La relance de l'Europe de la Défense a pris la forme de plusieurs initiatives fortes que le rapport présente en détail. Celles-ci s'organisent autour de trois axes.
Le premier axe est le renforcement des capacités militaires de l'Union à travers deux initiatives. La première est le lancement de la coopération structurée permanente qui constitue, depuis le traité de Lisbonne, le cadre d'une coopération militaire entre les États membres. Elle n'avait jamais été mise en oeuvre, faute de volonté politique de leur part. C'est désormais le cas depuis le 11 décembre dernier. Concrètement, cette CSP rassemble tous les États membres, sauf le Royaume-Uni, le Danemark et Malte, qui coopèreront sur 17 projets visant à renforcer les capacités européennes de Défense. Toutefois, au-delà de la CSP, ce renforcement des capacités de Défense serait largement inopérant du point de vue européen s'il se faisait de manière désordonné, chacun des États membres définissant ses besoins et décidant de ses investissements sans tenir compte de ceux des autres. C'est à ce manque de coordination que l'Union européenne doit de faire cohabiter, dans ses armées nationales, 17 types de chars de combat lourds, 29 types de destroyers et de frégates et 20 types d'avions de chasse différents. C'est pourquoi une deuxième initiative a été mise en oeuvre : une revue annuelle coordonnée de Défense permettant un suivi complet des politiques de Défense des États membres, un peu comme le semestre européen en matière de coordination des politiques économiques.
Le deuxième axe est l'augmentation des financements pour renforcer la compétitivité de l'industrie européenne de Défense. En effet, il y aurait une incohérence majeure si l'Union, pour renforcer ses capacités militaires, devait se fournir en matériels et technologies auprès de pays tiers et plus encore si les différentes entreprises européennes de Défense se montraient incapables de coopérer entre elles ou de réaliser les investissements nécessaires.
Trois initiatives ont été lancées à cette fin :
– le programme européen de développement de l'industrie de défense, doté de 500 millions d'euros. À compter de 2021, un Fonds européen de Défense, doté lui d'un milliard d'euros supplémentaires par an, prendra la suite, pour financer le développement pour aider les États membres à acquérir des matériels militaires ;
– la promotion des investissements dans les PME, les start-up, les ETI et les autres fournisseurs de l'industrie de Défense, qui pourront bénéficier des prêts de la BEI et des fonds structurels ;
– enfin, le renforcement du marché unique de la Défense par une application plus stricte des deux directives sur les transferts des produits liés à la défense et sur les procédures de passation des marchés publics dans les domaines de la défense et de la sécurité.
Enfin, le dernier axe est le renforcement de la coopération UE-OTAN depuis le sommet de Varsovie en juillet 2016. Ce sommet a défini sept domaines de coopération, principalement dans le domaine de la cyberdéfense et de la lutte contre les menaces hybrides.
L'ensemble de ces initiatives va dans le bon sens et il faut se réjouir qu'elles aient été lancées. Toutefois, notre rapport attire l'attention sur une série de risques pouvant menacer leur succès.
Le lancement de la Coopération structurée permanente constitue un indéniable succès. Toutefois, loin d'être un noyau dur d'États membres particulièrement investis dans les questions de Défense, elle rassemble la quasi-totalité des États membres. L'unanimité étant de mise pour la prise des décisions, des compromis seront nécessaires et sont déjà visibles dans les 17 projets qui ont été retenus. Bien qu'utiles, ils manquent singulièrement d'ambition. Surtout, la CSP a un objet avant tout capacitaire et ne comporte pas vraiment d'engagement visant à renforcer le caractère opérationnel de la PSDC. Or l'exemple des groupements tactiques, qui s'entraînent depuis 2005 sans jamais avoir été déployés sur le terrain, est de mauvais augure.
Le deuxième risque que met en évidence le rapport est le risque financier. Beaucoup d'argent a été promis à la PSDC mais, en matière financière, l'unanimité est de mise. Or les négociations du prochain cadre financier pluriannuel s'annoncent encore plus conflictuelles qu'à l'ordinaire compte tenu du « trou » laissé dans le budget européen par le Brexit. Si le budget européen devait diminuer, les États membres devront s'accorder sur les politiques mises à contribution. Il est à craindre que la PSDC se retrouve l'otage des tractations budgétaires et des intérêts nationaux.
Enfin, le troisième risque porte sur l'industrie européenne de défense. Si tout le monde veut renforcer sa compétitivité, il n'est pas sûr que les moyens mis en oeuvre y parviennent. En effet, le risque est évident que le fonds européen de défense soit considéré comme un fonds structurel et, à ce titre, soumis à la règle du « juste-retour ». Au cours de notre déplacement à Prague, Varsovie et Tallinn, ces pays n'ont rien caché de leur volonté de voir leurs entreprises nationales bénéficier de ses financements.
Le risque est ainsi que les projets financés par l'Union le soient non parce qu'ils sont les plus appropriés aux besoins futurs des armées européennes, mais parce qu'ils permettent à l'ensemble des industries nationales de bénéficier de ses financements, ce qui pourrait impliquer d'écarter les projets de grande ampleur ou, au contraire, très pointus, qui ne seraient accessibles qu'à quelques entreprises européennes technologiquement avancées. Dès lors, les fonds européens ne contribueraient pas tant à la consolidation de l'industrie européenne de Défense qu'au maintien à flot des industries nationales, en contradiction totale avec l'ambition de la Commission européenne.