Je vais donc vous présenter ce que voulait dire ma collègue Dubost.
C'était la première fois qu'elle assistait à une réunion interparlementaire réunissant des élus des parlements nationaux et des parlementaires européens. Cette rencontre lui a paru intéressante à plusieurs titres. Elle lui a d'abord permis de comprendre que, sur le thème de la politique migratoire, les différentes instances européennes à savoir la Commission européenne, le Conseil qui représente les chefs d'État des différents États membres et le Parlement européen, n'avaient pas la même approche.
Face à la crise migratoire de la fin 2014 et de 2015, l'Union européenne a manqué de sens de l'anticipation, mais elle a cherché à adopter une stratégie globale pour répondre à cette nouvelle réalité d'un afflux massif de réfugiés via la Grèce, l'Italie et la route des Balkans. Il faut rappeler qu'à la suite des printemps arabes la Commission européenne avait déjà présenté une Communication expliquant la stratégie de l'Union européenne pour « une approche globale de la question des migrations et de la mobilité » dans un document datant du 18 novembre 2011. Mais dans les faits, l'Union européenne a rencontré de grosses difficultés à donner un contenu concret à une coopération en matière d'immigration légale avec les pays tiers, surtout lorsque le marché du travail de certains États membres était fortement fragilisé par le chômage.
En mai 2015, en pleine crise des réfugiés, la Commission européenne a présenté une nouvelle Communication intitulée « Agenda européen pour la migration ». Parmi les mesures d'urgence adoptées, on peut rappeler les opérations de sauvetage en mer Méditerranée menées par Frontex, comme l'opération Triton en Méditerranée centrale ou l'opération Sophia dont l'objectif était avant tout sécuritaire pour lutter contre les réseaux de passeurs. L'Union a aussi cherché à renforcer la solidarité entre les États membres dans l'accueil des réfugiés en créant le mécanisme de relocalisation afin de soulager la Grèce et l'Italie du poids de l'accueil et de l'instruction des demandes d'asile. Ce mécanisme ne s'appliquait qu'aux personnes en besoin manifeste de protection internationale, c'est-à-dire les ressortissants Syriens, Irakiens et Érythréens.
Peu de temps après, les États membres, en juillet 2015, ont décidé d'adopter un mécanisme de réinstallation portant sur 22 500 personnes sur deux ans, qui se trouvaient dans des camps de réfugiés à l'extérieur de l'Union européenne et que le HCR avait identifié comme devant faire l'objet d'une mesure de protection. Le principal avantage de ce mécanisme est de permettre aux réfugiés d'éviter un voyage périlleux et illégal vers l'Union européenne puisque dans ce cas-là il leur est attribué par le pays européen d'accueil une autorisation de séjour en vue de déposer une demande d'asile. Les États membres se sont opposés à la Commission européenne qui voulait imposer des quotas de relocalisations selon des critères socioéconomiques et au final certains pays du groupe de Višegrad n'ont jamais respecté leurs engagements.
La crise migratoire ayant continué à s'aggraver au cours de l'année 2015, la gestion de l'urgence migratoire a mis au second plan les autres aspects de la politique migratoire. Toutes les mesures adoptées en 2016 notamment ont visé à renforcer les capacités de l'Union européenne à se préserver contre les flux migratoires comme par exemple l'adoption d'un règlement renforçant les missions de l'Agence Frontex ou la mise en place des hotspots pour être en mesure d'enregistrer les empreintes digitales des réfugiés qui arrivaient en Grèce ou en Italie et limiter ainsi les mouvements secondaires de migrants à destination de l'Allemagne ou de la Grande Bretagne. Cette réaction défensive de l'Union européenne renforcée par la montée des populismes et une opinion publique parfois violemment anti « bruxelloise » a conduit à ce que les questions relatives à l'immigration professionnelle et aux mécanismes de regroupement familial soient passées au second plan.
La Commission LIBE a tenté de s'opposer à cette évolution en faisant adopter une résolution par le Parlement européen le 12 avril 2016 demandant une approche globale de la stratégie migratoire de l'Union et assurant des voies légales d'accès au territoire de l'Union, notamment via un dispositif pérenne et contraignant définissant des critères communs à tous les États membres pour favoriser la réinstallation de réfugiés (point 22 de la résolution).
