Étant entendu que la responsabilité première, dans cette affaire, est celle de l'entreprise, soumise à une obligation de sécurité des produits qu'elle met sur le marché – dans le cadre de son plan de maîtrise sanitaire, l'entreprise Lactalis est tenue de réaliser des autocontrôles –, il est légitime, nécessaire de se demander si une telle affaire aurait pu être évitée et si l'État, en l'occurrence la DGCCRF, avait – et a – les moyens de prévenir une crise. La question du rôle de l'État est essentielle : l'État doit-il se contenter de se donner les moyens de réagir face à une crise ou bien son rôle est-il de prévenir les crises ? Pour ce qui est de la DGCCRF, un choix politique a été fait depuis des années, fondé sur le dogme de la réduction de la dépense publique. Pourtant, ne tombe-t-il pas sous le sens que, face à des enjeux de sécurité, de santé publique, il est du devoir de l'État de tout mettre en oeuvre pour prévenir les crises et donc de s'imposer à lui-même une obligation de moyens ?
La DGCCRF peut encore, globalement, réagir à une crise. De manière globale car je rappelle que, dans certains départements, le nombre d'agents se compte sur les doigts d'une main. La DGCCRF a géré la crise Lactalis au mieux, avec des effectifs très réduits et une organisation territoriale très compliquée. Il faut saluer le travail remarquable des agents lorsqu'ils ont contrôlé l'effectivité de l'opération de retrait-rappel, très lourde puisqu'il a fallu l'organiser en deux vagues successives. On l'a évoqué : les agents se sont mobilisés pendant les fêtes de fin d'année.
Si elle peut, donc, réagir globalement à une crise, la DGCCRF est-elle capable de prévenir une fraude économique ou sanitaire ? Dans la configuration actuelle, poser la question, c'est y répondre. La DGCCRF, on l'a souligné, a été très fortement affectée par les suppressions d'emplois induites par la RGPP : on est passé de plus de 3 600 agents en 2008 à bien moins de 3 000 aujourd'hui. Le ministre a déclaré que ces effectifs n'avaient pas baissé, forcément dès lors qu'il les a comparés à ceux de 2013, sachant que de 2013 à 2017 avait été décidé un moratoire sur leur baisse. Or par rapport à la période antérieure à la REATE et à la RGPP, certains départements ont perdu la moitié de leurs effectifs. Je viens du département des Landes où, très rapidement, nous sommes passés de seize agents à quatorze, puis à douze avant de ne plus être que huit aujourd'hui – et encore, sans compter des départs à la retraite – dont seulement quatre sur le terrain. Quelque 40 % des implantations départementales comptent désormais moins de dix agents et nombre d'entre elles moins de cinq, ce qui est alarmant. Les agents qui s'en vont à la retraite ne sont pas remplacés et leurs compétences partent avec eux.
Pour couronner le tout, les effectifs cibles ont beau être basés sur l'indice PROSCOP, ils n'en sont pas moins totalement déconnectés de la réalité économique des départements – le syndicat FO ne cesse de le souligner – comme c'est le cas dans les Landes. Le département de la Mayenne, gros producteur laitier et dont l'économie relève du secteur agro-alimentaire, ne compte plus que six agents CCRF dont un ou deux sont affectés à ce qu'on appelle des missions support ou transversales – l'un s'occupe du contentieux pour l'ensemble de la DDCSPP – si bien qu'il ne reste pas grand monde sur le terrain.
C'est dans un tel contexte que, dans le cadre de la crise Lactalis, les contrôles CCRF ont été menés en amont : faiblesse des effectifs de la DDCSPP de la Mayenne, inadéquation, donc, entre les missions et les moyens, fonctionnement sur le mode mutualisation... En 2012, l'agent CCRF affecté au contrôle CP2M de l'usine Lactalis est parti à la retraite. Les contrôles ont donc ensuite été mutualisés et exercés par un agent spécialisé de la DDPP du Maine-et-Loire, à Angers, jusqu'en 2017. Depuis 2017, cette compétence a été transférée à un inspecteur du pôle C de la DIRECCTE de Nantes. On note donc un éloignement de la réalité économique du terrain.
