Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, chers collègues, ces deux propositions de loi, dont nous allons commencer l'examen en séance ce soir, entendent répondre à un impératif : celui de protéger nos sociétés démocratiques des tentatives de déstabilisation dont elles font l'objet. À la suite des événements survenus aux États-Unis ou au Royaume-Uni, les parlementaires ont jugé impératif de mieux se prémunir contre les tentatives d'influences, parfois concluantes, d'entités étrangères, qui ont pour seul but de saper les fondements de nos sociétés ouvertes. Ces attaques, qui se font plus discrètes, ne sont pas pour autant moins efficaces, et si la diffusion de fausses nouvelles n'a rien d'une nouveauté, elle exerce des conséquences fatales, aujourd'hui, dans notre société.
La grande loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse évoquait déjà les fausses nouvelles. Ce qui diffère aujourd'hui, c'est la dangerosité liée à la viralité d'internet et des réseaux sociaux, ce sont les mutations sans précédent des technologies numériques et, en particulier, l'essor des plateformes ; l'ensemble de ces facteurs leur confèrent un caractère inédit. Avec le développement d'internet, des moyens de communication et des médias numériques toujours plus nombreux, il est devenu difficile, voire impossible, d'avoir une quelconque emprise sur leur diffusion. En effet, les réseaux sociaux permettent le partage massif et rapide de fausses informations, sans qu'il existe de moyen fiable et immédiat de vérification à disposition de nos concitoyens. Certains médias se sont lancés dans la vérification de l'information et, en cas de besoin, la déconstruction de certaines fake news et « intox ».
Cependant, le problème n'est plus tant d'émettre une fausse information que de la manipuler à des fins de déstabilisation à des périodes clés de la vie démocratique. Il est inacceptable, dans un État démocratique, d'être en proie à de tels procédés. En effet, ces fausses informations sont le fruit de campagnes calibrées et concertées, parfois pilotées par des pays hostiles, qui utilisent les failles de nos États de droit pour tenter d'influencer nos élections démocratiques. C'est en distinguant les fake news de l'information issue d'un vrai travail de journaliste que nous pourrons espérer rétablir la confiance dans nos organes de presse, tout en protégeant la liberté de la presse, ainsi que la liberté d'expression. C'est pourquoi je tiens à saluer le changement du titre de la proposition de loi, qui vise désormais la lutte contre la « manipulation de l'information ».
L'initiative que vous portez nous paraît d'autant plus essentielle qu'elle s'inscrit dans un contexte de défiance envers nos institutions. Ce texte sur les fausses nouvelles a en effet le mérite de rappeler que l'information est au coeur de la démocratie, que le travail journalistique répond à un devoir de vérité, de vérification des faits, qu'il ne peut se faire sans un cadre déontologique précis.
L'article 9 bis, qui permet notamment aux agences de presse, aux éditeurs de presse, aux éditeurs de communication audiovisuelle, ainsi qu'aux organisations représentatives de journalistes, de conclure des accords de coopération avec les plateformes en ligne afin de lutter contre la diffusion des fausses informations, est une bonne nouvelle pour notre vie démocratique, pour la reconnaissance du métier de journaliste – qui constitue pour cette profession une responsabilité supplémentaire dans l'exercice de son activité – , pour le renforcement de la déontologie et de la transparence des plateformes en ligne, ce qui sera bénéfique à leur bon développement, et, là est l'essentiel, pour les citoyens, qui profiteront d'une meilleure fiabilité et traçabilité des contenus. Je voudrais d'ailleurs souligner que la possibilité pour les entreprises de presse et de média de passer des accords de coopération avec les plateformes quant à la lutte contre les fausses informations rend l'avancée rapide sur l'instauration des droits voisins encore plus pertinente.
