En quoi cette proposition nécessite-t-elle notre attention ? Derrière des aspects techniques et anodins, liés à la révision d'une directive en règlement, on touche en réalité à des principes extraordinairement importants, que nous n'hésitons pas à qualifier de fondateurs pour le financement de la création culturelle. À cet égard, quand on a à l'esprit ces principes à l'ère numérique et la nécessité de continuer à préserver un écosystème de la culture, très important pour l'identité européenne, il y a lieu de s'alarmer par rapport au règlement qui nous est présenté.
Vos rapporteurs ont eu l'occasion de discuter avec les parties prenantes de ce sujet, et les inquiétudes se cristallisent de manière précise sur l'état présent de ce projet de règlement, actuellement en discussion devant les différentes commissions du Parlement européen et devant le Conseil.
En premier lieu, le principe de territorialité des droits pourrait être remis en cause. Ce principe, absolument essentiel, en vertu duquel les droits sur des oeuvres s'acquièrent à un échelon territorial unique, constitue la clé de voûte de nombreux financements de la culture en France et ailleurs. Il est évident en effet qu'un film d'auteur, par exemple, a peu de chance de connaître une carrière européenne phénoménale, eu égard aux obstacles linguistiques, à la diversité culturelle ou aux choix effectués par les distributeurs. Ce principe de territorialité des droits assure donc par exemple le financement de la création cinématographique. Remettre en cause la territorialité des droits sur un territoire unique menace tout le principe de financement de la culture, de rémunération équitable des ayants droit, des créateurs et de toute la chaîne de valeur culturelle. En ébréchant ce principe, comme le fait incontestablement l'un des articles de cette proposition de règlement, il y a un vrai danger pour la diversité culturelle en Europe elle-même.
En effet, ce projet de règlement instaurerait une fiction juridique, et c'est la première fois que cela se produit dans un texte européen. Il effacerait le principe de pays émetteur du signal. Cette fiction prévoit que les services de TV de rattrapage et la retransmission simultanée en ligne sont réputés avoir lieu uniquement dans le pays d'établissement du radiodiffuseur pour ce qui est de l'exercice des droits et leur rétribution. La conséquence en est que, pour ces services auxiliaires, le radiodiffuseur ne sera pas tenu de requérir l'autorisation des titulaires de droits quant à la portée territoriale de la licence.
Derrière cette fiction juridique, qui s'en tient uniquement au pays d'établissement physique du radiodiffuseur, mais celui-ci pourra diffuser par-delà les frontières se cache donc une menace pour les artistes vivant de leurs droits d'auteur. Si on ébrèche, comme le prévoit le texte de la commission, le principe de territorialité et que celui du pays d'origine s'applique, on met à mal tout un système. Cela participerait à un projet sous-jacent général, que l'on peut voir dans d'autres projets de la Commission européenne, d'affaiblissement de la position des ayants droit, des artistes, ce qui est tout de même paradoxal et inquiétant, au moment où, par ailleurs, on nous parle de respect de la diversité culturelle et de promotion de la culture et de l'identité européenne. C'est notamment le cas pour la révision de la directive sur les droits d'auteur. Nous avons donc une vraie inquiétude sur ce texte, qui vient en contradiction totale avec la volonté politique de la Commission européenne de renforcer les droits d'auteur à l'ère numérique. Tout cela ne peut pas nous laisser indifférents.
Deuxièmement, il existe un risque de « forum shopping » de la part d'acteurs de la vidéo à la demande et de la vidéo à la demande par abonnement, alors même que des plateformes européennes susceptibles de concurrencer leurs homologues anglo-saxonnes peinent à émerger. Nous n'évoquons même pas le problème de la disparité fiscale qui se rappelle régulièrement à notre bon souvenir.