Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le présent projet de loi nous offre une occasion assez particulière de nous exprimer, non pour nous contredire, mais pour compléter nos interventions respectives. Saisissons-la au bond ! C'est bien ce que je compte faire. Pour les Français, toutes les occasions de parler de la mer et de son importance dans la vie de la patrie sont à saisir. On a souligné l'importance du territoire maritime pour eux et rappelé que la France représentait le deuxième territoire maritime du monde. Je m'amuse à constater qu'en tenant compte de la France immergée et de la France émergée, notre territoire est plus grand que celui de la Chine elle-même. En outre, le territoire maritime s'est encore accru de 10 % grâce à l'identification de la continuité des plateaux continentaux. Un accroissement de 10 % du territoire national sans qu'un coup de fusil ait été tiré, c'est une première dans l'histoire ! Je crois qu'on n'en a pas fini avec ce processus, qu'il faut suivre et accompagner avec sérieux. Je suis sûr que les autorités françaises, quelles qu'elles soient, s'y attachent avec soin.
Mais, ce ne sont pas les seules raisons de ce débat. Notre réflexion doit également tenir compte du fait que, si nous sommes si puissants, nous sommes responsables. Et nous sommes la France ! La mer contient soixante-quinze fois l'énergie dont nous avons besoin sur terre. La mer est moins connue que ne l'est la surface de la lune – n'est-ce pas incroyable ? La mer contient une variété infinie d'espèces, dont 85 % sont inconnues, alors même que s'y trouve une sorte de trésor pour la connaissance, qui pourrait permettre de répondre à de nombreux défis intellectuels et scientifiques auxquels l'humanité est confrontée.
Pourtant, pendant leur histoire, les Français ont longtemps, – presque tout le temps, d'ailleurs – méconnu l'importance de la mer pour eux. Richelieu disait déjà que les larmes de nos souverains avaient souvent le goût salé de la mer qu'ils ont ignorée. Je le regrette, mais il n'y a pas que nous. Le rôle des océans dans la régulation thermique a été l'absent de la vingt et unième Conférence des parties – COP 21. Le rôle des océans dans la conservation de la biodiversité reste l'absente des réflexions scientifiques internationales, alors même que maints indicateurs nous permettent de savoir que la sixième extinction massive de la biodiversité a peut-être commencé. Enfin, le rôle des océans et des mers dans la transition écologique est mal compris.
Si nous prenons soin de la mer pour en tirer ce dont nous avons besoin, et si nous le faisons en recherchant l'harmonie dans les rapports des êtres humains avec la nature, tirant tous les enseignements de ce que notre temps nous a appris, nous aurons alors soin de la Terre. En quelque sorte, l'aval commandera l'amont. C'est pourquoi l'enjeu est si grand pour nous tous. La mer est, d'une certaine façon, la deuxième chance de la civilisation humaine, au moment où les signes qui montrent qu'elle court à la catastrophe se multiplient.
Certes, nous traitons d'une convention relative à la haute mer – j'en parlerai dans un instant – , mais nous ne devons pas nous arrêter à cela et notre responsabilité doit être évoquée dans tous ses aspects. Le texte de cette convention nous amène à réfléchir sur la piraterie, qui est évidemment un problème. Celui qui le nierait ne tiendrait pas compte des réalités de notre temps. Quatre-vingt-dix pour cent du commerce mondial passe par la mer. C'est d'ailleurs parce que ce commerce est si bon marché que nous pouvons délocaliser et relocaliser les marchandises et la production à bon compte. Le jour où le coût du transit maritime changera, vous verrez que les flux commerciaux changeront également.
Nous avons un grand intérêt à nous assurer de la liberté de passage dans les océans, mais surtout à en propager l'état d'esprit. Cette liberté ne doit pas être qu'un prétexte, ou un droit de passage à vocation prédatrice. Non ! La liberté de circulation en mer soulève dorénavant des problèmes d'un type nouveau, qu'il nous faut étudier et sur lesquels nous, Français, devons intervenir. Hélas, la fonte des glaciers libère des passages. J'observe avec tristesse qu'on discute moins de la fonte des glaciers que de la question de savoir à quel État revient le territoire ainsi libéré et qui va pouvoir y passer. Ce sont des conflits qui s'annoncent, qui mêlent les problèmes de puissance à ceux de l'accès aux ressources. La Russie, les États-Unis d'Amérique et le Danemark, entre autres, sont en compétition pour le passage par les voies du Grand Nord.
De la même manière, avant même que les territoires soient libérés, on voit se multiplier les occasions de prédation irresponsable. C'est pourquoi, pour ma part, j'avais pris le parti de soutenir les militants de Greenpeace dans une pétition cosignée avec M. Noël Mamère, lorsque ces derniers furent interceptés par les Russes, alors qu'ils avaient abordé une plate-forme. Je sais bien qu'occuper une plate-forme est un acte de piraterie au sens strict du terme, mais tout le monde reconnaît qu'il s'agissait non pas d'un acte de pillage, mais d'un acte militant. En commission, nous nous sommes tous accordés à dire qu'il était temps de bien distinguer ce qui relève de la piraterie de ce qui relève de ce qui sera appelé « les mouvements sociaux en mer ». Car, si la mer est un tel enjeu, elle devient un lieu de conflit, non seulement entre les puissances – je viens d'en parler – , mais aussi entre ceux qui ont des idées différentes sur la manière d'utiliser ce que la mer nous propose.
Si l'on doit lutter contre la piraterie, il faut le faire avec des moyens d'État. Monsieur le secrétaire d'État, je désapprouve absolument la décision prise par M. Ayrault d'autoriser les milices sur les bateaux de passage. C'est à la marine nationale d'assurer la protection des navires français et des voies de passage par le territoire maritime français.