Intervention de Thomas von Danwitz

Réunion du jeudi 22 mars 2018 à 10h00
Commission des affaires européennes

Thomas von Danwitz, président de Chambre à la Cour de Justice de l'Union européenne :

Merci beaucoup, Mme la présidente, de l'honneur que vous me faites avec cette invitation. Je parlerai essentiellement des accords de libre-échange, mais je suis disposé à répondre à des questions d'ordre plus général, comme celles du Brexit ou celles qui sont relatives aux questions préjudicielles.

Les accords de libre-échange « nouvelle génération » négociés à l'heure actuelle par l'Union européenne représentent un volet de l'action extérieure de l'Union méritant toute l'attention qui lui est accordée par les institutions politiques de l'Union et celles des États membres, ainsi que par l'opinion publique en général. C'est dans cet esprit que je me réjouis de l'intérêt que porte la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale française à la contribution de la Cour de Justice de l'Union européenne à la conclusion et à la mise en oeuvre de tels accords, de sorte que j'ai bien volontiers répondu à votre invitation.

Aux termes de l'article 207, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), la politique commerciale commune doit être menée dans le cadre des principes et objectifs de l'action extérieure de l'Union. S'agissant de ces principes et objectifs, l'article 3, paragraphe 5, du Traité sur l'Union européenne, prévoit que « dans ses relations avec le reste du monde, l'Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts et contribue à la protection de ses citoyens. Elle contribue à la paix (…), au développement durable de la planète, à la solidarité (…), au commerce libre et équitable, à l'élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l'homme, en particulier ceux de l'enfant, ainsi qu'au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations Unies ».

L'objectif de promouvoir les principes et valeurs de l'Union dans le cadre de la politique commerciale commune est ainsi inscrit dans les traités, qui constituent « la charte constitutionnelle de base », au respect de laquelle la Cour de Justice de l'Union européenne doit veiller. Composée de vingt-huit juges et onze avocats généraux, la Cour de Justice a pour mission, d'une part, d'assurer le respect de la légalité par les institutions de l'Union dans l'exercice de leurs pouvoirs importants. À cette mission s'ajoute un véritable contrôle de « constitutionnalité » de la législation de l'Union élaborée par les institutions et, notamment, par le Parlement et le Conseil, contrôle qui s'exerce au regard des dispositions des traités, des principes généraux qui résultent des traditions communes des États membres et, en particulier, des droits fondamentaux. C'est cette dernière tâche, consistant à assurer la protection des droits fondamentaux, qui a été couronnée par l'entrée en vigueur, avec le Traité de Lisbonne, de la Charte des droits fondamentaux.

D'autre part, la Cour de Justice a également pour mission d'assurer le respect par les États membres de leurs obligations communautaires, notamment par le biais du recours en manquement intenté par la Commission européenne. En parallèle, la vigilance des particuliers quant au respect des droits que leur confère l'Union s'est avérée, au fil des années, constituer un outil particulièrement important pour assurer la bonne application du droit de l'Union à l'intérieur des États membres. C'est par l'instrument du renvoi préjudiciel que, en cas de doute sur l'interprétation d'un acte de l'Union ou même sur sa validité, toute juridiction nationale peut, ou doit, s'adresser à la Cour de Justice, ce qui permet de parvenir à l'interprétation définitive et uniforme du droit de l'Union. Ce dialogue de juge à juge constitue la voie royale d'accès à la Cour de Justice, plus de la moitié des 700 affaires traitées en 2017 correspondant à des questions préjudicielles (environ 450), le reste étant principalement des pourvois contre des arrêts du Tribunal (194).

Or, parmi les voies d'accès à la Cour de Justice, figure la possibilité, rarement utilisée plus d'une fois par an, de recueillir son avis sur la compatibilité d'un accord international envisagé par l'Union européenne avec les traités. C'est, pourtant, par cette procédure que la Cour de Justice est le plus souvent amenée à connaître des accords externes de l'Union en matière commerciale, comme c'est le cas pour les accords de libre-échange « nouvelle génération » de l'Union, tels que ceux avec Singapour ou avec le Canada, dit « CETA ». Ceci s'explique par les spécificités de la matière et de cette procédure. J'en dirai quelques mots avant d'aborder les thématiques récentes que la Cour de Justice a pu élaborer à l'occasion de l'examen des accords commerciaux, en l'occurrence concernant l'aménagement des compétences de l'Union dans le cadre des relations extérieures et les mécanismes de règlement des conflits en matière d'investissement.

