Intervention de Jean-Louis Bourlanges

Réunion du jeudi 17 mai 2018 à 10h10
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bourlanges, président :

Je trouve les propos de M. Herbillon un peu trop sévères à l'encontre de la zone euro. Vous avez qualifié la gouvernance de la zone d'inefficace, de complexe et d'illisible. En réalité, il faut largement nuancer ce jugement. Depuis les dix dernières années, notamment sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, de réels progrès ont été faits.

Alors que le traité de Maastricht limitait strictement les attributions de la Banque centrale européenne, il a été possible de mettre en oeuvre une vraie réforme du statut de la BCE. Cette autorité monétaire indépendante a joué un rôle majeur et tout à fait efficace pour amortir les effets de la crise financière et permettre des conditions d'emprunt favorables. Le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'UE (TSCG) a apporté de véritables progrès. Il a permis de dépasser la conception rigide de la limitation du déficit budgétaire, à laquelle l'Allemagne était très attachée, et pour permettre d'intégrer une vision plus dynamique de l'action de la BCE qui tienne compte des effets macroéconomiques des cycles économiques. C'est un premier progrès incontestable mais le deuxième progrès est d'ordre politique. Jusqu'en juillet 2015, la monnaie unique était perçue comme le talon d'Achille de l'Union européenne alors qu'après les plans de sauvetage de l'économie grecque, il est apparu que l'existence même de la zone euro représentait un bouclier et était un facteur de stabilité. Dans le même temps la montée des populismes est apparue mais peu de partis politiques, même chez les plus eurosceptiques, se risquent aujourd'hui à déclarer publiquement qu'une fois au pouvoir, ils demanderaient une sortie de l'euro pour leur pays.

Il faut rendre hommage aux progrès accomplis. Dans ce domaine la France a été beaucoup plus efficace pour oeuvrer à une grande réforme européenne alors qu'elle a été beaucoup moins efficace pour réduire son déficit budgétaire et son endettement.

Même si la situation des économies européennes reste fragile, il faut tout de même saluer le redressement de certaines économies du sud de l'Europe comme celle du Portugal où des dirigeants de gauche ont réussi des réformes structurelles difficiles et peu populaires. Le Portugal en recueille aujourd'hui les bénéfices. Dans le cadre de la zone euro, il a été possible de concilier relance économique et respects des équilibres financiers.

Je voudrais maintenant faire trois remarques politiques sur les outils de la gouvernance de la zone euro. Comme la Commission, et même plus qu'elle, nous sommes favorables à une Europe des transferts. Nous avons toujours été favorables à une politique de transferts qui permettrait d'absorber plus facilement les chocs au sein de la zone euro. Mais il faut bien avouer que si nous avons raison politiquement, nous avons longtemps été dans une position politique qui nous donnait tort : à moins d'assainir profondément nos finances publiques, nous ne pouvons en effet donner des leçons de bonne gestion. Nous sommes depuis des années la lanterne rouge de l'Europe en matière de maîtrise des dépenses publiques. Nous avons là une vraie difficulté, que le Président Macron a bien comprise en modérant son discours sur ce sujet.

Mais au-delà de cette politique de transferts, nous pourrions réfléchir à une autre forme d'harmonisation. Celle-ci, dont nous ne savons pas si les Allemands seraient plus disposés à l'entendre, reposerait sur la mise en commun de l'équilibre entre les recettes et les charges publiques. La coordination des politiques économiques pourrait être pensée comme une harmonisation plus profonde, qui ne se contenterait pas d'un ajustement après-coup des mesures, mais reposerait sur une prise en compte macroéconomique des intérêts globaux de la zone euro. À ce titre, un ministre pour l'économie de la zone euro, dont la forme institutionnelle serait à réfléchir (il pourrait être Commissaire, président de l'Ecofin ou de l'Eurogroupe) pourrait veiller à cette harmonisation en communiquant des instructions par pays au regard des objectifs généraux de la zone. Il serait ainsi possible d'encourager les Allemands en situation d'excédents commerciaux à faire du déficit budgétaire pour contribuer à dynamiser la croissance de la zone euro. À l'inverse, on dirait aux Français, aux Italiens, de resserrer le verrou budgétaire. Un ministre de l'économie incarnerait cette préoccupation, c'est un mécanisme institutionnel à creuser.

