Intervention de Catherine Kirnidis

Réunion du jeudi 24 mai 2018 à 8h30
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Catherine Kirnidis, présidente du syndicat national des infirmières et des infirmiers libéraux (SNIIL) :

La désertification médicale est en effet une préoccupation, s'agissant notamment des médecins. Mais il ne faut pas oublier qu'en fonction de ce que l'on va décider, le même phénomène peut se produire avec les autres professionnels de santé. Répondre à la désertification par l'augmentation du nombre de professionnels, par exemple en augmentant le numerus clausus, n'est pas forcément la seule solution.

Pour le SNIIL, c'est l'organisation qu'il faut améliorer. Nous devons chercher comment, entre eux, les professionnels de santé peuvent y contribuer. Car cela passera aussi par la coopération pluri-professionnelle – on a vu ce que cela pouvait donner avec les maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) : ce n'est pas forcément la seule réponse, mais on voit bien que lorsque tous les professionnels de santé s'organisent et se coordonnent, l'accès aux soins de l'ensemble de la population s'en trouve facilité.

Mme Sicre a indiqué que 90 % de l'activité des infirmières se faisaient à domicile. Mais la difficulté de l'accès aux soins, c'est aussi celle que rencontrent certains professionnels à accéder à leurs patients, dans les centres hyper-ruraux, mais aussi dans les hyper-centres des villes très urbanisées. Aujourd'hui, dans les villes qui souhaitent favoriser les transports en communs, on multiplie les zones piétonnes. C'est un élément à prendre en compte : pour habiter et travailler en Avignon, je peux vous garantir que le Festival pendant les vacances, c'est quelque chose !

Les infirmiers libéraux sont les professionnels de santé les plus nombreux – avec plus de 116 000 infirmiers libéraux, entre conventionnés et remplaçants – et les mieux répartis dans l'ensemble du territoire, couvert quasiment à 100 %.

Nous sommes les plus proches du domicile des patients, et les plus accessibles, selon l'indicateur d'accessibilité potentielle localisée (APL). Une enquête a en effet été menée, dans le cadre des négociations conventionnelles, pour redéfinir les zonages démographiques des infirmières avec ce nouveau critère, qui prend en compte la proximité géographique et la disponibilité des professionnels de santé.

Surtout, nous sommes assujettis à la continuité des soins, c'est-à-dire disponibles sept jours sur sept et 24 heures sur 24. Nous sommes conventionnés quasiment à 100 % – nous n'avons pas de secteur 1 ni de secteur 2. Enfin, quasiment la totalité de ces professionnels de santé acceptent le tiers payant, ce qui n'est pas négligeable quand on sait que certaines personnes renoncent aux soins parce qu'elles n'ont pas les moyens de payer directement un médecin.

Nous intervenons en libéral, mais aussi dans le cadre de structures plus organisées. Il faudrait d'ailleurs revoir avec elles nos modalités d'intervention. Je pense notamment à nos relations avec l'hospitalisation à domicile (HAD) et avec les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD).

Dans le document que nous vous avons transmis, nous avons élaboré plusieurs pistes de réflexion.

Bien évidemment, il faudrait donner plus de temps médical au médecin en essayant de s'appuyer sur les compétences inexploitées des infirmiers, qui sont très larges, et en premier rang auprès de la population. Mais il faudrait aussi oser penser autrement que le « tout structure » - HAD, SSIAD, MSP. Ce sont des solutions qui ont apporté des réponses, mais elles ne sont pas les seules. Je pense que les professionnels de santé, s'ils s'organisaient différemment, pourraient répondre très largement aux besoins.

Les patients ont un médecin traitant. De la même façon, il pourrait y avoir des infirmières référentes ou des cabinets d'infirmières référents, qui permettraient d'identifier les infirmières des patients aussi bien à leur domicile que lorsqu'ils sont hospitalisés. L'intérêt serait d'assurer le partage de l'information entre les structures et la ville, et d'améliorer la prise en charge des patients. Nous sommes parfois un peu démunis lorsque nous devons soigner des patients qui sortent de l'hôpital ou qui sont hospitalisés, et que nous ne disposons pas des informations nécessaires. Tous les professionnels de santé, dont les infirmiers, doivent pouvoir accès à des informations coordonnées, complètes et accessibles.

