La séance est ouverte à 9 heures 50.
Présidence de Mme Marie-Pierre Rixain, présidente.
La Délégation procède à l'audition de Mme Muriel Pénicaud, ministre du Travail, sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel (M. Pierre Cabaré, rapporteur
Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui Mme Muriel Pénicaud, ministre du Travail, sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
Madame la ministre, merci d'avoir répondu favorablement à notre invitation, malgré un emploi du temps que je sais particulièrement chargé.
Nous avons adopté, la semaine dernière, le rapport de notre collègue Pierre Cabaré sur le projet. À cette occasion, il a pu insister sur les avancées que contient le texte en matière d'égalité entre les femmes et les hommes.
Le projet de loi que vous portez, madame la ministre, se singularise vis-à-vis des précédents. En effet, il ne s'agit plus de proclamer uniquement de grands principes, mais de parvenir à des résultats concrets afin d'endiguer les inégalités qui ont résisté à vingt ans de conquêtes sociales, de politiques publiques et de textes législatifs. Des inégalités qui supposent de trouver de nouveaux chemins de conquête pour que le droit s'applique enfin.
Dans cet esprit, la Délégation aux droits des femmes salue les dispositifs qui se retrouvent dans le véhicule législatif dont nous nous apprêtons à discuter. Si la Délégation a souhaité se saisir du texte, c'est qu'il nous revient, collectivement, de porter le désir légitime d'autonomie et de liberté des femmes. La roue de l'émancipation ne doit pas les conduire sur le chemin de la paupérisation, et c'est donc bien la puissance publique qui se doit d'organiser les conditions d'une égalité réelle entre les femmes et les hommes.
Pour cela, il convient de revoir toutes les composantes du marché de l'emploi – éducation, orientation, formation, management, conditions salariales – au travers d'un prisme sexué : comment l'histoire est-elle enseignée ? Pourquoi certaines filières scientifiques sont-elles désertées par les jeunes filles ? Y a-t-il une offre de formation à même de rééquilibrer les compétences ? Comment faire progresser la part des femmes dans les instances exécutives ? Comment prévenir la précarité au travail chez les femmes ? Autant de questions qui nécessitent une réflexion globale, comme le propose le projet de loi que vous défendez, car elles supposent de s'attaquer aux inégalités psychologiques, sociales et économiques qui subsistent entre les femmes et les hommes.
La lutte contre les inégalités professionnelles se situe également au sein de la vie privée et du couple. La progression du temps professionnel des femmes ne pourra se faire que lorsque les hommes s'empareront de leurs responsabilités domestiques. Dans ce domaine, il ne revient pas à la puissance publique d'imposer quoi que ce soit, mais bien de changer les mentalités, et ce dès le plus jeune âge. Cela étant, l'action publique peut contribuer à un nouvel équilibre, en s'appuyant, par exemple, sur des politiques d'accueil des enfants ou d'aménagement des congés parentaux.
Par ailleurs, ce principe fondamental de justice relève également du bon sens économique. Le creusement des inégalités, dont participent l'appauvrissement d'une partie de la population féminine et le délitement du lien social, est un facteur majeur de crise économique et sociale. La discrimination salariale et professionnelle est humiliante, décourageante, insupportable, anachronique et contre-productive.
Dans un pays où les femmes se voient garantir les mêmes droits que les hommes, comment l'action publique entend-elle enrayer des inégalités qui, souvent, sont déjà illégales et punies par la justice ? Plus largement, comment entend-elle purger notre société des vestiges d'une domination patriarcale ancestrale ?
Madame la ministre, tout comme vient de le faire la présidente, je vous remercie vivement d'avoir répondu favorablement à notre invitation. La Délégation tenait à vous entendre sur cette thématique car l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes est un sujet extrêmement important, qui méritait d'être approfondi au cours d'une audition spécifique.
Aujourd'hui encore, les femmes subissent de trop nombreuses inégalités professionnelles, qui ne sont pas acceptables : discriminations à l'embauche, ségrégation des métiers, inégalités de salaire, plafond de verre... autant de problématiques que les femmes affrontent au quotidien au cours de leur vie professionnelle.
Je me réjouis qu'aujourd'hui deux de ces problématiques soient abordées de front par le projet de loi : d'une part, l'inégalité salariale et, d'autre part, le harcèlement sexuel.
Je tiens à saluer l'engagement fort du Gouvernement pour lutter contre ces situations qui, je le répète, ne sont absolument pas acceptables.
Par ailleurs, comme je l'ai dit dans mon rapport, que nous avons adopté à l'unanimité la semaine dernière, il me semble que l'ensemble des dispositions du projet de loi, qu'elles portent sur la formation, sur l'indemnisation du chômage ou sur la situation d'emploi, doivent faire l'objet d'une attention particulière du point de vue de l'égalité professionnelle.
Je considère en effet que la question de l'égalité entre les femmes et les hommes est par essence transversale ; elle irrigue donc l'ensemble de ces problématiques sur lesquelles nous nous apprêtons à légiférer et, pour chaque dispositif que nous adopterons, nous devons garder ces enjeux à l'esprit.
Je vous remercie de m'accueillir au sein de votre Délégation, pour échanger sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, que j'ai l'honneur de porter au nom du Gouvernement, et plus particulièrement sur le sujet de l'égalité entre les hommes et les femmes, en faveur duquel vous êtes, comme moi, très engagés.
Ce projet constitue l'acte II de la rénovation de notre modèle social après la loi sur le renforcement du dialogue social. Il se compose de soixante-six articles, dont nous commencerons l'examen cet après-midi en commission des affaires sociales, et qui sont répartis en trois titres, qui couvrent six domaines : le titre I concerne l'apprentissage et la formation professionnelle ; le titre II, l'assurance chômage ; le titre III, l'égalité salariale, le harcèlement, l'inclusion des travailleurs handicapés, le travail détaché, ainsi qu'une mesure sur la fonction publique.