La deuxième remarque porte sur les excédents commerciaux. Dans cette discussion avec les Allemands, nos arguments ne manquent pas de solidité : historiquement, les excédents commerciaux n'ont pas toujours été vertueux et les déficits vicieux. Avant l'euro, les ajustements monétaires se traduisaient, certes, par une dévaluation de la monnaie des pays déficitaires, mais également par un ajustement pour les pays en excédent, avec une réévaluation des monnaies des pays excédentaires, comme le Deutsche Mark. L'optimum économique ne consiste pas à multiplier les excédents commerciaux, qui témoignent d'un excès de l'épargne sur la consommation et l'investissement sur le plan privé, et d'un excédent des recettes sur les dépenses sur le plan public. Nous sommes bien placés, nous Français, pour le savoir, puisque cette pratique économique, le colbertisme, vient de chez nous. Nous sommes donc fondés à demander aux Allemands quel instrument nous permet de corriger les déséquilibres monétaires, maintenant que nous sommes sortis de la période d'incertitude en matière de parité des monnaies au sein de la zone euro. De grands hommes d'État allemands, tels Helmut Schmidt, ont d'ailleurs affirmé que le but de l'Allemagne ne devait pas être d'accumuler des excédents commerciaux.

Enfin, autre sujet de divergence entre les Allemands et nous, la configuration possible dans le futur de la zone euro. Aujourd'hui, nous assistons à la montée de ce qui est appelé la « démocratie illibérale », avec un certain nombre de pays à l'Est et au centre de l'Europe qui affirment que l'on peut être démocrate sans assurer le respect des libertés fondamentales. Ceci me parait une hérésie et un manquement au pacte fondateur de l'Union européenne. Le président de la République française l'a souligné à juste titre à plusieurs reprises, mais les Allemands occupent une position différente et plus ambiguë. Les Bavarois de la CSU sont par exemple attachés au maintien du parti de Viktor Orban dans le PPE. Les Chrétiens-sociaux autrichiens se sont associés à des mouvements populistes et sont très prudents sur la dénonciation de Viktor Orban. Les instruments juridiques dont nous disposons dans les traités, même brandis par la Commission, sont largement insuffisants, puisqu'il suffit qu'un pays s'oppose à leur emploi pour qu'ils demeurent inefficaces. Il y a là source de divergence entre les positions française et allemande sur ce que pourrait être une Europe forte.

La position de la France consiste à vouloir progresser de concert avec les pays fidèles au pacte démocratique sur des sujets tels que l'immigration, ou sur les institutions de la zone euro. Or, la position de la Commission semble aller dans le sens contraire, arguant du fait qu'avec le départ des Britanniques, il s'agit de maintenir l'unité globale de l'Union et de gagner l'ensemble des pays à la discipline de la zone euro. Nous devons réfléchir : voulons-nous faire avancer tout le monde au même rythme, au risque de le faire avec des pays qui s'éloignent profondément des principes démocratiques, ou voulons-nous avancer avec les pays sur la même ligne idéologique de respect des valeurs de respect de la démocratie et des droits de l'Homme, sur laquelle s'est fondée jusqu'à présent la construction européenne ? Il y a là un vrai enjeu, qui constitue l'arrière-plan de la méfiance que nous pourrions avoir face à certaines propositions de la Commission.

Ces observations ne mettent aucunement en cause ni la qualité, ni la pertinence du travail présenté, mais constituent simplement des pistes de réflexion pour la poursuite de notre travail commun.

Mon seul regret quant à ce rapport et sa PPRE porte sur les délais très contraints dans lesquels nous avons dû l'examiner, qui nous ont empêchés de soumettre des amendements. Nous allons donc l'approuver ou le refuser sans pouvoir déposer d'amendements, mais nous pourrons le faire, et je vous y invite, lors de sa présentation devant la Commission des finances, où se poursuivra le débat.

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