Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du jeudi 7 juin 2018 à 15h00
Lutte contre la manipulation de l'information — Motion de renvoi en commission (proposition de loi ordinaire)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Madame la ministre, mes chers collègues, nous pensons que cette loi est inutile parce qu'elle ne réglera pas le problème qu'elle soulève et auquel elle prétend répondre – problème réel.

Nous pensons qu'elle est dangereuse parce que quelles que soient les intentions de ses auteurs, elle va aboutir à la remise en cause d'une liberté puisque son exercice sera confié à des organes privés à qui il sera demandé d'exercer une censure préalable et privée vis-à-vis de ce qui leur paraîtra être la vérité ou l'erreur.

On s'est interrogé sur l'origine d'une telle proposition de loi. Nous en avons une idée qui va au-delà de la psychologie de ses auteurs. Mais commençons par dire ceci : que les fausses nouvelles soient dangereuses, nous le savons depuis que la dépêche d'Ems a provoqué une guerre. Qu'il faille que la vérité court toujours plus vite que l'erreur, on le sait depuis 490 avant notre ère quand, partant de Marathon, il a fallu courir jusqu'à Athènes pour annoncer la victoire avant que la panique ne s'installe.

Que les moyens les plus vils soient employés pour salir des personnalités politiques, nous le savons, nous autres, qui nous souvenons des campagnes contre la vaisselle d'or de Léon Blum, des remises en cause mensongères des convictions laïques de Jean Jaurès sous le prétexte que ses enfants avaient fait leur communion ; nous avons à l'esprit le prétendu yacht d'Allende – une barque en réalité – et plus récemment le triplex du président Lula, dont personne n'a jamais pu dire où il se trouvait et dont lui-même ignore jusqu'à l'existence mais qui lui vaut d'être en prison.

Qu'il faille distinguer les fausses nouvelles des vraies est donc une affaire entendue.

Qu'on répande souvent de fausses nouvelles est tout aussi vrai, et depuis fort longtemps, tout le monde en convient. L'anthropologie nous enseigne ce fait intéressant que l'activité principale des êtres humains quand ils n'ont rien à faire, dans un bar ou un café par exemple, consiste à colporter des ragots. C'est comme ça : 80 % des conversations n'ont aucun contenu informatif mais visent à amuser, faire rire, intéresser ou attrister l'autre. Tel est le bois dont nous sommes faits. Les darwinistes ont établi la vertu adaptative de ce type de conversation qui nous apprend à faire le tri entre les apparences et la vérité.

Depuis toujours, en effet, c'est une grande dispute que cette question des apparences et de la vérité. Vous pouvez croire que le soleil se lève à l'est et se couche à l'ouest, et le croire avec la certitude de la poésie, de l'amour, de la peinture, alors qu'en réalité il ne se lève ni ne se couche : il ne change jamais de position sinon par rapport à d'autres corps. C'est la terre qui tourne autour du soleil – je le dis parce qu'il faut savoir aussi sourire dans ce type de débat.

À la fin, reste quand même le fait qu'il s'agit de distinguer la vérité de l'erreur par la loi, et c'est là-dessus que nous divergeons. Nous ne sommes pas dans le domaine des sciences où c'est le débat contradictoire et l'épistémologie qui tranchent ; ni dans celui des idées, qui relève de la philosophie, mais dans le domaine de la politique.

Que faire d'utile pour la société ? Sur tous ces bancs, nous pensons que cela se décide par un acte qui s'appelle le vote et on essaie donc de réunir toutes les conditions pour que ce vote soit aussi sincère que possible, pour que ceux qui ont l'écrasante responsabilité de choisir ce qui est bien pour la patrie le fassent en connaissance de cause, mais personne ne le fera de façon objective, personne ! Chacun décidera d'après ses préjugés, sa conception de l'existence, sa propre hiérarchie des valeurs. Perdons à jamais l'illusion que la décision politique puisse être objective ! Cela ne sera jamais.

Comment faire alors ? Trois phrases résument notre doctrine. Elles sont de l'Incorruptible, dans son discours sur la liberté de la presse : « La liberté de publier son opinion ne peut donc être autre chose que la liberté de publier toutes les opinions contraires ». Il précise : « Elle ne peut sortir que du combat de toutes les idées, vraies ou fausses, absurdes ou raisonnables. C'est dans ce mélange que la raison commune, la faculté de l'homme de discerner le bien et le mal, s'exerce à choisir les unes, à rejeter les autres. »

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