Cela m'amène au dossier médical partagé (DMP), dont on parle beaucoup. C'est un outil utile, mais on le sait, les médecins se réservent certaines prérogatives en la matière. Il faudra donc faire en sorte que les infirmiers puissent avoir un large accès aux données de santé des patients via le DMP.

Les infirmiers assurent 100 % des soins sur 100 % du territoire, 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Des expérimentations ont prouvé que lorsque les infirmiers étaient pris en compte dans l'offre de soins, il était possible de faire des choses intéressantes. Je vous renvoie à notre contribution, où vous pourrez trouver des exemples d'expérimentations – on peut citer, dans les Pyrénées-Orientales, l'équipe pluri-professionnelle libérale spécialisée dans la prise en charge des soins palliatifs, avec des infirmiers libéraux qui jouissent, sur protocole, des compétences pour intervenir sur appel du patient.

Les infirmiers n'ont jamais été considérés comme des professionnels de premier recours. Pourtant, quand les patients n'arrivent pas à joindre leur médecin le vendredi après dix-huit heures ou le week-end, comme le disait ma collègue, ils téléphonent à l'infirmier parce qu'ils savent qu'il répondra toujours. Si c'est un patient que l'on prend en charge, on intervient. Mais sachez qu'on le fait gratuitement parce qu'on ne peut être rémunéré par l'assurance maladie qu'avec la prescription d'un médecin. Donc, quand on se déplace après l'appel d'urgence d'un patient, c'est parce que l'on a le souci de nos patients. C'est très fréquent : au bout d'un moment, cela peut lasser.

Nous sommes appelés très régulièrement quand les patients n'arrivent pas à joindre leur médecin pour des réadaptations de zones de traitement à marge thérapeutique étroite. Par exemple, les anticoagulants nécessitent une surveillance avec un bilan sanguin ; et, selon le résultat, il peut être urgent d'intervenir pour modifier la dose. Dès lors que les patients ne sont pas en capacité de gérer eux-mêmes leur traitement, ils appellent leur infirmière qui se rend à leur domicile et modifie la dose, là encore gratuitement puisque c'est en dehors de la prescription du médecin qui nous permettrait de soumettre un remboursement à l'assurance maladie.

Tout cela prouve bien que les infirmières ont des compétences. Ce n'est peut-être qu'une anecdote, mais pendant les grèves de Mayotte, malgré les difficultés, les infirmiers ont été en mesure de prendre en charge la population.

L'accès aux soins c'est aussi, en termes de santé publique, pouvoir vacciner l'ensemble de la population. Il faudrait élargir le droit des infirmiers à vacciner, pas simplement dans le cadre de la vaccination antigrippale, mais de toutes les vaccinations.

Il faudrait élargir le droit des infirmiers à prescrire certains dispositifs médicaux. Savez-vous que quand nous allons faire un pansement chez un patient, si le médecin a oublié de prescrire l'antiseptique ou le sérum physiologique nécessaire à la réfection du pansement, nous n'avons pas le droit de le prescrire ? Nous devons donc renvoyer le patient chez son médecin pour cette prescription.

La télémédecine peut également être une solution, mais il faut absolument que les infirmiers y soient intégrés. Nous pourrions tout à fait répondre à des demandes : dans nos cabinets avec un équipement adapté – cela nous permettrait effectivement d'intervenir en première ligne pour désengorger, soit les consultations médicales, soit les urgences ; mais aussi au domicile du patient.

Enfin, nous revendiquons la sortie des soins infirmiers des forfaits SSIAD. En effet, lorsque les patients sont pris en charge par un SSIAD et que les soins deviennent lourds, les SSIAD ne peuvent plus les assurer, et ce peut-être un souci.

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