Je tiens également à saluer l'ajout en commission de mesures visant à une meilleure éducation aux médias. Nous sommes convaincus que sur ce sujet, plus que sur aucun autre, l'éducation aux médias et à l'information est fondamentale. La lutte contre les fake news et les théories du complot passe par la pédagogie. La proposition de loi sur l'encadrement du portable à l'école, adoptée par notre assemblée cet après-midi, prévoit d'ailleurs des dispositions en ce sens. Il est en effet primordial de sensibiliser et d'éduquer les plus jeunes à la détection des fausses nouvelles. Les jeunes générations sont les plus connectées aux réseaux sociaux, les plus actives, mais également les plus sensibles. C'est pourquoi, l'instauration d'un enseignement au numérique dans les écoles s'avère absolument incontournable. Développer l'esprit critique des plus jeunes est le seul moyen de lutter durablement contre la manipulation des fausses nouvelles. « L'instruction est à la démocratie ce que la flamme est à la lampe, c'est la clarté », nous a enseigné Émile de Girardin.
Pour autant, nous émettons quelques réserves et soulevons des questions sur certaines dispositions du texte. Nous reconnaissons l'urgence de légiférer sur la manipulation des fausses nouvelles, notamment lorsqu'elles ont pour but de s'immiscer et de déstabiliser notre régime démocratique ; cependant, le sujet est très complexe, très technique et technologique, oserais-je dire, au regard des mécanismes des réseaux sociaux. Il devrait s'inscrire dans une réflexion globale sur la responsabilisation des plateformes, qui ne sont pas de simples hébergeurs mais dont le rôle s'apparente de plus en plus à celui d'un éditeur. Il y a, chez ces nouveaux acteurs, une prise de conscience de leur responsabilité sociale et de la nécessité de réguler davantage. En ce sens, le sujet de la diffusion de fake news devrait faire l'objet d'une étude et d'une concertation plus approfondies. D'autant plus qu'une harmonisation au niveau européen est plus que jamais nécessaire sur un enjeu qui dépasse largement nos frontières.
Par ailleurs, la création à l'article 1er d'une nouvelle procédure de référé, ouverte uniquement pendant les périodes électorales précédant les scrutins d'ampleur nationale, et qui vise à enjoindre aux hébergeurs ou aux fournisseurs d'accès à Internet – FAI – de faire cesser la diffusion d'une fausse information, part d'une bonne intention, mais aura une efficacité limitée. Comment s'assurer de l'effectivité de cette procédure, lorsque l'on sait qu'un contenu peut, par la magie de la viralité, être partagé plusieurs millions de fois en quelques heures ? Qui plus est, comment s'assurer que son utilisation ne soit pas non plus détournée pour influencer un scrutin ?
Ce même article demande plus de transparence aux opérateurs de plateformes en ligne, en leur imposant de révéler aux utilisateurs l'identité et la qualité des personnes leur versant des rémunérations en contrepartie de la promotion de contenus d'information, ainsi que les montants correspondants : pourquoi ne pas l'appliquer également en dehors des périodes d'élections ?
Les fausses nouvelles ne sont pas diffusées uniquement durant les temps d'élection, mais bien de manière continue, et c'est d'ailleurs en cela qu'elles sont dangereuses. Elles infusent durablement, et la réalité se trouve déformée et manipulée, de telle façon qu'il est encore plus difficile de déconstruire le faux. Il serait donc préférable, pour les citoyens, d'avoir accès à ces informations complémentaires à tout moment, sans distinguer les périodes électorales des autres. Il s'agit d'un travail de très long terme, d'une question de transparence, et de la faculté de donner les outils adéquats à nos concitoyens, qui sont visés en premier lieu par la désinformation.
Nous proposerons d'ailleurs d'enrichir la proposition de loi, en vue de mieux lutter contre les propos haineux, violents, discriminatoires ou racistes, avec la création d'une nouvelle obligation pour les plateformes de nommer un représentant légal, qui ferait office de référent en cas d'activités illicites. Cela permettrait de renforcer les relations qu'entretiennent les autorités publiques compétentes et les plateformes en ligne, en améliorant les dispositifs de coopération déjà existants.
Vous l'aurez compris, notre groupe aborde donc plutôt favorablement l'examen de cette proposition de loi, dont le dispositif gagnerait néanmoins à être enrichi.