Avant tout en raison du caractère moniste de l'ordre juridique de l'Union, selon lequel les dispositions d'un accord international conclu par l'Union forment partie intégrante de l'ordre juridique de celle-ci, à partir de son entrée en vigueur, la procédure d'avis constitue le mode privilégié de saisine de la Cour de Justice pour ce qui est des accords externes en matière commerciale. Il s'agit notamment de prévenir les complications qui résulteraient de contestations en justice, relatives à la compatibilité avec les traités, d'accords internationaux engageant l'Union. En effet, si la Cour de Justice peut également être saisie de recours contre les actes d'autorisation de signature et de conclusion des accords, voire dans le cadre de leur exécution, une décision judiciaire d'incompatibilité à ce stade ne manquerait pas de créer, sur le plan non seulement interne de l'Union, mais également des relations internationales, des difficultés sérieuses et risquerait de porter préjudice à toutes les parties intéressées, y compris les États tiers. La responsabilité de l'Union pourrait même, le cas échéant, être engagée pour non-respect de ses obligations internationales.

Intervenant en dehors d'un litige, la demande d'avis relève de la collaboration interinstitutionnelle et donne lieu à un contrôle ex ante ressemblant, dans ses grandes lignes, à la fonction consultative pratiquée par les Conseils d'État dans les États membres qui adhèrent à cette belle tradition française. Réservée aux États membres, au Parlement européen, au Conseil et à la Commission, qui eux-mêmes ne l'utilisent que pour des questions d'une importance interinstitutionnelle particulière, la procédure d'avis a permis à la Cour, au fil du temps, de rendre des décisions de grande importance pour l'évolution du droit de l'Union. Consciente de cette importance, la Cour statue toujours sur les demandes d'avis en assemblée plénière ou en formation de grande chambre, composée de quinze juges, alors que la majorité des affaires juridictionnelles au sens strict est traitée par des chambres à cinq ou trois juges. En outre, la Cour de Justice se montre particulièrement soucieuse de veiller au respect de la cohérence du droit de l'Union et de son évolution future dans le cadre de cette procédure.

La question de la politique commerciale commune et des accords de libre-échange « nouvelle génération » revêt sans conteste, à l'heure actuelle, une grande importance. Face à l'inquiétude inspirée par la mondialisation, aux défis du Brexit et à la nouvelle stratégie commerciale des États-Unis, la Cour est consciente des enjeux que de tels accords représentent pour l'Union, pour la croissance économique et la prospérité, ainsi que de la nécessité de permettre, par des instruments juridiques, une régulation pourtant cruciale des différents intérêts économiques, sociaux et politiques auxquels l'Europe se trouve confrontée. C'est pourquoi elle a rendu son avis 215, relatif à l'accord avec Singapour, en assemblée plénière et siégera, probablement, également en formation plénière pour l'avis 117 concernant le CETA. En cas d'avis négatif, l'accord envisagé ne peut entrer en vigueur, sauf modification de celui-ci ou révision des traités. La révision du droit primaire étant une hypothèse à caractère exceptionnel, un avis négatif conduit soit à l'abandon du projet, soit à une modification permettant de neutraliser l'incompatibilité avec les traités constatée par la Cour. En cas d'avis positif, en revanche, l'accord pourra être conclu et sera intégré au bloc de légalité de l'Union dès son entrée en vigueur, liant les institutions de l'Union et les États membres et pouvant même être invoqué directement, sous des conditions bien précises, par les particuliers.

