Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du mardi 29 mai 2018 à 9h45
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Muriel Pénicaud, ministre du Travail :

Pour revenir à votre bel exemple du secteur maritime, je pense qu'on a besoin de montrer aux jeunes femmes des rôles modèles. Il y a des femmes dans l'aviation, l'aéronautique, le secteur maritime et l'agriculture ainsi que des femmes chefs d'entreprise : il faut qu'elles aillent parler dans les lycées car l'identification est un vecteur essentiel de l'orientation pour les jeunes de seize ans. Les jeunes filles s'identifient souvent à leur mère : si cette dernière ne travaille pas ou qu'elle a un emploi peu qualifié qu'elle trouve dur, il faut que les filles aient d'autres modèles féminins. Il va donc falloir mobiliser certaines femmes pour qu'elles viennent présenter leur métier. Les lycéennes découvriront alors que les métiers techniques sont passionnants et qu'il n'y a pas de métier interdit. Les choses évoluant du côté des employeurs, il y a surtout un travail à faire auprès des jeunes et des parents.

Vaut-il mieux promouvoir ou dénoncer ? En matière d'égalité salariale, il faut qu'on soit à la fois lucide et extrêmement résolu. Quand une loi n'a pas été appliquée pendant quarante-cinq ans, il faut être solide pour se dire qu'on va arriver à la mettre en oeuvre. Nous sommes très déterminés, c'est pourquoi il faut approcher le sujet de façon systémique. La question de l'orientation relève plutôt du moyen terme. À court terme, nous allons appliquer une sanction au résultat, ce qui sera très dur au début. Nous allons aussi publier la liste des meilleures et des moins bonnes pratiques. Dernièrement, j'ai accompagné le Président de la République avec Marlène Schiappa et Bruno Le Maire chez Gecina, société foncière qui est parvenue à l'égalité salariale en trois ans. Les dirigeants nous ont expliqué que la société est beaucoup plus attractive et plus performante qu'avant, que tout le monde était fier de travailler ensemble et qu'il fallait convaincre les entreprises d'assurer une égalité salariale pour des raisons économiques. Il faut d'ailleurs distinguer les entreprises pionnières qui procèdent déjà à l'égalité salariale, le peloton qu'on veut inciter à rejoindre le mouvement grâce à la loi et les retardataires qu'il faudra sanctionner. Nous avons déjà des pionniers mais pas encore de peloton. C'est en ce sens que la loi peut faire évoluer les choses en imposant une obligation de résultat. Ensuite, comme dans d'autres domaines, il faudra sanctionner ceux qui n'appliquent pas la règle.

S'agissant du label Égalité, s'il y a aujourd'hui beaucoup d'initiatives spontanées des entreprises en matière d'égalité, seules vingt par an demandent ce label. On ne peut donc pas dire qu'il ait eu beaucoup de succès. Cela s'explique notamment par l'existence du label Diversité qui, lui, couvre plusieurs champs, dont l'égalité, et qui se développe assez bien. Choisir entre un label spécifique et un label plus large fait toujours débat. Il n'est pas nécessaire que toutes les entités d'une entreprise adoptent la démarche du label Égalité mais au moins une partie afin de s'assurer que les recommandations corporate soient mises en oeuvre. Les partenaires sociaux ayant des propositions à faire pour améliorer le label Égalité, nous allons voir avec eux s'il ne vaudrait pas mieux faire de l'égalité femmes-hommes un sujet sur lequel on ne peut faire l'impasse pour obtenir le label Diversité. Ce dernier me semble en effet un instrument plus puissant que le label Égalité. Les entreprises ne vont pas se lancer dans l'obtention de deux labels et privilégieront celui qui vise aussi les discriminations contre le handicap et l'origine ethnique.

Ce que dit le Conseil d'orientation pour l'emploi – et d'autres travaux internationaux le confirment –, c'est que dans les dix ans qui viennent, environ 10 à 15 % des emplois vont disparaître du fait de la révolution numérique et de la transition écologique, que 10 à 20 % vont être créés et que 50 % vont être profondément transformés. Ces mutations de l'emploi, qui sont au coeur du plan investissement dans les compétences prévues par le projet de loi, s'expliquent par la révolution technologique. Si l'on n'accompagne pas les jeunes, les demandeurs d'emploi et tous les salariés, ils risquent d'être en difficulté. Au contraire, si l'on investit dans les compétences, cette évolution peut être un avantage formidable pour chacun, pour les entreprises et pour le pays tout entier. C'est pourquoi cette bataille stratégique en faveur des compétences est au coeur du projet de loi.

La question est de savoir quels secteurs seront concernés par ces mutations. Je prendrai un exemple qui, je pense, fera écho à vos craintes. L'e-commerce représente 20 % des transactions commerciales. On a donc besoin de moins de magasins – sauf quand ces derniers changent de nature pour devenir des showrooms, par exemple –, ce qui entraîne une perte d'emplois dans la distribution. Parallèlement, certains magasins spécialisés se renforcent au contraire, ce qui veut dire que le phénomène n'est pas absolu. En tout état de cause, l'e-commerce, pour lequel seule la commande est dématérialisée, fait exploser les besoins en transport et en logistique au point qu'on crée des plateformes logistiques partout dans le pays. Or, dans la répartition genrée traditionnelle, le transport et la logistique sont plutôt masculins et la distribution, plutôt féminine.

J'assistais hier au Conseil national de l'industrie auprès du Premier ministre et avec Bruno Le Maire. Il y a maintenant seize filières industrielles qui prennent part à la démarche et l'industrie recrée des emplois. Nous sommes convenus d'aider ces filières à prendre des engagements de développement des emplois et des compétences (EDEC), c'est-à-dire à faire de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au niveau d'une branche. Quatre filières l'ont fait, six sont en train de finaliser leur engagement et les six autres le feront par la suite. À partir de l'année prochaine, je demanderai que dans le cadre de tous les EDEC, on vérifie systématiquement si les emplois concernés sont majoritairement féminins ou masculins.

D'autres mesures pourront également être mobilisées. Nombre de femmes ont des emplois moins qualifiés et moins bien payés parce que quand le couple travaille, c'est le plus souvent la conjointe qui suit son conjoint – a fortiori si le couple projette d'avoir un enfant. C'est ainsi que les retards s'accumulent. C'est pourquoi la loi pour le renforcement du dialogue social promeut le télétravail, qui permet aux hommes et aux femmes de travailler dans n'importe quel village de France.

Il nous faudra aussi être attentif aux mutations des métiers : on recrée en effet des emplois dans le bâtiment, dans les transports, dans la logistique et dans l'industrie – tous métiers qu'exercent moins les femmes. De nombreux emplois vont également être créés dans le domaine des services à la personne, notamment du fait du vieillissement. Cependant, il ne faut pas que travailler dans ce secteur soit le seul choix possible pour les femmes car beaucoup d'entre elles ont envie de faire autre chose – en se l'autorisant plus ou moins. Il faudra veiller, compte tenu de ces mutations, à bien accompagner les femmes tant dans le cadre du processus de qualification que dans celui de notre stratégie compétences.

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