Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du jeudi 22 février 2018 à 10h10
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Le 24 janvier 2018, nous avons participé avec Coralie Dubost à une Conférence interparlementaire au Parlement européen, qui avait pour objectif de dresser le bilan de l'action de l'Union européenne sur les questions migratoires et de s'interroger sur les évolutions possibles de nos politiques.

M. Claude Moares, président de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen a convié des députés des parlements nationaux et des parlementaires européens à une réunion portant sur le thème des voies légales pour permettre aux migrants d'accéder au territoire de l'un des États membres de l'Union européenne et sur les mesures à envisager pour faciliter l'intégration des réfugiés et des migrants. Cette réunion a rassemblé quarante parlementaires nationaux provenant de seize États membres et d'un pays associé, la Norvège et environ vingt députés européens.

Quelques éléments de contexte pour comprendre pourquoi la Commission LIBE a souhaité inviter des parlementaires, des experts et des acteurs de la société civile qui se sont engagés en faveur de l'intégration des migrants, à venir débattre ensemble sur des sujets qui suscitent des controverses entre les États membres. Pour répondre à la crise migratoire qui a débuté à la fin 2014, la Commission européenne a présenté un plan d'action intitulé « Agenda européen pour la migration » en mai 2015. Ce document présentait des mesures à adopter d'urgence et d'autres, de moyen et long termes, organisées en quatre axes majeurs. Les quatre idées centrales portaient sur la lutte contre les passeurs qui encouragent l'immigration illégale, la sécurisation des frontières extérieures de l'Union européenne, la recherche d'une politique commune en matière d'asile pour éviter les mouvements secondaires de migrants et enfin une nouvelle politique de migration légale pour favoriser la mobilité de professionnels étrangers.

À cette date, la Commission européenne ne se focalisait pas sur la crise des réfugiés et prenait aussi en compte la question de l'immigration de travail. Elle faisait valoir qu'une pénurie de main-d'oeuvre qualifiée était observée dans des secteurs clés comme les sciences, les nouvelles technologies, l'ingénierie industrielle et les soins de santé. Elle ajoutait que l'Union serait en outre confrontée à des défis démographiques et économiques à longue échéance, la question du vieillissement étant néanmoins différente selon les États.

Elle préconisait alors une politique d'immigration professionnelle offensive pour que l'Europe reste une zone attractive pour les professionnels étrangers qualifiés en comparaison à l'attractivité des États Unis, du Canada ou de certains pays d'Asie. Mais la gravité de la crise des réfugiés a conduit la Commission européenne et surtout le Conseil européen à infléchir fortement leur stratégie migratoire. La gestion de cette crise a amené les États membres à décider de mesures en priorité axées sur la sécurité et la maîtrise des frontières extérieures de l'Union européenne. Le thème des voies légales pour entrer en Europe (le regroupement familial par exemple) et plus encore celui de l'immigration de travail ou de la formation ont été occultés.

C'est pourquoi la Commission LIBE du Parlement européen a voulu organiser cette rencontre pour évoquer des sujets qui ont été peu évoqués dans les derniers Conseils européens alors qu'ils représentent un enjeu majeur si l'Union européenne se dote d'une stratégie globale et cohérente qui puisse apporter un bénéfice aussi bien aux pays européens qu'aux pays d'origine de ces migrants.

J'en viens maintenant à un bref résumé de mon intervention qui portait sur les voies légales d'entrée sur le territoire de l'Union européenne.

J'ai félicité la Commission LIBE d'avoir organisé ce débat car il m'a paru important que des parlementaires de différents États membres puissent s'écouter et confronter leurs points de vues, parfois de façon assez abrupte.

Le dialogue est parfois difficile entre les pays de l'ouest de l'Europe et ceux situés plus à l'est car nos histoires nationales ne sont pas du tout les mêmes. Certains pays sont des pays d'immigration depuis très longtemps alors que d'autres n'ont pas connu ce phénomène de façon aussi marquée. De plus, certains pays comme la Grèce, l'Italie ou Malte, du fait de leur situation géographique, font face à des flux migratoires très importants depuis 2015 et se sont sentis quelque peu délaissés par les autres États membres qui n'ont pas voulu comprendre combien cette crise migratoire pouvait mettre à mal la cohésion sociale de certains territoires.

J'ai ensuite souligné le caractère international, et pas seulement européen, des crises migratoires que nous connaissons et que confirment les données internationales (notamment celles de l'OCDE).

Ces crises naissent de conflits et de tensions internationales dont les enjeux diplomatiques et économiques dépassent très largement la capacité et la légitimité de l'Europe à les traiter seule. Ne pas impliquer la communauté internationale, l'ONU et son Conseil de sécurité, les organisations inter étatiques régionales et les États impliqués directement ou indirectement dans les migrations serait une erreur.

Notre défi aujourd'hui pour les pays membres de l'Union est de devoir gérer en même temps des situations d'urgence et de nous projeter à moyen et plus long termes pour organiser intelligemment les flux migratoires.

De plus, selon les États membres, nous n'avons pas la même lecture de la Convention de Genève et nous avons donc de fortes divergences pour adopter la réforme du droit d'asile actuellement en discussion au Parlement européen. Cette réforme devrait nous conduire à une plus forte intégration du régime d'asile en donnant des pouvoirs plus importants à la future Agence pour l'Asile. Le droit est souvent et largement une question d'interprétation.