La DGCCRF mène une réflexion, concernant la CP2M, en particulier sur la cotation des risques. Était-il normal qu'une usine comme celle de Lactalis soit classée en risque moyen et contrôlée seulement tous les trois ans ? Il faut également s'interroger sur les matières de contrôle et sur les critères de mutualisation régionale ou interdépartementale des contrôles CP2M, ou encore sur les modalités de l'échange d'informations entre les services. Il est en effet certain que si c'est un agent de Nantes qui réalise ces contrôles en Mayenne, l'échange d'informations avec les services vétérinaires sera sans doute un peu plus compliqué que si c'était l'agent du département en question qui faisait lui-même les contrôles. C'est, j'y insiste, évident.
Ne serait-il dès lors pas opportun de globaliser les contrôles des agents de la DGCCRF et de ceux de la DGAL, les regroupant sous une même autorité ? Ce serait une grave erreur, comme l'a expliqué Mme Pique : les réglementations sont très complexes et demandent un grand nombre de compétences mais très distinctes. Le rôle de l'État dans la prévention des crises est essentiel et nécessite selon nous quatre critères : d'abord, une répartition des compétences entre les administrations afin de savoir exactement qui fait quoi ; ensuite, une chaîne de commandement claire car il faut bien établir les responsabilités de chacun, faute de quoi, vous l'aurez remarqué, tout le monde se renvoie la balle, ce qui est anormal ; troisième critère, une capacité à exercer les compétences et les responsabilités au niveau pertinent et avec les moyens, les effectifs nécessaires ; enfin un échange régulier d'informations depuis le niveau national jusqu'au niveau local.
La DGCCRF a été démantelée par la REATE. Un tiers des effectifs se trouvent dans les DIRECCTE et deux tiers dans les DDI. Les agents CCRF ne sont donc plus placés sous l'autorité de la DGCCRF mais sous celle des préfets. Dans 30 % des départements les agents ne sont même plus placés sous l'autorité d'un chef de service CCRF mais, souvent, sous celle d'un chef de service vétérinaire. Dans certains départements, les agents CCRF sont même tenus à l'écart des informations ou des demandes d'enquête relatives à leurs propres secteurs de compétence, ce qui est particulièrement grave.
Les capacités de contrôle et de réactivité de la DGCCRF se sont par conséquent amoindries de façon alarmante. Depuis 2008, le nombre de vérifications réalisées par les agents CCRF a chuté de près de 40 %, ce qui est énorme. La pression des contrôles étant ainsi moindre, dans un contexte de recherche de profits au moindre coût, les opérateurs économiques multiplient, nous le constatons, des pratiques douteuses voire dangereuses. Les scandales se multiplient, qu'il s'agisse de fraude économique ou sanitaire : lasagnes à la viande de cheval, Dieselgate, oeufs au Fipronil, Lactalis…
Depuis des années, les ministres de l'économie successifs recherchent une solution à la quadrature du cercle : rétablir la chaîne de commandement à structure identique et nous faire retrouver notre efficacité et notre réactivité sans renforcer les effectifs. Nous avons droit à des plans B – nous en sommes à notre second – qui consistent à pallier l'inadéquation entre les missions et les moyens par des pseudo-solutions : mutualisation etc. Ces mesures conduisent systématiquement à l'échec.
La DGCCRF, on l'a dit, perd cette année encore quarante-cinq emplois et, dans le cadre du plan « Action publique 2022 », de nouvelles solutions voient le jour : la « priorisation » des missions, ce qui signifie, il ne faut pas se leurrer, qu'on en abandonne certaines ; le contrôle de second niveau avec des délégations des contrôles au privé, portant notamment sur l'hygiène alimentaire en remise directe – or quand on examine le résultat du contrôle de second niveau dans le cadre de l'affaire Lactalis, j'avoue que c'est assez effrayant. Certaines implantations départementales CCRF risquent de disparaître, éloignant encore plus les agents de contrôle du terrain et ne leur permettant plus de mener une veille permanente des pratiques – ce qui est important puisque, sans elle, les opérateurs économiques sont amenés à se relâcher et, sous la pression, sous la contrainte économique, à multiplier les dérives.
Le syndicat FO demande un nécessaire renfort d'effectifs par le biais d'un plan pluriannuel de recrutement – gouverner c'est prévoir… Et, avant qu'on ne nous sorte un troisième plan B, nous réclamons le rétablissement de la chaîne de commandement, à savoir la sortie de la DGCCRF des DDI.