Vous avez tenté de circonscrire le cadre dans lequel une telle accusation pourra être lancée, chers collègues de la majorité. On ne pourra plus crier à la fake news, désormais, s'il s'agit d'informations invraisemblables.
Premièrement, permettez-moi de rappeler que, si une telle loi avait été en vigueur, ce que dénonçait Mme la secrétaire d'État dans le tweet que j'ai cité tout à l'heure ne pourrait pas être qualifié de fake news, et les propos dénoncés par Mme la rapporteure pas davantage.
Pour en revenir à la question philosophique du vraisemblable, le Larousse définit ce terme comme suit : « Qui a toutes les apparences du vrai ». À cette définition, vous avez ajouté un autre critère, selon lequel une fausse information est dépourvue d'éléments vérifiables. Ainsi, votre définition comporte deux volets : l'apparence de vérité et la présence d'éléments de vérification.
Je me suis donc interrogée, historiquement, à l'aune des grands changements progressistes que recèle l'histoire du monde, sur les conséquences qu'aurait eu une telle définition de la fausse information sur les progrès sociaux, culturels et politiques constatés au cours des derniers siècles.
Ainsi, au XIXe siècle, en Europe et aux États-Unis, il était vraisemblable et communément admis que les femmes étaient essentiellement inférieures aux hommes. Charles Darwin écrivait ainsi en 1881 : « Je pense sans aucun doute que, si les femmes sont généralement supérieures aux hommes dans leurs qualités morales, elles leur sont inférieures intellectuellement ». Voilà pour les éléments de preuve.
À l'époque, les propos tenus par les femmes qui s'insurgeaient contre cette pseudo-science et prônaient l'égalité entre les femmes et les hommes étaient majoritairement perçus comme invraisemblables. Elles ne pouvaient prendre appui qu'à la marge sur la science, dès lors que celle-ci entretenait ce genre de discrimination.
À la même époque, en France et dans d'autres pays européens, on estimait que les populations colonisées d'Afrique et d'Asie étaient inférieures. On pourrait citer le fameux Essai sur l'inégalité des races humaines d'Arthur de Gobineau ou la classification de l'humanité en quatre races établie en 1775 par Christoph Meiners, au sommet de laquelle il plaçait commodément « l'homme blanc européen », selon ses propres termes. Voilà, encore, pour les faits vérifiables.
Sur ce sujet, Clemenceau, s'opposant à l'entreprise coloniale voulue par Jules Ferry, tient des propos qui sont à l'époque minoritaires : « Les races supérieures ont sur les races inférieures un droit qu'elles exercent, ce droit, par une transformation particulière, est en même temps un devoir de civilisation. Voilà en propres termes la thèse de M. Ferry, et l'on voit le gouvernement français exerçant son droit sur les races inférieures en allant guerroyer contre elles et les convertissant de force aux bienfaits de la civilisation. Races supérieures ? races inférieures, c'est bientôt dit ! Pour ma part, j'en rabats singulièrement depuis que j'ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande parce que le Français est d'une race inférieure à l'Allemand. Depuis ce temps, je l'avoue, j'y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation, et de prononcer : homme ou civilisation inférieurs. »
On le voit : le rapport à la vérité est aussi une question de contexte, de position de pouvoir et de débat politique. Il relève en particulier du pouvoir de ceux ayant la capacité de définir les limites du savoir accepté et acceptable, ainsi que du débat démocratique permettant de confronter les points de vue afin de faire en sorte que les peuples, les consciences et les opinions publiques puissent se déterminer en toute connaissance de cause. L'instrumentalisation dont peut faire l'objet l'idée de vérité universelle, nécessaire, générale et absolue, ainsi que sa version dégradée, le vraisemblable, comporte une dimension très politique.
En outre, la tentative de définition sur laquelle repose le texte ne permet pas de distinguer sans ambiguïté la fausse information de la vraie, en raison de la nature même du phénomène que nous appelons « information ».
La naissance d'une information suppose que quelqu'un observe, voie, signale et qualifie l'événement. À chaque étape, la subjectivité intervient. Ce n'est pas une information objective qui est transmise aux autres, mais bien une opinion sur un fait qui est survenu, lequel est nécessairement déformé par l'oeil et la langue de l'observateur ou l'observatrice. La distinction entre vérité et opinion, objectivité et subjectivité, est par nature complexe.
Après la philosophie, faisons un peu de phénoménologie. S'agissant des informations – puisque c'est ce dont il s'agit et dont il faudrait prendre le temps parlementaire de débattre – , certaines sont dans le champ, d'autres sont hors champ, ce qui rend par principe complexe toute législation sur la vérité.
J'en donnerai un bref exemple, en vous proposant, chers collègues, de vous rendre pour un instant dans le département de la Creuse, où 277 salariés de l'entreprise GM& S défendent leurs emplois. Comme la plupart des médias nationaux s'intéressent essentiellement aux grands centres urbains, ils n'observent pas spontanément les départements les moins peuplés de France. Cette information est donc hors du champ de veille. Elle existe, mais elle est ignorée.
Ainsi, lorsqu'un hebdomadaire annonce que la croissance repart à la hausse en France et que les perspectives s'améliorent pour les salariés du pays, cela ne vaut pas pour tous les salariés du pays, mais seulement pour ceux auxquels s'intéresse cet hebdomadaire. À titre d'exemple, le journal Le Monde se proclame premier quotidien des CSP+. Faudrait-il le condamner pour avoir oublié la situation des salariés de GM& S, propageant ainsi une fausse information ?