Ces trois titres obéissent à trois grandes lignes directrices : créer de nouveaux droits pour les actifs tout au long de la vie ; permettre une croissance inclusive en rétablissant l'égalité des chances – il n'y a pas d'égalité des chances quand votre salaire est inférieur à celui d'un homme ou que vous craignez le harcèlement ; lever les verrous administratifs, réglementaires, et financiers qui s'opposent à l'égalité des chances.
Concernant ce dernier point, il s'agit, plus fondamentalement, d'amorcer un changement de culture et de faire évoluer l'opinion. Cela fait quarante-cinq ans en effet que vos prédécesseurs ont voté une loi imposant l'égalité salariale entre les femmes et les hommes à travail égal. Or je ne connais pas d'autres exemples de loi qui soit aussi peu appliquée. Notre responsabilité va donc bien au-delà du travail législatif, elle consiste à mener bataille dans l'opinion. Et il me semble que c'est le bon moment pour cela et que la société est prête à voir changer les comportements.
Comme vous le savez, ce projet de loi a été adopté en conseil des ministres le 27 avril, et vous en débattrez en séance publique à partir du 11 juin. J'apprécie donc tout particulièrement d'avoir ce temps d'échange avec vous en amont car je suis convaincue que ce texte va permettre d'installer des leviers majeurs pour faire avancer l'égalité des chances, et en particulier l'égalité entre les femmes et les hommes.
On ne peut se résigner à ce que les femmes soient davantage touchées par le chômage de masse, qu'elles représentent deux tiers des travailleurs pauvres, 80 % des temps partiels et qu'elles n'aient pas, de fait, un égal accès à certains métiers, ni à la même progression de carrière que les hommes.
En effet, 42 % des cadres sont des femmes, mais seulement 17 % d'entre elles occupent des postes de direction et elles ne sont que 10 % dans les postes de direction exécutive. Elles gagnent 9 % de moins que les hommes à poste de valeur égale, et, tous postes confondus, ce différentiel monte à 25 %, ce qui conduit à des écarts de montant de retraite de l'ordre de 37 %, car les inégalités sont cumulatives et ne font que s'amplifier, de façon plus forte encore après un congé de maternité.
Face à un tel constat, notre but commun est de faire en sorte que nos concitoyennes bénéficient de la même égalité des chances et donc de la même liberté de choisir de leur avenir professionnel.
On ne peut que se réjouir, à ce titre, que le projet de loi inclue également des dispositions visant à prévenir les violences sexuelles et les comportements sexistes au travail car, inacceptables en tant que tels, ce sont également des circonstances aggravantes dans les difficultés qu'ont les femmes à mener leur carrière professionnelles.
Je vous remercie par ailleurs des travaux que vous avez effectués en amont de cette audition, en particulier ceux du rapporteur, M. Pierre Cabaré, mais également ceux menés en ce moment par Mme Céline Calvez et M. Stéphane Viry sur les métiers scientifiques et techniques, alors que l'on sait qu'il y a dans les start-up, où se créent pour une large part les emplois de demain, 90 % d'hommes et 10 % de femmes. J'ajoute que les lycéennes sont plus nombreuses à passer un bac S que les garçons, mais qu'elles s'engagent majoritairement vers des carrières comme la médecine ou la magistrature. Cela atteste bien qu'elles ont encore une représentation sexuée des études supérieures, ce que conforte le fait que, lorsqu'elles s'engagent dans des études supérieures scientifiques, c'est le plus souvent en biologie, quasiment jamais dans l'informatique ou le numérique qui sont les secteurs d'avenir.
Je n'oublie pas non plus votre engagement, Madame la présidente, puisque vous êtes en charge d'une mission gouvernementale sur le congé maternité. Bref, je sais que nous partageons la même volonté de faire bouger les lignes dans ce domaine.
En cela nous sommes portés par l'écho que rencontre actuellement dans le monde entier le mouvement de libération de la parole des femmes.
Dans ce contexte, il me semble que l'inégalité salariale ne peut qu'être combattue, et je n'imagine personne nous dire qu'il est dans l'ordre des choses que les femmes soient payées moins que les hommes, ce qui est déjà un progrès par rapport à dix ans en arrière où l'on entendait encore parler de « salaire d'appoint ». Tout cela pour dire qu'il est de la responsabilité conjointe du Gouvernement et du Parlement de profiter de ce moment et d'amplifier ce mouvement.
Ce projet de loi répond à un double engagement du Président de la République : d'une part, celui de faire de l'égalité entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat ; d'autre part, celui de rénover profondément notre modèle social.
Nous avons évidemment travaillé en lien étroit avec Marlène Schiappa, la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, avec qui nous avons mené les concertations sur ce sujet, qui rejoint celui du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes qu'elle a par ailleurs défendu devant vous.
Pour mettre en oeuvre ces engagements présidentiels intrinsèquement liés, nous agissons avec pragmatisme, au travers de transformations systémiques, profondes et cohérentes. C'est cette démarche qui a présidée à l'élaboration de ce projet de loi, et tout particulièrement du chapitre 4 du titre III, dont l'objectif est à la fois de favoriser l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment sur le plan des rémunérations, et de lutter contre les violences sexuelles et sexistes au travail.
J'ai ainsi demandé en novembre dernier aux partenaires sociaux de me faire des propositions sur ce sujet, élargi en janvier à tous les thèmes relatifs à l'égalité professionnelle. Cette première phase s'est achevée sur la réunion du 7 mars, présidée par le Premier ministre et à laquelle ils étaient conviés ainsi que Marlène Schiappa.