Je terminerai cette première partie de ces observations en soulignant que, en matière d'accords commerciaux, jusqu'à présent, la Cour de Justice a essentiellement été saisie de questions de compétences, de procédure ou d'organisation institutionnelle de l'Union, alors que des questions matérielles peuvent également lui être posées, pour autant qu'elles soient de nature à provoquer des doutes quant à la compatibilité de l'accord envisagé au regard des traités. L'avis 115 relatif à l'accord PNR entre l'Union et le Canada lui a permis, pour la première fois, de se prononcer sur la compatibilité d'un projet d'accord international avec la Charte, en particulier avec le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel, cette demande d'avis constituant, d'ailleurs, la première émanant du Parlement européen. Si des questions relatives aux droits fondamentaux peuvent également être posées en matière d'accords commerciaux extérieurs, tels que le démontre la demande d'avis 117 de la Belgique portant sur le CETA, il convient d'observer que les dispositions de la Charte relatives, notamment, à la liberté d'entreprise, au droit de propriété et aux droits sociaux, sont rédigées de telle manière qu'elles peuvent permettre, le cas échéant, de tenir compte du contexte spécifique des accords commerciaux dans lequel leur interprétation interviendrait.

La première thématique que la Cour a pu élaborer dans le domaine des accords externes en matière commerciale, essentiellement dans le cadre de la procédure d'avis, concerne la nature et la répartition des compétences de l'Union. Si, dans son avis 194, la Cour s'était prononcée concernant la compétence de la Communauté pour conclure les divers accords annexés à l'accord instituant l'OMC, l'avis 215 revêt une grande importance en ce qu'il traite de l'étendue des compétences exclusives de l'Union en matière de commerce extérieur, suite à la nouvelle définition de la politique commerciale commune élargie par le Traité de Lisbonne en 2009, question soulevée pour la première fois par l'accord de libre-échange avec Singapour. Cet avis comporte des enseignements précieux pour le projet d'accord « CETA », ainsi que d'autres projets en matière de commerce extérieur.

L'avis 215 permet d'abord de clarifier les contours de la politique commerciale commune, selon cette nouvelle définition, pour laquelle l'Union dispose d'une compétence externe exclusive en vertu de l'article 3, paragraphe 1, sous e), TFUE, en exigeant un lien spécifique avec les échanges. En relèvent les stipulations de l'accord envisagé relatives à l'accès au marché de l'Union et de Singapour concernant les marchandises et les services, y compris dans le secteur des marchés publics, aux aspects commerciaux de la propriété intellectuelle, aux investissements étrangers directs, c'est-à-dire aux investissements qui donnent la possibilité de participer effectivement à la gestion ou au contrôle d'une société exerçant une activité économique en matière de concurrence et de développement durable.

Sur la question du développement durable, la Cour de Justice a constaté que suite à l'évolution du droit primaire, l'objectif de développement durable, dont la protection sociale des travailleurs et la protection de l'environnement sont des composantes, fait désormais partie intégrante de la politique commerciale commune de l'Union. À cet égard, outre les éléments classiques des accords de commerce, tels que la réduction des obstacles tant tarifaires que non tarifaires aux échanges de marchandises et de services, cet accord « nouvelle génération » comporte des dispositions portant sur d'autres aspects considérés comme pertinents, voire indispensables pour ces échanges.

À titre d'exemple, l'Union et Singapour se sont engagés à assurer que leurs échanges commerciaux aient lieu dans le respect des obligations découlant des conventions internationales en matière de protection des travailleurs et de protection de l'environnement auxquelles elles sont parties, telles que l'Organisation internationale du travail. Ainsi, certaines dispositions prévoient l'obligation d'appliquer de manière effective les principes concernant les droits fondamentaux au travail, comme la liberté d'association, la reconnaissance effective du droit de négociation collective, l'élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire, l'abolition effective du travail des enfants ainsi que l'élimination de la discrimination en matière d'emploi et de profession. D'autres portent sur l'obligation de lutter contre le commerce du bois et des produits dérivés issus d'une récolte illégale, de pratiquer une exploitation durable des stocks halieutiques ou de lutter contre la pêche illicite.

La Cour de Justice estime que ces dispositions régissent les échanges commerciaux et sont de nature à avoir des effets directs et immédiats sur eux, ces effets résultant de l'engagement des parties, d'une part, à ne pas encourager le commerce en abaissant le niveau de protection sociale et environnementale sur leur territoire respectif en dessous des standards prévus par les engagements internationaux et, d'autre part, à ne pas mettre en oeuvre ces standards de manière protectionniste. En outre, il serait peu cohérent de considérer que les dispositions libéralisant les échanges entre l'Union et un État tiers relèvent de la politique commerciale commune et que celles qui visent à assurer que cette libéralisation des échanges s'opère dans le respect du développement durable n'en relèvent pas. Dans ces conditions, ces dispositions, ayant pour objet de régir les échanges commerciaux conformément à l'objectif de développement durable, et non pas de réglementer les niveaux de protection sociale et environnementale sur le territoire respectif des parties, relèvent bien de la politique commerciale commune.

