Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui en séance publique une proposition de loi visant, sinon à interdire, du moins à encadrer davantage l'utilisation du téléphone portable dans les établissements scolaires. Pour des raisons historiques et symboliques, l'école joue un rôle fondamental dans notre pacte républicain dont elle constitue l'un des piliers les plus sacrés. Parce que l'école forme les citoyens de demain, son bon fonctionnement, la qualité et le contenu des enseignements qui y sont dispensés, les éventuelles dégradations du climat scolaire – en résumé tout ce qui touche de près ou de loin à l'école – acquièrent une résonance particulière.
Ainsi en est-il de la place des écrans : qu'il s'agisse des télévisions, des téléphones portables ou des tablettes numériques, les écrans occupent dans nos vies une place sans cesse plus grande, sur le lieu de travail mais également dans le foyer. Nous sommes donc sans cesse sollicités et ultra-connectés, avec des conséquences à la fois bénéfiques – nous sommes mieux informés et plus proches parfois de nos familles – mais également néfastes – notre attention est sans cesse accaparée et distraite par des sollicitations multiples, au détriment parfois de la réalité concrète.
Si les interrogations sur notre dépendance à cette troisième main qu'est devenu notre téléphone portable touchent la société dans son ensemble, elles revêtent dans le cadre de l'école une importance particulière. L'enjeu est d'abord celui de l'assiduité des élèves et de son corollaire, le climat scolaire. On sait à quel point l'utilisation des téléphones portables durant les cours nuit à la concentration et à la capacité d'attention des élèves. Elle oblige dans le même temps le professeur à une constante discipline, au détriment de la conduite de son cours.
L'usage non raisonné des téléphones portables conduit d'ailleurs à des phénomènes de repli sur soi et à une sociabilité affadie. Durant les récréations, les enfants sont désormais concentrés sur leurs smartphones au lieu d'échanger et de jouer avec leurs camarades. Dans les cas extrêmes, l'usage du smartphone peut conduire à des situations de cyberharcèlement, dans lesquelles un élève peut faire les frais des moqueries de ses camarades, avec parfois des conséquences dramatiques.
Il s'agit enfin d'un enjeu de santé publique, tant les effets potentiellement nocifs des radiofréquences émises par les téléphones portables restent mal connus. Une étude de 2017 a mis en relief une connexion entre l'utilisation intense d'un smartphone et le risque de santé mentale chez les jeunes adolescents. Leur sommeil est troublé par la lumière bleue des écrans, qui ralentit la production de mélatonine – l'hormone de l'endormissement – et leur vue se dégrade car les écrans assèchent les yeux et aggravent des troubles latents comme la myopie. D'autres études ont également signalé les liens entre l'usage intensif des téléphones portables et la perte de certaines fonctions cognitives comme la mémoire et la capacité d'attention. Dans une étude de 2016, l'ANSES avait ainsi recommandé de réduire l'exposition aux radiofréquences pour les populations les plus vulnérables, dont les enfants font partie.
Le dispositif de la proposition de loi réécrit le code de l'éducation pour faire de l'interdiction de l'usage du téléphone portable à l'école la norme et préciser ses usages autorisés. En ce sens, il remplace avantageusement le texte actuel, introduit par la loi de 2010. La commission des affaires culturelles a d'ailleurs utilement précisé son périmètre, en excluant du champ d'application les personnes souffrant d'un handicap ou d'un trouble de santé et pour qui l'usage d'un tel objet est une absolue nécessité ; nous y sommes bien sûr favorables.
Toute liberté est laissée à l'école de pouvoir déterminer des lieux à l'intérieur de l'établissement où l'utilisation du téléphone portable est autorisée et, ainsi, d'en réglementer l'usage selon les habitudes et les besoins des élèves, leur permettant par exemple de passer des appels nécessaires dans certains lieux clairement identifiés – tout en sachant que les collèges comme les écoles ont toujours permis aux élèves d'appeler leurs parents depuis les lignes fixes des services administratifs lorsque cela est nécessaire ; c'est d'ailleurs ainsi que le monde fonctionnait avant que les enfants ne possèdent des smartphones à un âge si précoce.