Nous avons proposé quinze pistes d'action, dix en faveur de l'égalité salariale et cinq pour lutter contre le harcèlement sexuel et sexiste au travail. Sur cette base, nous avons mené une concertation multilatérale avec les organisations syndicales et patronales.
Enfin, le 9 mai, lors d'une réunion conclusive, nous avons, avec Marlène Schiappa, présenté le plan d'action global en faveur de l'égalité professionnelle issu de cette concertation.
Les mesures législatives nécessaires à la mise en oeuvre de ce plan vous sont ainsi soumises dans le cadre du présent projet de loi. Plusieurs amendements du Gouvernement – sept ont été déposés en commission – viendront compléter les dispositions prévues aux articles 61 et 62, suite aux concertations que nous avons menées. Ils rejoignent un bon nombre des recommandations du rapporteur.
Sur le volet « lutte contre les violences sexistes et sexuelles », outre l'article 62 qui prévoit l'obligation pour l'employeur d'afficher les voies de recours civiles et pénales ouvertes en matière de harcèlement sexuel ainsi que les coordonnées des services compétents, nous avons déposé un amendement instaurant des référents pour les employeurs et pour les salariés, puis des amendements sur le rôle des branches et des commissions paritaires régionales interprofessionnelles.
Concernant l'égalité salariale, nous devons changer d'approche et passer d'une obligation de moyens à une obligation de résultat sur les écarts de salaire à travail de valeur égale. Aujourd'hui, en effet, en cas d'écart salarial constaté, la seule obligation d'une entreprise est soit de passer un accord avec les organisations syndicales, soit de développer un plan d'action, la nature de l'un comme de l'autre restant à sa libre appréciation et sans obligation de résultat.
Nous sommes donc résolus à imposer une obligation de résultat pour toutes les entreprises de plus de cinquante salariés – en deçà, les salariés ne sont pas nécessairement assez nombreux pour se trouver affectés à des postes identiques et, par ailleurs, les écarts de salaire sont en général moindres.
Cette obligation de résultat doit s'apprécier selon une méthode unique, afin que l'on puisse s'accorder sur les chiffres de départ et leur correction. Nous sommes encore en discussion avec les partenaires sociaux pour arrêter la bonne méthode et j'ai par ailleurs confié une mission à la DRH France de Schneider Electric, Mme Sylvie Leyre, qui explore les pistes techniques possibles permettant que cette obligation de résultat soit à la fois simple et opposable.
Nous instaurons également une obligation de transparence sur les écarts à travail de valeur égale – ce qui correspond aux 9 % que je vous citais tout à l'heure – et sur les écarts bruts – soit les 25 % que l'on constate aujourd'hui à l'échelle nationale sur l'ensemble des carrières. J'attends beaucoup de cette mesure compte tenu de l'enjeu pour les entreprises en termes de réputation et d'attractivité, auprès des jeunes générations en particulier.
La loi obligera enfin l'entreprise à consacrer une enveloppe au rattrapage salarial en cas d'écart constaté pour parvenir à le résorber dans un délai de trois ans. Si nous avons opté pour ce délai, c'est que les entreprises qui ont réussi à réduire les écarts salariaux l'ont fait en planifiant les réductions sur deux ou trois ans, car il est impossible, en termes de masse salariale, de faire le saut d'un seul coup, ce qui aboutit à reporter sans cesse les mesures de rattrapage. D'où notre décision de n'appliquer les éventuelles sanctions qu'à partir de 2022.
Nous avons également déposé un amendement demandant que chaque branche produise annuellement un rapport sur les actions menées en faveur de l'égalité professionnelle. Il s'agit d'une demande des partenaires sociaux qui ont reconnu, tant du côté des instances patronales que salariales, que ce sujet était loin d'être prioritaire dans toutes les branches. Ils ont donc fait énormément de propositions en ce sens, témoignant de leur volonté et de leur mobilisation, et nos échanges ont été fructueux.
Nous avons enfin déposé un amendement sur les instances de gouvernance en matière de mixité dans les comités exécutifs et de délibération sur les résultats en matière d'égalité salariale pour toutes les sociétés cotées. Depuis la loi Copé-Zimmermann, il y a aujourd'hui entre 40 et 43 % de femmes dans le conseil d'administration des entreprises du CAC 40 – j'observe au passage qu'il s'agit d'une réforme mise en oeuvre progressivement et qui a fonctionné –, et ces dernières auront désormais l'obligation de délibérer sur les avancées de l'égalité salariale et les progressions de carrière. Là encore, nous pensons que le regard des instances de gouvernance permettra, au même titre que la transparence, de faire progresser les choses.
Par ailleurs, cela ne relève pas du projet de loi mais il est important que vous sachiez que nous allons multiplier par quatre les contrôles et les interventions de l'inspection du travail sur l'égalité salariale, pour passer de 1 730 – soit moins d'un contrôle par inspecteur – à 7 000 contrôles par an sur le seul sujet de l'égalité professionnelle et salariale.
Nous allons également développer des guides, sur le modèle des guides de la laïcité applicable aux entreprises, à l'attention des entreprises, des branches et des commissions paritaires régionales interprofessionnelles. Cela sera particulièrement utile en matière de harcèlement, car, souvent, bien qu'il y ait des témoins et que les faits soient quasiment avérés, c'est la victime qui perd son travail ou se retrouve mutée. En effet, il est compliqué pour un employeur de pénaliser un harceleur en le licenciant, car celui-ci peut aller aux prud'hommes et gagner puisque aucune sanction pénale n'a été prononcée, celle-ci survenant beaucoup plus tard. Il faut donc aider les employeurs qui, de bonne foi, voudraient agir ainsi que les organisations syndicales.
