pas abandonnés, car c'est un médecin libéral qui croit à la qualité de la santé. Néanmoins, depuis un an et demi que son cabinet est sur le Bon Coin, il n'a pas trouvé de remplaçant. Un tel exemple montre que si on ne remet pas en cause la liberté d'installation, nous ferons les mêmes constats dans dix ans, ou plutôt nous observerons que la situation s'est aggravée.

Il ne s'agit pas de mettre une baïonnette dans le dos des médecins ! Nous reprenons la proposition faite par l'Association des petites villes de France en 1999 dans le Livre blanc que j'ai cité, qui consiste en un service civil de trois à cinq ans. En effet, si on pouvait, pendant trois ans, installer des jeunes médecins dans un centre de santé créé en accord avec les centres hospitaliers territoriaux, afin qu'ils se rendent compte des réalités locales et qu'ils exercent la médecine, on rétablirait peut-être une médecine territoriale égalitaire et solidaire sur notre territoire.

Nous aurons peut-être l'occasion d'évoquer nos autres propositions, mais je vous ai présenté les principales : ne pas continuer à détruire les services de proximité, ouvrir le plus possible des centres de santé, élargir le numerus clausus et remettre en cause partiellement la liberté d'installation. Bien entendu, tout cela doit se faire en concertation avec les professionnels pour que cela se passe dans les meilleures conditions pour eux.

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