Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du mardi 29 mai 2018 à 9h45
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Muriel Pénicaud, ministre du Travail :

Je vous remercie de m'accueillir au sein de votre Délégation, pour échanger sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, que j'ai l'honneur de porter au nom du Gouvernement, et plus particulièrement sur le sujet de l'égalité entre les hommes et les femmes, en faveur duquel vous êtes, comme moi, très engagés.

Ce projet constitue l'acte II de la rénovation de notre modèle social après la loi sur le renforcement du dialogue social. Il se compose de soixante-six articles, dont nous commencerons l'examen cet après-midi en commission des affaires sociales, et qui sont répartis en trois titres, qui couvrent six domaines : le titre I concerne l'apprentissage et la formation professionnelle ; le titre II, l'assurance chômage ; le titre III, l'égalité salariale, le harcèlement, l'inclusion des travailleurs handicapés, le travail détaché, ainsi qu'une mesure sur la fonction publique.

Ces trois titres obéissent à trois grandes lignes directrices : créer de nouveaux droits pour les actifs tout au long de la vie ; permettre une croissance inclusive en rétablissant l'égalité des chances – il n'y a pas d'égalité des chances quand votre salaire est inférieur à celui d'un homme ou que vous craignez le harcèlement ; lever les verrous administratifs, réglementaires, et financiers qui s'opposent à l'égalité des chances.

Concernant ce dernier point, il s'agit, plus fondamentalement, d'amorcer un changement de culture et de faire évoluer l'opinion. Cela fait quarante-cinq ans en effet que vos prédécesseurs ont voté une loi imposant l'égalité salariale entre les femmes et les hommes à travail égal. Or je ne connais pas d'autres exemples de loi qui soit aussi peu appliquée. Notre responsabilité va donc bien au-delà du travail législatif, elle consiste à mener bataille dans l'opinion. Et il me semble que c'est le bon moment pour cela et que la société est prête à voir changer les comportements.

Comme vous le savez, ce projet de loi a été adopté en conseil des ministres le 27 avril, et vous en débattrez en séance publique à partir du 11 juin. J'apprécie donc tout particulièrement d'avoir ce temps d'échange avec vous en amont car je suis convaincue que ce texte va permettre d'installer des leviers majeurs pour faire avancer l'égalité des chances, et en particulier l'égalité entre les femmes et les hommes.

On ne peut se résigner à ce que les femmes soient davantage touchées par le chômage de masse, qu'elles représentent deux tiers des travailleurs pauvres, 80 % des temps partiels et qu'elles n'aient pas, de fait, un égal accès à certains métiers, ni à la même progression de carrière que les hommes.

En effet, 42 % des cadres sont des femmes, mais seulement 17 % d'entre elles occupent des postes de direction et elles ne sont que 10 % dans les postes de direction exécutive. Elles gagnent 9 % de moins que les hommes à poste de valeur égale, et, tous postes confondus, ce différentiel monte à 25 %, ce qui conduit à des écarts de montant de retraite de l'ordre de 37 %, car les inégalités sont cumulatives et ne font que s'amplifier, de façon plus forte encore après un congé de maternité.

Face à un tel constat, notre but commun est de faire en sorte que nos concitoyennes bénéficient de la même égalité des chances et donc de la même liberté de choisir de leur avenir professionnel.

On ne peut que se réjouir, à ce titre, que le projet de loi inclue également des dispositions visant à prévenir les violences sexuelles et les comportements sexistes au travail car, inacceptables en tant que tels, ce sont également des circonstances aggravantes dans les difficultés qu'ont les femmes à mener leur carrière professionnelles.

Je vous remercie par ailleurs des travaux que vous avez effectués en amont de cette audition, en particulier ceux du rapporteur, M. Pierre Cabaré, mais également ceux menés en ce moment par Mme Céline Calvez et M. Stéphane Viry sur les métiers scientifiques et techniques, alors que l'on sait qu'il y a dans les start-up, où se créent pour une large part les emplois de demain, 90 % d'hommes et 10 % de femmes. J'ajoute que les lycéennes sont plus nombreuses à passer un bac S que les garçons, mais qu'elles s'engagent majoritairement vers des carrières comme la médecine ou la magistrature. Cela atteste bien qu'elles ont encore une représentation sexuée des études supérieures, ce que conforte le fait que, lorsqu'elles s'engagent dans des études supérieures scientifiques, c'est le plus souvent en biologie, quasiment jamais dans l'informatique ou le numérique qui sont les secteurs d'avenir.

Je n'oublie pas non plus votre engagement, Madame la présidente, puisque vous êtes en charge d'une mission gouvernementale sur le congé maternité. Bref, je sais que nous partageons la même volonté de faire bouger les lignes dans ce domaine.

En cela nous sommes portés par l'écho que rencontre actuellement dans le monde entier le mouvement de libération de la parole des femmes.