Nous favoriserons aussi un meilleur équilibre des temps en valorisant les bonnes pratiques et en examinant les modalités de prise des droits à congés maternité, paternité et parental sur la base des travaux d'expertise en cours. Nous devons mener une réflexion globale, de manière à favoriser le partage des tâches domestiques et familiales entre l'homme et la femme, tout en laissant la liberté à chaque couple de s'organiser comme il l'entend et sans que cela contribue à éloigner les femmes du marché du travail.
Enfin, au niveau européen, le conseil des ministres du travail examinera le projet de directive sur l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants, que je soutiendrai au nom de la France.
Mais au-delà de ces mesures spécifiques, c'est de transformations globales dont nous avons besoin. Sans revenir sur les compétences ou sur l'apprentissage, j'insiste sur le fait que nous devons aborder ces problématiques de manière transversale.
Je voudrais ici mettre tout particulièrement en exergue une mesure qui n'est pas spécifiquement destinée aux femmes mais tient compte de leur situation particulière : il s'agit du compte personnel de formation, pour lesquels les droits – 500 euros par an, ou de 5 000 à 8 000 euros pour les moins qualifiés – s'acquièrent au prorata temporis.
Or, sachant que 80 % des personnes qui travaillent à temps partiel sont des femmes et parce qu'un tiers des femmes travaillent à temps partiel, nous avons proposé dans le projet de loi que les droits à la formation soient les mêmes à mi-temps et à temps plein, pour éviter que les femmes, qui travaillent davantage que les hommes à temps partiel, dans des emplois moins rémunérés et moins valorisés, ne tombent dans les trappes à bas salaires et voient leurs carrières pénalisées par un moindre droit à la formation.
Dans le même esprit, nous devrons veiller à féminiser l'apprentissage qui n'accueille qu'un tiers de filles alors que c'est une voie d'excellence et de réussite, puisque sept apprentis sur dix ont été embauchés en CDI sept mois après la fin de leur apprentissage et qu'un sur quatre a créé sa propre entreprise.
Je compte donc sur notre vigilance collective pour que nous abordions chaque mesure du texte dans la perspective de ce qu'elle peut apporter aux femmes.
Vous avez longuement réfléchi au processus de rattrapage et aux sanctions applicables pouvant aller jusqu'à 1 % de la masse salariale. Pourriez-vous nous préciser la philosophie du mécanisme que vous entendez porter ? Le produit de ces sanctions ne pourrait-il pas financer le différentiel de retraite de 37 % entre les hommes et les femmes ?
Votre projet de loi apporte de réelles avancées en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Je souhaitais aborder la question de la parité syndicale : je me réjouis que les syndicats aient participé de façon aussi constructive et qualitative au débat. Depuis le 1er janvier 2017, la loi impose que le nombre de femmes candidates aux instances représentatives du personnel soit proportionnel à leur présence dans l'entreprise. Le taux de femmes élues dans les syndicats s'améliore depuis plusieurs années, mais les femmes y restent insuffisamment présentes et les plus hautes fonctions syndicales ne sont pas paritaires, loin s'en faut… Ne pensez-vous pas que ce projet de loi pourrait faire avancer la parité syndicale par le biais d'une nouvelle évolution législative ou d'incitations en faveur de l'engagement des femmes dans le monde syndical ?
Je vous remercie pour cet exposé très complet. Faire évoluer la condition professionnelle des femmes, c'est faire progresser toute la société. Les statistiques dont vous nous avez fait part sont choquantes ; l'égalité est loin d'être une réalité. Pour faire suite à la question de mon collègue Pierre Cabaré, faut-il augmenter les sanctions contre les entreprises ? Comment faire appliquer les dispositions en faveur de l'égalité ?
S'agissant des sanctions, nous disposerons désormais de plusieurs leviers grâce à la publication des résultats des entreprises en matière d'égalité salariale. Les écarts seront connus et publiés sur une base méthodologique commune : nous saurons donc immédiatement sur quelles entreprises cibler les inspections parmi les 300 000 entreprises de plus de 50 salariés.
Par ailleurs, les organisations syndicales seront également informées de ces résultats, ce qui alimentera le débat social interne et leur permettra d'agir.
Enfin, je connais bien le monde des entreprises et sais que la compétition va les stimuler. Le name and shame ne suffit plus, nous devons également utiliser le levier du name and claim, c'est-à-dire valoriser les entreprises vertueuses et communiquer sur les classements des meilleurs employeurs. Dans ce contexte, les entreprises les moins bien classées auront plus de difficultés pour recruter.
La pénalité que vous évoquez existe déjà et peut effectivement représenter jusqu'à 1 % de la masse salariale – ce qui est beaucoup –, mais ne s'applique que si l'entreprise ne respecte pas son obligation de moyens – avoir signé un accord et mis en oeuvre un plan en faveur de l'égalité. Parfois, le plan se résume à un power point de quelques pages… La pénalité est donc rarement appliquée.
À partir du moment où les résultats seront publics et que l'entreprise ne respectera pas ses obligations légales au bout de trois ans, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi pourront la sanctionner tant sur les moyens que sur les résultats, toujours jusqu'à 1 % de la masse salariale et en fonction de l'effort fourni. Par exemple, si l'écart salarial était de 20 % à poste égal et passe en 3 ans à 5 % ou 8 %, on laissera un an de plus à l'entreprise pour atteindre l'obligation, les DIRECCTE pouvant apprécier les efforts réalisés.