Nous devons aujourd'hui nous demander lucidement pourquoi nous avons du mal à accepter que la politique migratoire devienne une véritable politique commune de l'Union européenne.

Si les États membres ont compris l'impérieuse nécessité d'avoir une gestion plus intégrée des frontières extérieures de l'Union et ont renforcé les pouvoirs de l'Agence Frontex, ils sont encore très réticents à avoir une politique commune de l'Asile et plus encore une politique commune d'immigration légale. Cette situation résulte, selon moi, de l'insuffisance d'une politique extérieure commune. C'est un autre problème mais cela a un impact sur nos positions en matière de migrations.

En quoi favoriser des voies légales pour arriver sur le territoire de l'Union européenne représenterait un progrès pour les migrants ?

Le premier avantage est d'éviter des voyages périlleux et le recours à des passeurs. Il me paraît primordial de trouver des solutions pour permettre aux demandeurs d'asile de pouvoir accéder au territoire de l'Union européenne de manière sécurisée sans redouter des voies dangereuses et une criminalité organisée ainsi que le risque de se retrouver bloqués dans des hotspots ou à proximité sans aucune perspective d'intégration réelle.

Deux mécanismes doivent être développés pour réduire les incitations à ces voyages mortifères, à savoir le renforcement des mécanismes de réinstallation et le développement de programmes d'admission humanitaire volontaire, notamment au départ de la Turquie.

Dès 2015, la Commission européenne a organisé un mécanisme de réinstallation en complément du mécanisme de relocalisation qui visait à soulager les pays de premier accueil des réfugiés.

On peut ainsi rappeler que sur les 22 500 réinstallations approuvées par le Conseil européen de juillet 2015, 81 % ont été réellement effectuées. Mais il faut aujourd'hui renforcer cette démarche, comme l'a demandé récemment la Commission européenne en octobre 2017, l'objectif fixé était que les États membres offrent 50 000 places et il semble que 16 États membres seulement aient répondu à cet appel pour atteindre une offre de 34 000 places de réinstallation.

Derrière ces chiffres, gardons à l'esprit qu'il y a des situations humaines dramatiques comme l'évacuation des migrants bloqués ou rançonnés en Libye en collaboration avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Ces différents mécanismes de réinstallation ont été conçus comme des solutions temporaires. Il paraît important de trouver un cadre stable et évolutif pour organiser ces réinstallations et définir des critères harmonisés entre États membres pour accueillir des personnes déplacées et en besoin dûment constaté de protection internationale. C'est l'objet du projet de Règlement qu'a proposé la Commission européenne et qui fait partie du paquet asile actuellement en cours de négociation.

Développer fortement le recours à la réinstallation présente un autre avantage par rapport à la situation actuelle. Grâce à l'action du HCR et de la présence de l'OFPRA, par exemple pour la France dans ces camps de réfugiés au Liban ou au Niger, il est possible de repérer des personnes en situation d'extrême vulnérabilité comme des mineurs isolés ou des personnes souffrant de pathologies graves qui peuvent alors bénéficier de procédures accélérées pour obtenir une autorisation de transfert sécurisé vers la France par exemple, où ils pourront ensuite déposer une demande d'asile ou obtenir un visa à titre humanitaire.

Je ne m'étendrai pas sur le deuxième volet, c'est-à-dire la possibilité d'offrir des visas d'entrée dans un des États membres pour des raisons humanitaires car il s'agit d'une question qui devra être approfondie au plan technique pour savoir s'il est préférable que chaque État membre garde une marge d'appréciation pour évaluer les critères pour délivrer ces visas ou s'il faut plutôt s'orienter vers des critères harmonisés et partagés au sein de l'Union européenne.

J'ai conclu mon propos en soulignant que sans l'Union européenne, la crise migratoire de 2015 aurait été sans nul doute bien pire et son action a permis de sauver des vies et de trouver des réponses coordonnées, même imparfaites.

L'Union européenne doit aussi se projeter à moyen terme et se rendre compte que certains pays du fait de leur vieillissement démographique auront besoin d'une immigration économique et que l'Europe a tout intérêt à organiser une immigration de travail régulée Comme le suggérait récemment Yves Pascouau, universitaire, spécialiste des questions migratoires, il faut certainement dépasser l'opposition simple entre droit d'asile et immigration pour tenir compte de la complexité des phénomènes migratoires et des conditions qui les déterminent.

Il faut, dans le même esprit, repenser et redynamiser les politiques de développement entre l'Europe et ses voisins d'Afrique et du Moyen Orient avec pour objectif premier d'organiser un développement régional fondé sur la réalisation d'infrastructures durables et la création d'entreprises de proximité pour réduire la pauvreté. L'Union européenne doit promouvoir un codéveloppement large, appuyé sur une gouvernance démocratique. Sans visée démocratique il n'y aura pas de développement partagé. Pour cela il faut expérimenter, avoir des politiques publiques puissantes, s'associer et prendre appui sur les acteurs locaux.

Réussir ce défi aura aussi pour effet de mieux réguler une part des migrations venues des États voisins de l'Union européenne.

Je passe maintenant la parole à M. Ludovic Mendes qui se fera l'interprète de Mme Coralie Dubost.

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