Il ressort par ailleurs de l'avis 215 que l'Union dispose également d'une compétence externe exclusive pour les dispositions de l'accord portant sur les services de transport maritime, ferroviaire ou par route, qui relèvent de la politique commune des transports, en vertu de l'article 3, paragraphe 2, TFUE, dans la mesure où ledit domaine est déjà couvert en grande partie par des règles communes de l'Union et où les engagements contenus à ce sujet dans ledit accord sont susceptibles d'affecter ou d'altérer la portée de ces règles. À cet égard, la Cour s'est référée à sa jurisprudence relative au parallélisme des compétences internes et externes.

Au final, deux volets de l'accord relèvent d'une compétence partagée avec les États membres. Le premier constitue le domaine des investissements étrangers autres que directs, correspondant aux investissements dits « de portefeuille », dans l'intention de réaliser un placement sans influer sur la gestion et le contrôle de l'entreprise. L'accord vise par exemple certaines catégories d'investissements immobiliers ou de recours à l'emprunt, pouvant, à l'instar d'une acquisition de titres de société, impliquer des mouvements de capitaux ou des paiements. S'il s'agit de mouvements de capitaux au sens de l'article 63 TFUE, la Cour rejette notamment l'argument de la Commission proposant de faire jouer le principe d'affectation vis-à-vis de cette disposition du traité.

Le second volet de l'accord avec Singapour échappant à la compétence exclusive de l'Union constitue le régime de règlement des différends entre investisseurs et États. À cet égard, s'agissant du mécanisme en cause dans cet accord, la Cour de Justice a constaté que non seulement l'Union, mais également les États membres, sont susceptibles d'être soumis à une procédure d'arbitrage en tant que parties adverses par des investisseurs singapouriens. Elle est ainsi d'avis qu'un tel régime, qui soustrait des différends à la compétence juridictionnelle des États membres pour les soumettre à une telle procédure d'arbitrage, ne saurait revêtir un caractère purement auxiliaire aux échanges commerciaux, ni dès lors, être instauré sans le consentement de ceux-ci.

La Cour est appelée à examiner cette dernière question plus en détail dans la mesure où la Belgique vient de la saisir d'une demande d'avis portant sur la compatibilité avec les traités, y compris les droits fondamentaux, des dispositions du CETA portant sur le règlement des différends relatifs aux investissements entre investisseurs et États, dit « ICS ». Si les dispositions « commerciales » du CETA sont déjà entrées en vigueur à titre provisoire, tel n'est pas le cas de ces dispositions. À cet égard, la Cour a précisé dans l'avis 215, que ledit avis ne préjugeait pas de la question de savoir si le contenu des dispositions de l'accord envisagé avec Singapour est compatible avec le droit de l'Union, ni si le régime de règlement des différends remplit les critères énoncés par ses avis précédents. La Cour devra se prononcer, en particulier, sur la compatibilité de l'ICS avec la compétence des juridictions nationales et de la Cour de Justice de l'Union européenne pour interpréter le droit de l'Union, et, notamment, avec les exigences résultant du principe de l'autonomie de l'ordre juridique de l'Union, le principe général d'égalité de traitement et l'exigence d'effectivité du droit de l'Union, ainsi que le droit à un tribunal indépendant et impartial consacré par l'article 47 de la Charte. Elle devra examiner, en particulier, les dispositions du CETA concernant la rémunération, la nomination et les règles d'éthique des membres des tribunaux qu'il prévoit. Bien évidemment, il n'est pas possible d'en dire plus à ce stade.