Le produit de ces amendes sera versé au fonds de solidarité vieillesse (FSV) qui finance le minimum vieillesse. Or, comme vous le savez, beaucoup de femmes le perçoivent. Nous ne pouvons pas changer le système de retraite, basé par principe sur un nombre d'années et un taux de cotisations, mais l'abondement du FSV est garanti.
Pour améliorer les retraites, en amont, nous devons aussi nous pencher sur les carrières des femmes. En effet, pourquoi leurs retraites sont-elles si faibles alors que les règles sont les mêmes pour tous ? Simplement parce que leurs carrières ne sont pas complètes et que leur progression en cours de carrière est moins rapide que celle des hommes. Par ailleurs, les femmes occupent souvent des métiers moins rémunérés.
Nous devons donc progresser dans la mixité des emplois, mais également lutter contre les stéréotypes et l'autocensure. Certes, le plafond de verre est une réalité managériale dans les organisations, mais il existe aussi un plafond de verre intériorisé, même au plus haut niveau des entreprises : « je vais avoir des enfants : je ne peux donc pas pas progresser dans ma carrière » ou « je n'aurais pas les compétences ». Dans mes précédentes fonctions, lorsque j'ai lancé le programme EVE en 2010 à destination des milliers de femmes travaillant dans une dizaine de groupes, j'ai été frappée par cette intériorisation de l'autocensure – qu'elle soit liée aux contraintes familiales ou à une sous-estimation des compétences…
Beaucoup de femmes ne se sentent pas légitimes quand elles arrivent dans le monde du travail sans avoir toutes les compétences ! Les hommes, eux, estiment qu'ils pourront les apprendre, qu'ils auront des réseaux, des collègues ou des collaborateurs pour les aider. Ils ont d'ailleurs raison ! Lorsque, au cours d'une conférence, j'expliquais que la plupart des femmes n'osent pas prendre un poste sans avoir 100 % des compétences, une femme répondait toujours : « non, 120 % ! », et lorsque je reprenais en précisant que les hommes, eux, considèrent qu'ils peuvent prendre un poste à 80 % de leurs compétences, un homme intervenait toujours pour dire : « non, 50 %, ça suffit ! ».
Quel est l'intérêt d'accepter un poste si l'on sait déjà tout faire ? D'ailleurs, vous êtes devenu député alors que la plupart d'entre vous avait un autre métier. Vous vous êtes lancés ! Le changement est avant tout culturel. Nous devons lutter contre ces représentations. Je mène en la matière une réflexion conjointe avec Marlène Schiappa et Jean-Michel Blanquer, car nous devons traiter cette difficulté dès l'enfance et l'école.
Vous avez raison, la parité dans les organisations syndicales a progressé depuis l'instauration de la parité sur les listes professionnelles des syndicats. Désormais, on doit y retrouver alternativement un homme et une femme. On ne peut pas être plus impératif car la liberté syndicale est reconnue par la convention de l'Organisation internationale du travail. Par ailleurs, les organisations syndicales et patronales françaises sont extrêmement mobilisées sur ce sujet.
Au sein de ces organisations, les militants de l'égalité femmes-hommes disposeront désormais d'outils grâce au projet de loi. Mais en matière syndicale, il s'agit surtout d'assurer la relève : les organisations syndicales ont du mal à attirer les jeunes générations, et notamment les femmes.
Vous avez raison, l'égalité femmes-hommes doit faire l'objet de toute notre attention dès le plus jeune âge. Les inégalités perdurent du berceau jusqu'au cercueil et l'effet est cumulatif : si une inégalité constatée au départ n'est pas résorbée, elle va se creuser, tout particulièrement au moment de la retraite.
Nous allons bientôt nous pencher sur la réforme des retraites : ne pourrait-on pas imaginer une fiscalité sociale plus incitative afin que les entreprises répondent aux impératifs d'égalité salariale et organisationnelle ? Par exemple, les comités exécutifs sont beaucoup moins paritaires que les conseils d'administration où la loi impose un taux de 40 %. Ce type de fiscalité inciterait peut-être les entreprises à être plus vertueuses.
Vous avez raison, la compétition amènera les entreprises à l'être, mais l'incitation fiscale nous permettrait d'avancer plus vite. Nous pourrons engager ce débat au moment de la réforme des retraites. Je sors un peu du sujet de la formation, mais nous devons envisager l'égalité entre les femmes et les hommes comme un continuum, du début à la fin de la carrière.
La Délégation aux droits des femmes va d'ailleurs se saisir du sujet dans sa globalité puisqu'elle va lancer une réflexion sur la séniorité des femmes qui abordera la question des retraites mais également celle de la dépendance.
Il est également essentiel d'aborder le thème de la reprise d'activité des parents après une période d'arrêt professionnel du fait d'une naissance. Dans les faits, ces interruptions concernent très majoritairement des mamans, qui s'occupent de leur enfant durant les premiers mois, voire les premières années de sa vie.
Vous avez évoqué l'abondement du compte personnel de formation pour les salariés à temps partiel – là encore, majoritairement des femmes. Qu'en est-il des congés parentaux ou des femmes qui s'arrêtent complètement de travailler pour élever leurs enfants et souhaitent revenir sur le marché du travail ? Il est essentiel d'accompagner ces parents – en particulier ces mères – du mieux possible grâce à la formation, afin de faciliter leur retour vers l'emploi salarié ou l'entreprenariat.
Je reviendrai sur la situation des personnes handicapées. Leur taux d'accès à l'emploi est faible et 500 000 travailleurs handicapés sont demandeurs d'emploi. Alors que les entreprises devraient employer 6 % de travailleurs handicapés, dans les faits, ils ne sont pas plus de 3,5 %. Alors, quand vous êtes une femme et un travailleur handicapé la situation est encore plus complexe. Madame la ministre, qu'avez-vous prévu pour ces femmes ?