Jusqu'au premier semestre 2017, la Commission européenne a paru privilégier la gestion de l'urgence et a été confrontée à de fortes oppositions lorsqu'elle a présenté sa réforme du droit d'Asile. Pour ces raisons, les autres aspects de la politique migratoire sont passés au second plan mais aujourd'hui le discours politique du Commissaire Dimitris Avramopoulos, qui est intervenu à la Conférence, a changé. Il a plaidé pour une stratégie migratoire de long terme, structurée et durable. Il s'est félicité des progrès de l'Union européenne : depuis 2016, les deux régimes de réinstallation européens ont permis à 60 000 réfugiés de trouver un abri en Europe. L'Union européenne a en outre lancé un régime d'aide supplémentaire pour 50 000 personnes afin qu'elles soient réinstallées à l'horizon d'octobre 2019, avec un investissement communautaire évalué à 500 millions d'euros. Le Commissaire a estimé indispensable de réformer le régime commun d'asile pour parvenir à un régime juridique le plus intégré possible, tout en reconnaissant que certains aspects de cette réforme suscitaient de fortes oppositions. Son objectif politique est néanmoins de parvenir à un accord sur le sujet en juin 2018, au terme de la présidence bulgare. Il a également évoqué les atouts que représentent les migrations pour l'avenir de l'Europe, confrontée à des difficultés économiques et démographiques. C'est précisément dans cette perspective que la Commission a renforcé en 2016 le dispositif « de la carte bleue européenne ».
Le projet de réforme de la directive carte bleue qui vise à attirer de la main-d'oeuvre étrangère hautement qualifiée était resté en suspens depuis deux ans. Désormais, la Commission semble déterminée à faire avancer ce dossier et elle semble prête à aller dans le sens de la demande du Parlement européen qui a suggéré que la directive concerne aussi certains métiers ciblés de moindre qualification où il y a des pénuries de main-d'oeuvre identifiées. Le Parlement souhaiterait aussi qu'il ne puisse plus exister de systèmes nationaux « concurrents » de ce dispositif.
Au cours de la conférence, M. Dimitris Avramopoulos a fait part de son souhait de parvenir à un compromis ambitieux sur ce sujet d'ici juin 2018 et il a bien souligné qu'il ne s'agissait pas avec cette réforme, de dicter à chaque État membre combien de travailleurs étrangers hautement qualifiés il devait accepter, mais bien d'harmoniser au niveau de l'Union les critères d'attribution de cette carte bleue et de la rendre plus attrayante par rapport aux dispositifs similaires existants aux États Unis ou au Canada.
Mme Coralie Dubost a été frappée par les profondes divergences entre les pays de l'ouest de l'Europe et ceux de la partie orientale tout particulièrement ceux appartenant au groupe de Višegrad. Concernant l'accueil des réfugiés, plusieurs pays ont redit leur forte opposition à tout mécanisme de solidarité obligatoire visant à répartir des quotas de demandeurs d'asile selon des critères socio-économiques en échange d'une aide financière attribuée selon le nombre de réfugiés accueillis. La Hongrie comme la Pologne ont fait valoir que chaque État membre avait des spécificités démographiques et de marché de travail national et que donc la politique migratoire devait rester essentiellement nationale et non intégrée au niveau communautaire.
Plusieurs parlementaires ont aussi fait valoir que, pour lutter contre les populismes, il fallait que l'Union européenne montre son efficacité à sécuriser les frontières extérieures de l'Union européenne et à organiser efficacement les retours des déboutés du droit d'asile ou des migrants clandestins. C'est un préalable indispensable pour que les citoyens européens gardent confiance dans le côté « protecteur » de l'Union européenne. Un député maltais a souligné l'importance d'avoir plusieurs outils pour gérer les flux migratoires afin de parvenir progressivement à ne plus subir des arrivées incontrôlées, mais à pouvoir organiser plusieurs dispositifs légaux (réinstallations, visas humanitaires, différents types d'immigration de travail, mécanismes de regroupement familial, ...). Enfin, plusieurs parlementaires ont évoqué la nécessité de revoir la politique des retours. Ils ont aussi fait valoir que certains réfugiés n'avaient pas vocation à demeurer durablement en Europe une fois la paix revenue dans leur pays d'origine. Faut–il alors privilégier des retours volontaires avec une aide financière pour permettre une réinsertion dans le pays d'origine avec un pécule pour lancer une activité professionnelle ?
Concernant les mesures favorisant l'intégration des personnes migrantes, il semble faire consensus que cet aspect-là de la politique migratoire restera de la compétence exclusive des États membres même si l'Union a déjà contribué et continuera par différents mécanismes financiers à apporter un soutien aux pays qui doivent dépenser le plus en infrastructures ou en investissement éducatif , pour accueillir les populations migrantes.
Devant la violence de certaines déclarations et le « front commun » organisé de certains pays de l'Est de l'Europe, on peut se demander si les parlementaires français n'auraient pas intérêt à trouver des alliés pour préparer en amont ces conférences interparlementaires et plus largement les futures négociations sur le paquet asile par exemple. Il semble important que les parlementaires qui veulent aller vers plus d'intégration de la politique migratoire de l'Union européenne soient en mesure de mieux communiquer pour porter ensemble des arguments pour contrer le discours anti européen des pays appartenant au groupe de Višegrad.