Dans ce contexte, il me semble que l'inégalité salariale ne peut qu'être combattue, et je n'imagine personne nous dire qu'il est dans l'ordre des choses que les femmes soient payées moins que les hommes, ce qui est déjà un progrès par rapport à dix ans en arrière où l'on entendait encore parler de « salaire d'appoint ». Tout cela pour dire qu'il est de la responsabilité conjointe du Gouvernement et du Parlement de profiter de ce moment et d'amplifier ce mouvement.

Ce projet de loi répond à un double engagement du Président de la République : d'une part, celui de faire de l'égalité entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat ; d'autre part, celui de rénover profondément notre modèle social.

Nous avons évidemment travaillé en lien étroit avec Marlène Schiappa, la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, avec qui nous avons mené les concertations sur ce sujet, qui rejoint celui du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes qu'elle a par ailleurs défendu devant vous.

Pour mettre en oeuvre ces engagements présidentiels intrinsèquement liés, nous agissons avec pragmatisme, au travers de transformations systémiques, profondes et cohérentes. C'est cette démarche qui a présidée à l'élaboration de ce projet de loi, et tout particulièrement du chapitre 4 du titre III, dont l'objectif est à la fois de favoriser l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment sur le plan des rémunérations, et de lutter contre les violences sexuelles et sexistes au travail.

J'ai ainsi demandé en novembre dernier aux partenaires sociaux de me faire des propositions sur ce sujet, élargi en janvier à tous les thèmes relatifs à l'égalité professionnelle. Cette première phase s'est achevée sur la réunion du 7 mars, présidée par le Premier ministre et à laquelle ils étaient conviés ainsi que Marlène Schiappa.

Nous avons proposé quinze pistes d'action, dix en faveur de l'égalité salariale et cinq pour lutter contre le harcèlement sexuel et sexiste au travail. Sur cette base, nous avons mené une concertation multilatérale avec les organisations syndicales et patronales.

Enfin, le 9 mai, lors d'une réunion conclusive, nous avons, avec Marlène Schiappa, présenté le plan d'action global en faveur de l'égalité professionnelle issu de cette concertation.

Les mesures législatives nécessaires à la mise en oeuvre de ce plan vous sont ainsi soumises dans le cadre du présent projet de loi. Plusieurs amendements du Gouvernement – sept ont été déposés en commission – viendront compléter les dispositions prévues aux articles 61 et 62, suite aux concertations que nous avons menées. Ils rejoignent un bon nombre des recommandations du rapporteur.

Sur le volet « lutte contre les violences sexistes et sexuelles », outre l'article 62 qui prévoit l'obligation pour l'employeur d'afficher les voies de recours civiles et pénales ouvertes en matière de harcèlement sexuel ainsi que les coordonnées des services compétents, nous avons déposé un amendement instaurant des référents pour les employeurs et pour les salariés, puis des amendements sur le rôle des branches et des commissions paritaires régionales interprofessionnelles.

Concernant l'égalité salariale, nous devons changer d'approche et passer d'une obligation de moyens à une obligation de résultat sur les écarts de salaire à travail de valeur égale. Aujourd'hui, en effet, en cas d'écart salarial constaté, la seule obligation d'une entreprise est soit de passer un accord avec les organisations syndicales, soit de développer un plan d'action, la nature de l'un comme de l'autre restant à sa libre appréciation et sans obligation de résultat.

Nous sommes donc résolus à imposer une obligation de résultat pour toutes les entreprises de plus de cinquante salariés – en deçà, les salariés ne sont pas nécessairement assez nombreux pour se trouver affectés à des postes identiques et, par ailleurs, les écarts de salaire sont en général moindres.

Cette obligation de résultat doit s'apprécier selon une méthode unique, afin que l'on puisse s'accorder sur les chiffres de départ et leur correction. Nous sommes encore en discussion avec les partenaires sociaux pour arrêter la bonne méthode et j'ai par ailleurs confié une mission à la DRH France de Schneider Electric, Mme Sylvie Leyre, qui explore les pistes techniques possibles permettant que cette obligation de résultat soit à la fois simple et opposable.

Nous instaurons également une obligation de transparence sur les écarts à travail de valeur égale – ce qui correspond aux 9 % que je vous citais tout à l'heure – et sur les écarts bruts – soit les 25 % que l'on constate aujourd'hui à l'échelle nationale sur l'ensemble des carrières. J'attends beaucoup de cette mesure compte tenu de l'enjeu pour les entreprises en termes de réputation et d'attractivité, auprès des jeunes générations en particulier.