Avant notre réunion, nous nous sommes interrogés sur la meilleure façon de combattre les clichés, notamment chez les élèves de 3e, au moment où, souvent, se produit un déclic concernant leur avenir professionnel. J'ai expérimenté un dispositif particulièrement efficaces pour lutter contre les stéréotypes : le témoignage de chefs d'entreprise ou de salariés en binôme. Quand un paysagiste présente son métier avec une agricultrice, ou un boulanger avec une pâtissière, le élèves visualisent mieux et concrètement la diversité.
Par ailleurs, quand ces présentations sont réalisées par des champions du secteur, cela met en valeur le poids économique de la région. Actuellement, je suis choquée que nos élèves et nos étudiants ne connaissent pas la richesse économique de leur région, alors qu'il est important de découvrir les métiers et la diversité des compétences sur son territoire. Cela nous permettrait de faire des progrès à moindre coût, en associant les milieux professionnel et scolaire.
Monsieur Balanant, vous avez raison, tout fait système. C'est d'ailleurs l'intérêt de la Délégation aux droits des femmes, vous pouvez apporter une brique sur chaque projet de loi. Un amendement au présent projet de loi concernera le top management des entreprises. Nous ne pouvons pas légiférer sur les comités exécutifs car ils n'ont pas d'existence juridique et ont des formats variables, contrairement aux conseils d'administration, objets juridiquement identifiés. Cet amendement prévoit que l'instance de gouvernance – le conseil d'administration – des entreprises de plus de mille salariés dispose annuellement d'un rapport sur la répartition hommes-femmes des cent plus hauts responsables de l'entreprise. Si une entreprise emploie 42 % de femmes, mais que l'on n'en retrouve que 17 % chez les cadres et 12 % dans les cent premiers responsables, les différents acteurs pourront se saisir de ces statistiques. Actuellement, même quand cette différence est perceptible au sein de l'entreprise, les informations ne sont pas communiquées.
Madame Lazaar, en l'état actuel du droit, un entretien obligatoire est prévu à la reprise d'activité, notamment après un congé parental. Il serait souhaitable d'évoluer vers un entretien préalable à la reprise. Cela ne figure pas dans le projet de loi, mais je ne serais pas défavorable à un amendement qui préciserait que l'entretien se déroule quelques mois avant la reprise.
Par ailleurs, nous souhaitons faciliter cette reprise d'activité. Avant de s'arrêter, les femmes qui ont déjà travaillé disposent d'un compte personnel de formation. Elles ont donc théoriquement des droits en heures de formation. Mais il faut qu'un organisme paritaire collecteur agréé accepte ces demandes individuelles alors qu'ils travaillent plutôt sur la base d'accords avec les entreprises.
Demain, le compte personnel de formation sera alimenté en euros : ainsi, un salarié qui a travaillé disposera de 5 000 ou de 8 000 euros et pourra se former à la fin de son congé parental s'il le souhaite. Cela permettra une reprise d'activité non pas moins-disante, mais éventuellement mieux-disante. En effet, la situation est souvent complexe après un congé parental de trois ans. Le métier a changé et c'est un véritable handicap pour certains : ils reviennent sur un poste qu'ils ne maîtrisent plus et l'atterrissage est parfois difficile. Le congé parental est une bonne chose, mais il faut des correctifs pour qu'il ne constitue pas un éloignement trop définitif du marché du travail.
En ce qui concerne le handicap, nous annoncerons la semaine prochaine les mesures que nous retenons de la concertation que je mène avec Sophie Cluzel et les organisations patronales et syndicales en faveur d'un meilleur accès à l'emploi des travailleurs handicapés. Le taux de chômage des handicapés est deux fois plus élevé que celui du reste de la population, leur taux de qualification est moindre et, comme vous le disiez, pour une femme handicapée, c'est la triple peine. Il n'y a pour le moment qu'une seule accroche dans le projet de loi sur ce sujet car la concertation n'est pas encore terminée. Nous déposerons donc des amendements pour la séance publique. Plusieurs leviers existent pour progresser. Il faut saisir l'occasion car on a créé 268 000 emplois nets l'année dernière et cela va continuer. Les entreprises cherchent des compétences. Je les invite donc à élargir leurs critères de recrutement aux femmes seniors et aux personnes handicapées – auxquelles les entreprises ne prêtent pas attention actuellement. Les entreprises ne peuvent se contenter de ne recruter que des hommes blancs des beaux quartiers, âgés de 25 à 38 ans. Il y aura dans le projet de loi des mesures en la matière.
Vous avez profondément raison s'agissant des clichés. Aujourd'hui, le niveau d'études et de réussite aux diplômes est plus élevé chez les filles que chez les garçons – mais cela ne change rien aux stéréotypes. Les jeunes filles choisissent les mêmes métiers qu'avant, dans un spectre beaucoup plus restreint que les garçons – métiers qui ne sont pas les plus valorisés ni les mieux rémunérés. Les stéréotypes existent aussi pour les jeunes hommes qui seraient dévalorisés socialement s'ils allaient vers des métiers comme celui d'aide-soignant ou d'infirmier.
