« Voulez-vous ôter à vos semblables, vous demande Maximilien Robespierre, l'usage de cette faculté pour y substituer votre autorité particulière ? »
Vous voyez que la question qui était posée hier à ceux qui prétendaient détenir la vérité se repose à chaque fois que quelqu'un se hasarde à prétendre qu'il a trouvé un moyen d'établir la vérité supérieur à la discussion et à la confrontation des opinions.
Cette proposition de loi ne sort pas de nulle part. On a supposé je ne sais quelle aigreur du chef de l'État en raison de la campagne dont il aurait été l'objet : je ne crois pas un instant que ce soit de là que soit venue l'idée d'une loi de lutte contre les fake news, pour parler dans cette langue barbare qui tient lieu dorénavant d'idiome commun. Vous parlez désormais d'une loi de lutte contre la manipulation de l'information – vaste tâche : qu'est-ce qui n'est pas une manipulation si on part de l'idée que l'information en tant que telle n'existe pas : n'existe que ce qui en est dit et la façon de le dire.
Cela existe dans la littérature, vous le savez mieux que personne, madame la ministre : dans son dernier bouquin, Garcia Marquez dit qu'il ne prétend pas raconter ce qui s'est réellement passé mais ce dont il se souvient. Même sur soi-même on ne produit jamais de récit objectif, alors sur la politique !
Alors d'où cela vient-il ? Je ne crois pas que le Président veuille régler des comptes. Ce qui est arrivé, c'est que nos bons amis nord-américains, ayant compris que les Russes avaient compris que la bataille du soft power était engagée à l'échelle de la planète, bataille où les images, le son et l'information sont autant d'outils de combat pour peser sur les décisions nationales, ils nous ont demandé de prendre des mesures.
Nous sommes en train de perdre notre temps à discuter pendant des heures de la vérité et de l'erreur alors que le sujet est très simple : allons-nous interdire Russia Today et Sputnik et quand ? Il n'y a pas d'autre sujet ! D'ailleurs dans chacun des pays qui ont essayé de se plier aux les consignes données par les Nord-Américains au début de l'année, c'est-à-dire la France puis l'Allemagne et la Grande-Bretagne, on s'est empêtré dans des discussions sans fin pour savoir comment atteindre cet objectif sans percuter les libertés.
Partout, c'est la même gêne : en Allemagne, où les gens sont paraît-il très sérieux, seuls 65 députés sur 663 étaient présents le jour où il fallait voter une loi que même l'institution chargée de contrôler la constitutionnalité de la législation allemande a déclaré anticonstitutionnelle et liberticide. Nulle part on ne sait comment régler cette affaire.
Voilà l'unique point de départ : la bataille pour le soft power.
Si vous voulez faire obstacle à ceux qui, de l'extérieur, répandent de fausses nouvelles ou s'expriment par des canaux appartenant à des gouvernements étrangers, vous n'êtes pas sortis de l'auberge ! Il va vous falloir surveiller la BBC matin, midi et soir ; il va falloir surveiller Al Jazeera tous les jours. Et peut-être que les autres vont se mettre à vérifier si France 24 ne diffuserait pas par hasard une information orientée vers l'intérêt des Français !