La commission a également ajouté à l'article unique initial plusieurs dispositions. Elles visent d'une part à renforcer l'éducation des enfants à l'utilisation d'internet, mais également à les former davantage à un usage responsable des réseaux sociaux. Il est en effet fondamental qu'ils gardent à l'esprit que les mots blessants ou les propos haineux, racistes ou sexistes proférés en ligne, s'ils peuvent avoir un aspect irréel et sans conséquence apparente sur internet, n'en touchent pas moins des personnes bien réelles ; les exemples malheureusement trop nombreux d'adolescents ayant mis fin à leurs jours illustrent cela. Ce qui est envoyé sur la toile en trois secondes et un glissement de pouce peut avoir des conséquences irrémédiables sur les autres, sur soi et sur son avenir.
La commission a également ajouté une autre finalité à cette éducation au numérique, celle du développement de l'esprit critique des enfants face aux médias en ligne. Il s'agit d'apprendre à mieux détecter les fausses informations et les théories du complot, qui fleurissent sur internet et érodent la confiance dans nos institutions démocratiques. Nous ne pouvons que souscrire à ces ajouts. Il est tout à fait judicieux que l'école se saisisse de ces sujets, en relation étroite avec les familles, tant la question de nos rapports aux écrans intéresse la société dans son ensemble et pas seulement l'école.
Nous souhaiterions cependant émettre une réserve, sans préjuger bien évidemment de ce qu'il adviendra du débat prévu à la rentrée sur l'éducation numérique à l'école, au moment où nous aurons pris connaissance des conclusions de la mission d'information sur l'école dans la société du numérique.
Nous ne sommes pas convaincus, en effet, qu'il faille encourager l'usage du téléphone portable dans le cadre des enseignements scolaires, parce qu'aujourd'hui tous les parents n'ont pas la capacité financière d'offrir un smartphone à chacun de leurs enfants et parce que cela nous paraît être en contradiction avec la volonté que vous avez exprimée, monsieur le ministre, de replacer les fondamentaux au coeur de l'apprentissage.
Plutôt que de s'engager trop avant dans la voie d'une numérisation des enseignements, peut-être serait-il préférable de renforcer chez nos enfants le goût de la réflexion et celui de lire – lire pour apprendre, mais aussi lire de belles histoires, celles des livres aux belles illustrations qui enrichissent leur culture littéraire. Cela paraît difficilement compatible avec la promotion de l'usage du téléphone portable. Nous le savons, le modèle économique des applications de réseaux sociaux repose sur l'attraction exercée sur les utilisateurs de portables, qui reçoivent fréquemment des notifications à l'aspect ludique. Or cet état d'amusement permanent et, à certains égards, abrutissant est bien éloigné des impératifs de concentration, d'apprentissage et de patience d'un enseignement scolaire réussi.
Il serait par ailleurs bienvenu – c'est le sens d'un amendement que nous soumettrons à la sagesse de l'Assemblée – de renforcer la dimension opératoire de la proposition de loi en inscrivant dans le texte la possibilité de confisquer les téléphones portables.
Nous avons bien conscience des difficultés juridiques que soulève cette mesure et de la nécessité de lui conserver un caractère temporaire et proportionné, pour éviter qu'elle ne porte atteinte au principe constitutionnel du droit de propriété. Néanmoins, son inscription dans la loi sécuriserait l'action des directeurs d'établissement désireux d'inscrire la mesure dans le règlement intérieur, donnerait du poids à l'autorité des enseignants en leur conférant cette possibilité, et écarterait toute tentation de récidive. Il serait par ailleurs très souhaitable que la restitution du téléphone portable ait lieu, si possible, en présence des parents de l'élève, afin d'en accroître la portée pédagogique. En effet, il est nécessaire d'impliquer les parents dans le dispositif pour le rendre plus efficace et pour dissuader les enfants de contrevenir à l'interdiction.
Notre groupe votera pour la proposition de loi.