Je trouve votre idée de binôme très intéressante car elle concerne des thématiques et pas seulement des métiers. Avec le projet de loi, nous allons renforcer les compétences des régions en matière d'orientation. Tous les lycées et les collèges organiseront avec les régions et les professionnels différents types d'actions : des témoignages d'entreprises ou d'apprentis, des visites d'entreprise, des ateliers, du speed dating… Place à l'imagination ! Certains collèges et lycées le font déjà mais cela reste au bon vouloir du principal ou du proviseur. Or, tous les jeunes ont besoin de ce type d'actions. Beaucoup d'associations, telles que 100 000 Entrepreneurs ou Entreprendre Pour Apprendre sont prêtes à participer. Le dispositif commencera par être appliqué en seconde puis sera progressivement étendu de la quatrième à la première. Cinquante-quatre heures par an seront réservées à cet effet, soit deux semaines à temps plein. Cela permettra aux jeunes d'aller à la découverte des métiers et sera l'occasion de lutter contre les stéréotypes de genre et les stéréotypes liés aux métiers – les uns et les autres se renforçant souvent mutuellement.
La publication des écarts de salaire est effectivement importante. Celle du nombre d'emplois masculins et féminins dans une entreprise l'est également mais cela ne suffit pas. Je crois beaucoup au développement de l'apprentissage pour faire exploser ces filières dites réservées aux garçons. S'il y a des stéréotypes, il y a aussi des filières qui sont relativement fermées aux femmes. Ainsi, l'économie maritime cherche à recruter et n'est pas du tout un secteur réservé aux hommes. Ces derniers sont prêts à accueillir un grand nombre de femmes mais il n'y a pas de femmes formées en ce domaine. Faisons par conséquent découvrir aux femmes certaines formations. À cet égard, je vous convie tous, chers collègues, aux « Elles de l'océan », manifestation qui aura lieu à l'Assemblée nationale la semaine prochaine pour faire découvrir aux femmes les filières maritimes qui regroupent des métiers magnifiques.
J'ai longtemps travaillé sur des actions en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes, notamment dans le cadre de programmes européens comme Carve ou Daphné, sur différentes chartes et sur des rapports de situations comparées avec les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail et les associations régionales pour l'amélioration des conditions de travail. Nous avons produit des guides de bonnes pratiques et des rapports de toutes sortes. Nous avons aussi travaillé sur la mixité des métiers directement dans les entreprises mais aussi avec des collèges et des lycées. Le changement au cours des cinq dernières années n'a pas été extraordinaire. Seriez-vous plutôt favorable à une politique de promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes ou à une politique de lutte contre les discriminations faites aux femmes ? Êtes-vous pour la promotion des plus vertueux ou plutôt pour dénoncer et sanctionner les mauvais élèves ?
J'aurai pour ma part deux questions à vous poser.
La première concerne le label Égalité. Les entreprises que nous avons rencontrées – de grands groupes, notamment – nous expliquent qu'elles seraient très motivées pour s'engager dans la démarche du label Égalité mais que cette dernière s'effectue entité par entité à l'intérieur des entreprises et qu'une vision plus corporate permettrait à un plus grand nombre de s'engager. Qu'en pensez-vous ?
Seconde question, le Conseil d'orientation pour l'emploi a indiqué au début du mois de janvier que, d'ici à une quinzaine d'années, 50 % des emplois seraient voués à disparaître en raison de l'autonomisation et de la numérisation. Comment travaillez-vous avec vos collègues Marlène Schiappa et Bruno Le Maire sur la question de la mutation de l'emploi des femmes ? Le rapport que préparent Céline Calvez et Stéphane Viry et dont nous allons discuter cette semaine montre en effet qu'il y a dès le lycée des enjeux d'orientation. En outre, les jeunes filles anticipent sur leurs fonctions familiales et domestiques et imaginent – alors qu'elles n'ont que dix-sept ans – que telle ou telle activité sera incompatible avec leurs futures responsabilités familiales. Comment travailler sur ces sujets ? Il pèse sur l'ensemble des femmes – qu'elles aient ou pas des enfants – un soupçon de maternité, source de discrimination à l'embauche et d'inégalités salariales.
Pour revenir à votre bel exemple du secteur maritime, je pense qu'on a besoin de montrer aux jeunes femmes des rôles modèles. Il y a des femmes dans l'aviation, l'aéronautique, le secteur maritime et l'agriculture ainsi que des femmes chefs d'entreprise : il faut qu'elles aillent parler dans les lycées car l'identification est un vecteur essentiel de l'orientation pour les jeunes de seize ans. Les jeunes filles s'identifient souvent à leur mère : si cette dernière ne travaille pas ou qu'elle a un emploi peu qualifié qu'elle trouve dur, il faut que les filles aient d'autres modèles féminins. Il va donc falloir mobiliser certaines femmes pour qu'elles viennent présenter leur métier. Les lycéennes découvriront alors que les métiers techniques sont passionnants et qu'il n'y a pas de métier interdit. Les choses évoluant du côté des employeurs, il y a surtout un travail à faire auprès des jeunes et des parents.
Vaut-il mieux promouvoir ou dénoncer ? En matière d'égalité salariale, il faut qu'on soit à la fois lucide et extrêmement résolu. Quand une loi n'a pas été appliquée pendant quarante-cinq ans, il faut être solide pour se dire qu'on va arriver à la mettre en oeuvre. Nous sommes très déterminés, c'est pourquoi il faut approcher le sujet de façon systémique. La question de l'orientation relève plutôt du moyen terme. À court terme, nous allons appliquer une sanction au résultat, ce qui sera très dur au début. Nous allons aussi publier la liste des meilleures et des moins bonnes pratiques. Dernièrement, j'ai accompagné le Président de la République avec Marlène Schiappa et Bruno Le Maire chez Gecina, société foncière qui est parvenue à l'égalité salariale en trois ans. Les dirigeants nous ont expliqué que la société est beaucoup plus attractive et plus performante qu'avant, que tout le monde était fier de travailler ensemble et qu'il fallait convaincre les entreprises d'assurer une égalité salariale pour des raisons économiques. Il faut d'ailleurs distinguer les entreprises pionnières qui procèdent déjà à l'égalité salariale, le peloton qu'on veut inciter à rejoindre le mouvement grâce à la loi et les retardataires qu'il faudra sanctionner. Nous avons déjà des pionniers mais pas encore de peloton. C'est en ce sens que la loi peut faire évoluer les choses en imposant une obligation de résultat. Ensuite, comme dans d'autres domaines, il faudra sanctionner ceux qui n'appliquent pas la règle.
