Intervention de Damien Pichereau

Réunion du jeudi 3 août 2017 à 9h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Pichereau :

Lors du Conseil européen des 22 et 23 juin dernier, le Président de la République a appelé l'Union européenne à mieux protéger les Européens.

Cette protection ne passera pas sans la recherche, au niveau international, d'une concurrence équitable, car c'est une des clés d'une croissance durable. Outre le dossier emblématique de la révision de la directive sur les travailleurs détachés, cette question concerne d'autres aspects : l'ouverture réciproque des marchés publics, le contrôle des investissements stratégiques, mais aussi la mise en place d'armes européennes efficaces face aux pratiques concurrentielles déloyales.

Tel est l'objet, pour le transport aérien, de cette proposition de règlement visant à mieux protéger l'Europe de pratiques concurrentielles déloyales. C'est, dans ce secteur, une des deux priorités de la Présidence estonienne.

Le transport aérien est un vecteur essentiel de compétitivité et de souveraineté qui opère dans un environnement extrêmement concurrentiel et sans régulateur.

En effet, le secteur de l'aviation apporte une contribution essentielle à la connectivité de l'Union européenne, à son développement économique, ainsi qu'à sa cohésion régionale et sociale.

Or la libéralisation et la déréglementation du transport aérien international à la fin des années 1990 ont engendré une concurrence sans précédent sur le marché de l'Union et à l'échelon mondial, sans qu'aucun cadre international ne vienne régir cette concurrence : en effet, les services de transport aérien ont été, dans une large mesure, exclus des accords de l'Organisation mondiale du commerce et l'Organisation de l'aviation civile internationale n'a édicté aucune réglementation multilatérale sectorielle spécifique.

Aujourd'hui, en dépit d'une situation géographique particulièrement favorable, qui place l'Europe au coeur des flux de trafic internationaux, les capitales européennes sont de moins en moins connectées par des vols directs à leurs destinations finales. Les compagnies du Golfe ont capté une part massive du trafic entre l'Europe et l'Asie ou bien l'Afrique, mais leur stratégie est également efficace sur le marché européen, alors même que sont régulièrement rapportées des conditions de concurrence et des pratiques sociales contraires au droit communautaire.

Face à cette situation, l'outil dont est aujourd'hui dotée l'Union européenne est inopérant.

La crise du secteur aérien à la fin de 2001 a poussé certains gouvernements de pays tiers à subventionner leurs compagnies aériennes. Les compagnies communautaires doivent, elles, respecter une réglementation stricte concernant les aides d'État. Or en vertu des règles européennes, tous les transporteurs – européens et non européens – bénéficient des mêmes droits et des mêmes possibilités d'accès aux services liés au transport aérien.

Afin de garantir une concurrence loyale entre les transporteurs aériens de l'Union et ceux des pays tiers, l'Union européenne s'est alors dotée d'un instrument unilatéral répressif, avec le règlement (CE) no 8682004 sur la protection contre les subventions et les pratiques tarifaires déloyales.

En treize ans, cet instrument a surtout fait la preuve… de son inefficacité ! Il n'a jamais pu être utilisé contre les pratiques déloyales auxquelles recourent des transporteurs de pays tiers, et il est très improbable qu'il soit jamais appliqué concrètement.

En effet, il s'applique exclusivement aux « pratiques tarifaires déloyales ». Or non seulement ces pratiques sont difficiles à prouver dans un secteur qui applique le « yield management », mais de surcroît le transporteur en cause doit en parallèle avoir bénéficié d'un avantage non commercial. De plus, les règles relatives à l'ouverture d'une enquête sont très restrictives. Enfin, ce règlement ne prévoit aucune procédure en cas de non-respect des obligations visant à garantir une concurrence loyale incluses dans des accords aériens conclus par l'Union.

Sous la pression des États membres, la Commission Juncker a fait de cette question de la concurrence déloyale un des axes principaux de sa « Stratégie de l'aviation pour l'Europe », dont cette proposition de règlement est un des éléments.

En effet, alors que l'accent était précédemment mis au niveau européen sur une ouverture non conditionnelle des marchés, les conclusions du Conseil du 20 décembre 2012 ont donné pour objectif prioritaire à la politique extérieure de l'Union européenne dans le domaine du transport aérien d'assurer les conditions d'une concurrence équitable.