Depuis l'avis 215, la Cour de Justice a encore rendu un arrêt important, le 6 mars dernier, sur la question de l'arbitrage entre investisseurs et États membres, qui ne préjuge cependant pas de l'avis 117 puisqu'il s'agit en l'occurrence d'une clause d'arbitrage prévue par un traité bilatéral d'investissement, dit TBI, conclu entre deux États membres. Dans cet arrêt Achmea, la Cour a jugé que la clause du traité bilatéral sur la protection des investissements entre les Pays-Bas et la Slovaquie, permettant à un investisseur de l'un de ces États membres d'attraire, en cas de litige concernant des investissements dans l'autre État membre, ce dernier État membre obligatoirement devant un tribunal arbitral, portait atteinte à l'autonomie du droit de l'Union et n'était pas compatible avec les traités.

La Cour de Justice rappelle qu'un accord international ne saurait porter atteinte à l'autonomie du système juridique dont elle assure le respect, ainsi que le principe inscrit dans les traités, selon lequel les États membres ne peuvent soumettre un différend relatif à l'interprétation ou à l'application desdits traités à un mode de règlement autre que ceux qu'ils prévoient. En outre, le droit de l'Union repose sur la prémisse fondamentale que les États membres partagent les valeurs communes sur lesquelles l'Union est fondée, impliquant qu'ils doivent, sauf cas exceptionnels, se faire mutuellement confiance pour reconnaître les décisions des institutions judiciaires de chaque État membre dans le cadre de l'espace de liberté, de sécurité et de justice et selon les principes de confiance mutuelle et coopération loyale. C'est pourquoi l'autonomie du droit de l'Union doit être garantie dans le cadre du système juridictionnel institué par les traités, notamment pour assurer son application uniforme et la protection effective des droits qu'il confère aux justiciables.

Or, le tribunal arbitral institué par le TBI en cause dans l'affaire Achmea était appelé, le cas échéant, à interpréter, voire à appliquer le droit de l'Union et, en particulier, ses dispositions relatives aux libertés fondamentales, puisqu'il fait partie du droit en vigueur dans l'État membre concerné. Toutefois, un tel tribunal, statuant notamment en dernier ressort, ne constitue pas une juridiction habilitée à saisir la Cour d'une question préjudicielle, ses sentences ne sont pas soumises à un véritable contrôle d'une telle juridiction et elles n'interviennent donc pas d'une manière assurant le plein respect du droit de l'Union.

En revanche, l'arbitrage commercial trouve son origine dans l'autonomie et la volonté des parties en cause et concerne essentiellement les dispositions de l'accord commercial conclu entre elles. Plus important encore, la Cour distingue les débits en cours dans ces affaires, des accords internationaux conclus par l'Union elle-même dans la mesure où sa compétence et sa capacité à conclure de tels accords comportent nécessairement, ainsi que la Cour de Justice de l'Union européenne l'a reconnu à plusieurs reprises, la faculté de se soumettre à des décisions d'une juridiction créée ou désignée par lesdits accords, pourvu que l'autonomie de l'Union et de son ordre juridique soit respectée. Compte tenu des nombreux traités bilatéraux d'investissement encore en vigueur entre les États membres qui comportent une clause d'arbitrage comparable à celle en cause dans l'arrêt Achmea, cette jurisprudence devrait dans son champ d'application propre avoir des répercussions importantes.

En conclusion, il ressort de cette présentation que les accords commerciaux de nouvelle génération constituent un outil important de régulation dans le cadre de la mondialisation, permettant à l'Union européenne de faire face aux défis résultant des différences de protections sociale et environnementale, sans pour autant recourir à des moyens unilatéraux. C'est notamment par ce biais que l'Union peut éviter le retour d'une ère protectionniste dans laquelle le chantage politique et militaire pourrait se voir subitement réinstallé en force en dépit des leçons historiques que les Européens ont dû vivre. Plus important encore, la conclusion de tels accords permet de prémunir le modèle social de nos sociétés occidentales contre toute tentative d'entrer dans une « race to the bottom », la fameuse « course vers le bas ». La Cour de Justice de l'Union européenne est tout à fait consciente des défis auxquels l'Europe doit faire face à l'ère de la mondialisation et elle est prête à assumer ses responsabilités en exerçant ses compétences juridictionnelles sans toutefois sortir des limites du rôle qui lui est attribué et de sa mission de veiller au respect des objectifs fixés par les traités.

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