La loi obligera enfin l'entreprise à consacrer une enveloppe au rattrapage salarial en cas d'écart constaté pour parvenir à le résorber dans un délai de trois ans. Si nous avons opté pour ce délai, c'est que les entreprises qui ont réussi à réduire les écarts salariaux l'ont fait en planifiant les réductions sur deux ou trois ans, car il est impossible, en termes de masse salariale, de faire le saut d'un seul coup, ce qui aboutit à reporter sans cesse les mesures de rattrapage. D'où notre décision de n'appliquer les éventuelles sanctions qu'à partir de 2022.

Nous avons également déposé un amendement demandant que chaque branche produise annuellement un rapport sur les actions menées en faveur de l'égalité professionnelle. Il s'agit d'une demande des partenaires sociaux qui ont reconnu, tant du côté des instances patronales que salariales, que ce sujet était loin d'être prioritaire dans toutes les branches. Ils ont donc fait énormément de propositions en ce sens, témoignant de leur volonté et de leur mobilisation, et nos échanges ont été fructueux.

Nous avons enfin déposé un amendement sur les instances de gouvernance en matière de mixité dans les comités exécutifs et de délibération sur les résultats en matière d'égalité salariale pour toutes les sociétés cotées. Depuis la loi Copé-Zimmermann, il y a aujourd'hui entre 40 et 43 % de femmes dans le conseil d'administration des entreprises du CAC 40 – j'observe au passage qu'il s'agit d'une réforme mise en oeuvre progressivement et qui a fonctionné –, et ces dernières auront désormais l'obligation de délibérer sur les avancées de l'égalité salariale et les progressions de carrière. Là encore, nous pensons que le regard des instances de gouvernance permettra, au même titre que la transparence, de faire progresser les choses.

Par ailleurs, cela ne relève pas du projet de loi mais il est important que vous sachiez que nous allons multiplier par quatre les contrôles et les interventions de l'inspection du travail sur l'égalité salariale, pour passer de 1 730 – soit moins d'un contrôle par inspecteur – à 7 000 contrôles par an sur le seul sujet de l'égalité professionnelle et salariale.

Nous allons également développer des guides, sur le modèle des guides de la laïcité applicable aux entreprises, à l'attention des entreprises, des branches et des commissions paritaires régionales interprofessionnelles. Cela sera particulièrement utile en matière de harcèlement, car, souvent, bien qu'il y ait des témoins et que les faits soient quasiment avérés, c'est la victime qui perd son travail ou se retrouve mutée. En effet, il est compliqué pour un employeur de pénaliser un harceleur en le licenciant, car celui-ci peut aller aux prud'hommes et gagner puisque aucune sanction pénale n'a été prononcée, celle-ci survenant beaucoup plus tard. Il faut donc aider les employeurs qui, de bonne foi, voudraient agir ainsi que les organisations syndicales.

Nous favoriserons aussi un meilleur équilibre des temps en valorisant les bonnes pratiques et en examinant les modalités de prise des droits à congés maternité, paternité et parental sur la base des travaux d'expertise en cours. Nous devons mener une réflexion globale, de manière à favoriser le partage des tâches domestiques et familiales entre l'homme et la femme, tout en laissant la liberté à chaque couple de s'organiser comme il l'entend et sans que cela contribue à éloigner les femmes du marché du travail.

Enfin, au niveau européen, le conseil des ministres du travail examinera le projet de directive sur l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants, que je soutiendrai au nom de la France.

Mais au-delà de ces mesures spécifiques, c'est de transformations globales dont nous avons besoin. Sans revenir sur les compétences ou sur l'apprentissage, j'insiste sur le fait que nous devons aborder ces problématiques de manière transversale.

Je voudrais ici mettre tout particulièrement en exergue une mesure qui n'est pas spécifiquement destinée aux femmes mais tient compte de leur situation particulière : il s'agit du compte personnel de formation, pour lesquels les droits – 500 euros par an, ou de 5 000 à 8 000 euros pour les moins qualifiés – s'acquièrent au prorata temporis.

Or, sachant que 80 % des personnes qui travaillent à temps partiel sont des femmes et parce qu'un tiers des femmes travaillent à temps partiel, nous avons proposé dans le projet de loi que les droits à la formation soient les mêmes à mi-temps et à temps plein, pour éviter que les femmes, qui travaillent davantage que les hommes à temps partiel, dans des emplois moins rémunérés et moins valorisés, ne tombent dans les trappes à bas salaires et voient leurs carrières pénalisées par un moindre droit à la formation.

Dans le même esprit, nous devrons veiller à féminiser l'apprentissage qui n'accueille qu'un tiers de filles alors que c'est une voie d'excellence et de réussite, puisque sept apprentis sur dix ont été embauchés en CDI sept mois après la fin de leur apprentissage et qu'un sur quatre a créé sa propre entreprise.

Je compte donc sur notre vigilance collective pour que nous abordions chaque mesure du texte dans la perspective de ce qu'elle peut apporter aux femmes.

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