Il faut ici noter la forte contribution de l'axe franco-allemand, qui a poussé à ce que l'Union européenne se dote d'un outil réellement efficace et dissuasif. Le Conseil franco-allemand du 13 juillet dernier a de nouveau mis en évidence l'importance de cette coordination entre nos deux pays sur les sujets économiques.

Annoncée dans la Stratégie de l'aviation pour l'Europe présentée par la Commission européenne en décembre 2015, cette proposition de règlement me semble devoir être accueillie positivement. Elle étend la liste des potentiels plaignants, auparavant limitée à la seule « industrie communautaire », elle assouplit les procédures d'enquête et elle durcit les sanctions ; elle retient – et c'est essentiel – une définition adéquate des pratiques affectant la concurrence en incluant dorénavant non seulement les subventions affectant la concurrence mais aussi les discriminations ; elle s'articule enfin avec l'action préventive que représente l'insertion d'une clause de concurrence loyale dans les accords aériens.

Certes, la Commission peut refuser l'ouverture d'une enquête et cette dernière peut durer plusieurs années, néanmoins, ce texte représente une nette avancée, attendue depuis longtemps par les compagnies aériennes notamment françaises !

La France et l'Allemagne, qui soutiennent fortement cette proposition de règlement, se heurtent toutefois à la vive opposition d'autres États membres. Certains s'inquiètent de l'impact de ce texte sur leur connectivité ; d'autres s'opposent par principe à toute mesure pouvant être perçue comme protectionniste. Ils considèrent que seul l'intérêt du consommateur doit primer, l'intérêt de ce dernier étant des billets d'avion à bas prix, quelle que soit la compagnie qui assure la desserte

Il me semble que ce raisonnement ne peut pas être retenu.

D'abord au nom de la solidarité européenne : des États membres ne devraient pas rester indifférents au risque de faillite de compagnies aériennes européennes même si elles ne battent pas leur pavillon national, car ce sont des compagnies européennes qui assurent, je le rappelle, l'essentiel de la connectivité intra-européenne.

Ensuite dans l'intérêt même de ces États membres : casser des prix pour faire sortir des concurrents du marché, et ensuite disposer d'une position de force, c'est un grand classique dont je m'étonne que ces États membres n'aient pas conscience…

Enfin, dans l'intérêt de l'Union même : voulons-nous être en bout de chaîne ou bien au centre, en « hub », puisque c'est le terme consacré ? Il en va à long terme de notre attractivité.

Je pense de surcroît que la définition du préjudice répond en partie aux attentes de ces États membres, puisque la Commission européenne devra tenir compte de la situation générale sur le ou les marchés de services de transport aériens concernés, et non pas seulement la situation d'un ou des transporteurs aériens. La Commission devra donc prendre en compte également les questions de connectivité ou les aspects positifs pour les passagers.

Sur ce sujet, les parlementaires ont déjà exprimé de fortes attentes, qu'il s'agisse du Parlement européen, qui a adopté le 16 février 2017 une résolution saluant la proposition de la Commission de réviser le règlement 8682004 ou notre Assemblée, avec l'adoption en juillet 2016 d'une résolution par la Commission des affaires européennes, à l'unanimité. Il nous appartient de continuer à exercer toute la vigilance nécessaire.

Pour conclure, mes chers collègues, les commissaires Bulc et Thyssen ont réitéré le 19 juillet dernier leur engagement de s'attaquer aux problématiques sociales dans le secteur de l'aviation, en publiant un « paquet » de propositions législatives au printemps prochain.

Comme l'a souligné le Président de la République lors du dernier Conseil européen, nous devons dire en même temps « oui à une Europe ouverte » et « oui à une meilleure protection de ses citoyens et de ses entreprises face aux pratiques déloyales » ; l'Europe ne doit pas être naïve !

Pour autant, tous les enjeux de compétitivité ne relèvent pas de la régulation. Je salue à cet égard l'annonce par la Ministre chargée des transports, Mme Elisabeth Borne, de prochaines Assises du transport aérien. Nombre de rapports, y compris parlementaires, ont mis en évidence les facteurs négatifs pour la compétitivité du pavillon français, il est aujourd'hui grand temps de passer aux actes.

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