S'agissant du label Égalité, s'il y a aujourd'hui beaucoup d'initiatives spontanées des entreprises en matière d'égalité, seules vingt par an demandent ce label. On ne peut donc pas dire qu'il ait eu beaucoup de succès. Cela s'explique notamment par l'existence du label Diversité qui, lui, couvre plusieurs champs, dont l'égalité, et qui se développe assez bien. Choisir entre un label spécifique et un label plus large fait toujours débat. Il n'est pas nécessaire que toutes les entités d'une entreprise adoptent la démarche du label Égalité mais au moins une partie afin de s'assurer que les recommandations corporate soient mises en oeuvre. Les partenaires sociaux ayant des propositions à faire pour améliorer le label Égalité, nous allons voir avec eux s'il ne vaudrait pas mieux faire de l'égalité femmes-hommes un sujet sur lequel on ne peut faire l'impasse pour obtenir le label Diversité. Ce dernier me semble en effet un instrument plus puissant que le label Égalité. Les entreprises ne vont pas se lancer dans l'obtention de deux labels et privilégieront celui qui vise aussi les discriminations contre le handicap et l'origine ethnique.
Ce que dit le Conseil d'orientation pour l'emploi – et d'autres travaux internationaux le confirment –, c'est que dans les dix ans qui viennent, environ 10 à 15 % des emplois vont disparaître du fait de la révolution numérique et de la transition écologique, que 10 à 20 % vont être créés et que 50 % vont être profondément transformés. Ces mutations de l'emploi, qui sont au coeur du plan investissement dans les compétences prévues par le projet de loi, s'expliquent par la révolution technologique. Si l'on n'accompagne pas les jeunes, les demandeurs d'emploi et tous les salariés, ils risquent d'être en difficulté. Au contraire, si l'on investit dans les compétences, cette évolution peut être un avantage formidable pour chacun, pour les entreprises et pour le pays tout entier. C'est pourquoi cette bataille stratégique en faveur des compétences est au coeur du projet de loi.
La question est de savoir quels secteurs seront concernés par ces mutations. Je prendrai un exemple qui, je pense, fera écho à vos craintes. L'e-commerce représente 20 % des transactions commerciales. On a donc besoin de moins de magasins – sauf quand ces derniers changent de nature pour devenir des showrooms, par exemple –, ce qui entraîne une perte d'emplois dans la distribution. Parallèlement, certains magasins spécialisés se renforcent au contraire, ce qui veut dire que le phénomène n'est pas absolu. En tout état de cause, l'e-commerce, pour lequel seule la commande est dématérialisée, fait exploser les besoins en transport et en logistique au point qu'on crée des plateformes logistiques partout dans le pays. Or, dans la répartition genrée traditionnelle, le transport et la logistique sont plutôt masculins et la distribution, plutôt féminine.
J'assistais hier au Conseil national de l'industrie auprès du Premier ministre et avec Bruno Le Maire. Il y a maintenant seize filières industrielles qui prennent part à la démarche et l'industrie recrée des emplois. Nous sommes convenus d'aider ces filières à prendre des engagements de développement des emplois et des compétences (EDEC), c'est-à-dire à faire de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au niveau d'une branche. Quatre filières l'ont fait, six sont en train de finaliser leur engagement et les six autres le feront par la suite. À partir de l'année prochaine, je demanderai que dans le cadre de tous les EDEC, on vérifie systématiquement si les emplois concernés sont majoritairement féminins ou masculins.
D'autres mesures pourront également être mobilisées. Nombre de femmes ont des emplois moins qualifiés et moins bien payés parce que quand le couple travaille, c'est le plus souvent la conjointe qui suit son conjoint – a fortiori si le couple projette d'avoir un enfant. C'est ainsi que les retards s'accumulent. C'est pourquoi la loi pour le renforcement du dialogue social promeut le télétravail, qui permet aux hommes et aux femmes de travailler dans n'importe quel village de France.
Il nous faudra aussi être attentif aux mutations des métiers : on recrée en effet des emplois dans le bâtiment, dans les transports, dans la logistique et dans l'industrie – tous métiers qu'exercent moins les femmes. De nombreux emplois vont également être créés dans le domaine des services à la personne, notamment du fait du vieillissement. Cependant, il ne faut pas que travailler dans ce secteur soit le seul choix possible pour les femmes car beaucoup d'entre elles ont envie de faire autre chose – en se l'autorisant plus ou moins. Il faudra veiller, compte tenu de ces mutations, à bien accompagner les femmes tant dans le cadre du processus de qualification que dans celui de notre stratégie compétences.
La séance est levée à 11 heures.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Emmanuelle Anthoine, M. Erwan Balanant, M. Pierre Cabaré, Mme Annie Chapelier, Mme Bérangère Couillard, Mme Laurence Gayte, M. Mustapha Laabid, Mme Fiona Lazaar, Mme Nicole Le Peih, Mme Sophie Panonacle, Mme Marie-Pierre Rixain, Mme Laurence Trastour-Isnart.
Excusés. - Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Valérie Boyer, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Cécile Muschotti.