Intervention de Marie-France Lorho

Séance en hémicycle du jeudi 7 juin 2018 à 9h30
Encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-France Lorho :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, comme parent d'élève, je suis très favorable à la possibilité de chasser les écrans des cursus du primaire et du collège. Votre texte serait donc un pas, symbolique certes, mais qu'il convient de saluer. Toutefois, il pose un certain nombre de questions que nous ne pouvons pas exclure de la discussion générale.

Il pose tout d'abord une question générale sur la liberté pédagogique. J'ai déposé des amendements, afin de rappeler que si, à titre personnel, la mesure me convient parfaitement, je pense qu'elle ne doit pas devenir une norme. En effet, il devrait revenir avant tout aux parents, dans un cadre élémentaire de respect des principes fondamentaux de notre pays, de décider quelle pédagogie et quel règlement ils souhaitent pour l'école ou le collège de leurs enfants. C'est pourquoi je propose de changer la formulation du texte, en passant du comminatoire à l'incitatif.

La liberté des écoles et des collèges doit être celle des pratiques réglementaires, d'une latitude offerte s'agissant du régime des sanctions et des récompenses. Par exemple, la médisance et la violence des élèves entre eux ne datent pas des smartphones. Elle a certainement beaucoup plus à voir avec la dégradation de l'autorité et la disparition d'une certaine verticalité dans la transmission du savoir.

D'autres éléments du rapport m'intéressent au plus haut point. Vous notez avec pertinence les coûts démesurés des appareils en question et la ségrégation sociale engendrée par les comparaisons entre élèves. Qui pourrait vous donner tort ? Sous un autre aspect, comment ne pas saluer le combat courageux de ceux qui rappelèrent que l'uniforme, l'ordre, les méthodes traditionnelles constituaient un trésor de pédagogie dont l'esprit de mai 68 nous a malheureusement privés ? C'est cette liberté qui manque à notre éducation nationale, une liberté qui est appliquée dans tant d'écoles, appartenant notamment au hors contrat, qui doivent sans cesse lutter contre les passions idéologiques jacobines.

La première partie du rapport fait remarquer que l'élève risque de s'enfermer dans une « bulle » du fait de sa concentration sur son téléphone portable. Chacun sait à quel point ces petites choses peuvent être addictives. Toutefois, j'aimerais aller plus loin dans notre débat. En réalité, les téléphones portables et leur usage désordonné s'inscrivent dans un schéma complet du rapport entre l'institution scolaire et l'élève. À force d'avoir voulu faire des élèves des sujets d'éducation autonomes et non plus des membres d'un tout qu'il convient d'instruire, ce sont les écoles et les collèges eux-mêmes qui ont fait prospérer l'individualisme dans le primaire et dans le secondaire. N'allons pas jeter la faute sur les instruments plutôt que sur les causes.

Quand on lit également dans l'exposé des motifs de la proposition de loi que « l'usage des téléphones portables est à l'origine d'une part importante des incivilités et des perturbations des établissements : casse, racket et vol », on ne peut que s'en inquiéter. Ce ne sont pas les téléphones qui sont la cause de la violence, mais bien le laxisme, l'ensauvagement de la société et la dépréciation de la place des adultes et des détenteurs de l'autorité. Nokia ou Apple ne sont pour rien dans ces phénomènes. On ne parviendra à rien si l'on essaie de transformer une batterie au lithium en bouc émissaire.

Il convient de ne pas oublier que les enfants appartiennent à leurs parents, que ces derniers sont les responsables de leur éducation et qu'ils ne font que consentir à en déléguer une partie à l'institution scolaire. Pour qu'ils continuent à y consentir, je crois qu'il est bon que l'école et le collège se tiennent le plus éloignés possible des idéologies et des partis pris. Je dois donc vous avouer ma crainte à l'égard de l'article 2, introduit par voie d'amendement. Il n'y a, à mon sens, rien de plus troublant que de faire croire à nos enfants que l'État est dispensateur de la vérité. Il n'a aucune vérité à procurer : il n'est que le fonctionnaire de la société et des idées, des débats et des désaccords qui la traversent.

Les consignes transmises par l'éducation nationale prendront-elles cette neutralité en compte ? Étant donné ce que nous devons entendre dans cet hémicycle sur les fake news, nous sommes en droit de nous en inquiéter. Que dire d'ailleurs des outils possibles de cet apprentissage ? On sait aujourd'hui que les GAFA rémunèrent directement les personnes chargées de prononcer notes et avis sur la pertinence des sites d'information. Est-ce à cela que nous voulons conduire nos enfants ?

L'exposé des motifs de la proposition de loi cite, avec raison, les ravages de la consultation et de la diffusion de la pornographie par le biais des téléphones. Chacun connaît le mot de Soljenitsyne sur la question : « On asservit les peuples plus facilement avec la pornographie qu'avec des miradors. » Mais chacun sait aussi que la question ne se réglera pas du tout avec la fin du téléphone dans les cours des écoles et des collèges. C'est à une vraie judiciarisation de ce business que nous devons en appeler, pour préserver des enfants qui commencent à regarder de tels contenus à partir de l'âge de 10 ans.

Enfin, je pense que ce texte en appelle un autre. En effet, il n'y aurait aucun sens à ce que la majorité cherche louablement à exclure les portables de l'école, tout en y investissant dans davantage d'écrans ou de programmes dits connectés. Le numérique est suffisamment présent dans la société pour ne pas en surcharger les salles de classe. J'imagine donc que, après ce texte, vous présenterez une politique de rationalisation de la présence des écrans en classe.

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