Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du dimanche 3 juin 2018 à 9h30
Évolution du logement de l'aménagement et du numérique — Article 29

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

… je vous assure que ces combats sont vraiment peu nombreux. Or, il y a quelques années, M. Jean-Pierre Brard – qui a siégé avant vous sur les bancs de votre groupe, monsieur Peu – et moi-même avions déposé la même proposition de loi et les mêmes amendements pour rendre inéligibles les maires de villes carencées qui refusaient la construction de logements sociaux. Pourquoi ? Parce que, la plupart du temps, ce n'est pas le maire qui ne veut pas. L'un d'entre nous a évoqué l'actuel maire du Raincy. Pour le connaître, je pense qu'il ne sera pas favorable à la vente de logements sociaux, mais que celle-ci risque de se faire dans ce dos. Quant à la population de la commune, elle pourrait être plutôt à l'aise avec l'idée d'une telle vente. Il faut donc parfois protéger les maires contre les aspirations de leur propres électeurs. Le but de notre proposition était non pas de virer les maires, mais de changer la nature du débat, de faire en sorte que l'on ne choisisse pas un maire en fonction de son intention de construire ou non des logements sociaux. Les maires auraient été obligés d'en construire, et cela aurait déplacé le débat politique.

La discussion que nous avons sur les villes carencées appelle deux réflexions de ma part.

Premièrement, monsieur le secrétaire d'État, vous reprochez à la majorité UMP de l'époque et à la majorité socialiste qui lui a succédé de ne pas avoir touché à la loi de 2006. Il est exact qu'elles n'y ont pas touché, mais, quand une loi n'est pas bonne, il faut la changer. Je le dis d'autant plus volontiers que la disposition en question faisait partie des points de désaccord que nous avions, en 2006, avec l'UMP.

Il ne faut pas donner cette possibilité. Vous dites que vous ne faites que porter le délai de cinq à dix ans, mais, en réalité, c'est comme si vous autorisiez ceux qui sont déjà en excès de vitesse à rouler 10 kilomètres-heure plus vite ! Je n'ai pas voté les précédents amendements, mais je voterai celui de M. Peu, car il consiste simplement à dire : « dans votre commune, la vente de logements sociaux n'est pas possible, car vous – ou les bailleurs sociaux, peu importe – êtes en excès de vitesse ».

S'il y a eu une suspension de séance tout à l'heure, c'est parce qu'il y a, on le sait bien, un débat au sein même de la majorité à ce sujet, comme il y en avait sans doute un à l'époque au sein de l'UMP – j'ignore ce qu'il en a été ensuite au sein du parti socialiste. Je pense que vous donnez un mauvais signal et que vous relancez la logique de spécialisation des territoires, volontairement ou non.

Deuxièmement, vous affirmez que vous voulez tenir les choses non pas par la loi, mais par l'intermédiaire des préfets. Pour ma part, monsieur le secrétaire d'État, j'ai confiance dans la loi, mais pas en l'État. Pourquoi ? Parce que, pour l'instant, l'État, c'est vous, mais, après vous, ce sera quelqu'un d'autre. J'ai une très mauvaise nouvelle pour vous : un jour, l'État, ce ne sera plus vous ! Il y aura une autre majorité, qui ne voudra peut-être pas mener la même politique que vous. J'ai eu ce débat à l'époque avec l'UMP : certains partageaient ma vision, ceux que M. Peu a qualifiés tout à l'heure de « Républicains sociaux », mais d'autres non ; tout le monde ne partage pas cette vision.

Je ne suis pas confiant dans le fait que l'on continuera à tenir les choses, au fil des alternances, par l'intermédiaire des préfets. Quand bien même nous vous accorderions a priori notre confiance pour ce faire, vous ne serez plus, demain ou après-demain, ministre et secrétaire d'État. Si quiconque arrive au pouvoir avec une autre intention, la loi ne protégera plus les villes en question, ne préservera pas l'équilibre. Ce n'est pas à travers les préfets que l'on dirige. C'est non pas aux préfets ou aux ministres, ni même aux majorités en place qu'il faut faire confiance, mais à la loi, car elle fixe un cap et garantit son maintien.

Je vais vous faire une proposition, monsieur le ministre. Vous avez dit assez justement que vous étiez parfois obligé de resserrer les vis lorsque les propositions des représentants de l'État n'étaient pas suffisantes. Peut-être pouvons-nous lever une difficulté à cet égard. Auparavant, les législateurs siégeant au sein de cet hémicycle étaient souvent en même temps maires. Il y avait donc un conflit d'intérêts lorsqu'ils débattaient de ces sujets. Désormais, une fois les débats achevés, aucun d'entre nous ne peut réellement savoir quelle est l'action du Gouvernement, à tout le moins globalement, à l'égard des villes qui ne respectent pas la loi SRU et, a fortiori, des villes carencées. Nous ne savons pas quelles instructions sont données, ni quels chemins sont tracés.

Vous nous dites que vous allez empêcher les ventes abusives. Très bien. Alors, créez, au sein de cette assemblée ou avec elle, un observatoire associant l'ensemble des groupes, qui examinera l'action du Gouvernement en la matière, la vôtre aujourd'hui et celle des autres demain. À ce moment-là, nous pourrons convenir, non pas qu'il faut rédiger la loi comme vous proposez de le faire, mais que vous l'appliquez telle que vous dites vouloir le faire. Il faut au moins instaurer cette transparence, pour que nous puissions voir si vous le faites ou non. Dans le passé, il est arrivé que les amis politiques de la majorité en place bénéficient d'un regard plus indulgent de la part des préfets. Vous n'en êtes pas responsable, mais il faut veiller à ce que cela ne se reproduise pas, en faisant en sorte que toutes les communes soient traitées de la même façon.

Lorsqu'on légifère, comme nous le faisons en ce moment sur le logement – et je pense que nous serons amenés à le faire à nouveau prochainement – , on voit réellement ce qui se passe. Vous avez dit, monsieur le ministre, que vous aviez resserré la vis aux préfets. Je le note avec intérêt, car M. Peu a raison : on fait preuve de laxisme à certains endroits ; on a parfois pris en considération avec trop de bienveillance les arguments de maires qui, en réalité, trouvaient des prétextes pour ne pas progresser en matière de logement social et de mixité sociale.

Donc, établissez la transparence sur ce qui se passe dans chaque commune, dans chaque département, afin que nous voyions quelle est votre action ; proposez à la commission compétente de l'Assemblée nationale d'organiser un débat annuel avec vous à ce sujet, dans le cadre de sa mission de contrôle. Je pense que ce serait intéressant pour la représentation nationale, d'autant que nous voulons renforcer le contrôle du Parlement sur l'action du Gouvernement.

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